Carrion

You are the monster !

Genre
Action / Aventure / Infiltration
Développeur
Phobia Game Studio
Éditeur
Devolver Digital
Année de sortie
2020

Souvent, lorsque l’on nous balance dans les situations qui mettent en scène des créatures monstrueuses, on se retrouve dans le cas de figure où l’on est ce petit humain faiblard qui se doit de s’échapper et survivre. Et si pour une fois, c’était l’inverse ? Et si l’on incarnait cette vilaine créature abjecte qui doit s’échapper du complexe où elle était prisonnière en évitant de se faire mettre hors-service par le personnel le peuplant ? Étonnant de constater que le jeu vidéo se soit si peu engouffré dans cette brèche. Même si c’est quand même arrivé à de rares reprises dans le passé – la version Megadrive de Jurassic Park où une des deux campagnes proposait d’incarner un raptor ou encore la série des Alien Vs Predator où l’on avait le choix de prendre le contrôle d’un Xenomorph, un Predator ou un simple militaire humain – il faut admettre que l’on reste majoritairement dans le modèle classique du gentil humain qui se doit d’échapper au méchant monstre. Carrion prend justement (enfin) le parti inverse. Parce qu’être un monstre, c’est tout aussi amusant finalement. Et lorsque l’on est seul contre toute une armada d’humains plus ou moins armés jusqu’aux dents, la bestiole ne paraît pas si dangereuse et méchante que l’on pourrait le penser de prime abord. C’est qu’elle ne fait que se défendre et survivre comme n’importe quel animal sauvage en milieu hostile cette « brave » bête. Tué ou être tué, mangé ou être mangé, la vie est ainsi faite, c’est aussi simple que ça…

A quoi ça ressemble ?

Niveau réalisation, il faut admettre que Carrion est soigné. Du pixel art retro-moderne sentant bon la nostalgie des vieux Super Metroid. Rien de foncièrement original certes, ce qui ne l’empêche pas d’être agréable à l’œil. Notre « protagoniste », elle, se montrera autrement moins sexy : une abjecte créature tentaculaire de taille variable, tout ce qu’il y a de plus dégueulasse. On n’en attendait pas moins justement. Du modèle Metroid, on en reprendra quelques aspects : une approche commune dans l’exploration mais le côté très succinct de son scénario. S’il y a bien une petite histoire, racontée par quelques flashbacks où l’on prend le contrôle cette fois d’un humain, permettant quelques aérations plutôt bienvenues dans l’aventure, on ne s’en encombre pas spécialement pour autant. On est un monstre, on s’est échappé, on veut survivre et se barrer, point à la ligne. Pas besoin d’aller chercher on ne sait quelle introspection ou réflexion philosophique, c’est un truc d’humain de toute façon. Place à l’instinct donc. Et dans notre cas, au gameplay.

Comment ça se joue ?

Et c’est justement sur ce plan que Carrion surprend. Lorsque l’on voit l’esthétique de notre créature ainsi que ses animations de déplacement, on pourrait croire que la prise en main se montrera bordélique. Et pourtant, il n’en est rien : cette dernière se manie extrêmement bien, hormis lors de sa dernière phase de croissance où la taille gargantuesque amène son petit lot d’imprécisions et de visibilité un peu brouillonne, ce qui n’intervient heureusement que sur les derniers moments de jeu. Mieux, manette en main, la sensation se révèle finalement plutôt grisante, tel un plaisir coupable, passé les premières minutes où l’on est aussi fasciné que l’on s’effraie tout seul. Notre monstre peut tout autant se déplacer de manière grouillante, avec une certaine « subtilité et douceur », qu’il peut se montrer extrêmement rapide et brutal. Deux poids, deux mesures, extrêmement bien rendues en terme de feedbacks, permettant d’ailleurs d’aborder les situations d’affrontements de diverses manières. Charger violemment dans le tas ou se la jouer plus subtil via la carte de l’infiltration, les nouveaux pouvoirs que l’on récupère au fur-et-à-mesure du jeu, permettant de se renouveler continuellement, jouant sur les deux aspects (charger des éléments de décors plus solides, ou encore être invisible par exemple). Ce sera donc au bon choix instinctif du joueur de définir quelle stratégie adopter ici ou là, le jeu ne nous prenant clairement pas par la main pour nous expliquer de quelle manière appréhender tel ou tel passage car les ennemis ne s’arrêtent pas aux simples scientifiques inoffensifs des premières salles servant simplement d’encas revigorants, le complexe s’avérant plutôt bien équipé en agents de sécurité armés et autres drones de surveillances. Un bon point d’ailleurs en terme d’immersion bien que Carrion ne s’avère pas spécialement complexe à parcourir. Si certains passages s’avèrent plus ardus que d’autres, le jeu reste généreux en checkpoints, qui nous régénèrent qui plus est. Autant dire, même si l’on se retrouve à s’y reprendre à plusieurs fois, jamais ce ne sera très frustrant, encore moins insurmontable.

Pourquoi on en parle ?

Même si Carrion offre une aventure qui se termine plutôt rapidement, même à 100% avec ses quelques pouvoirs optionnels cachés ça-et-là, sa durée de vie s’avère parfaite au vu de la boucle de gameplay proposée. Proposant une formule plutôt hybride entre architecture typée Metroid-like où l’exploration se fait au sein d’une sorte de hub se dévoilant au compte-goutte selon les pouvoirs récupérés dans les différentes zones, un peu d’action mélangeant aspects bourrins et infiltrations et même un petit soupçon simple de puzzles à certains petits passages, le jeu réussit efficacement son métissage et se révèle plus varié qu’il n’y paraît. Seul bémol qui en aura décontenancé plus d’un : l’absence de carte afin de s’orienter au sein du complexe. Ce que je trouve, de mon côté, plutôt cohérent avec le propos : nous sommes un monstre, nous ne lisons pas les cartes. Et même si cela amène quelques petits moments de errance au sein de notre aventure, il faut admettre que Carrion s’avère également intelligent dans ce parti-pris d’immersion : le level design s’avère plutôt bien pensé, avec quelques petits éléments de décor venant nous mettre la puce à l’oreille en terme de points de repère et orientation. Jusqu’à s’en servir totalement inconsciemment au point d’avancer davantage à l’instinct. Comme tout animal et autre monstre donc.

Carrion
Appréciation
La finalité, bien brute de pomme, nous rappelle finalement le parti-pris : nous ne sommes pas ici pour découvrir une histoire, c'est davantage une expérience de devoir incarner un protagoniste que l'on a toujours considéré comme un nemesis dans 95% des jeux. Le tout, avec toutes les particularités que cela incombe, quitte à nous retirer un peu de notre confort lié à notre intelligence humaine, afin de paraître autrement plus cohérent et immersif. Et aussi monstrueux et dégoûtant semble être Carrion dans son concept, on y passe un moment on ne peut plus plaisant et, d'une certaine manière, marquant. Quand bien même la durée de vie soit courte et la rejouabilité s'avère tout aussi limitée.
Points forts
Tuer et bouffer tout le monde, c'est aussi dégueu que grisant !
Une formule de jeu entre metroid-like, action, infiltration et soupçon de puzzles efficace
Une créature très agréable à manier contrairement à ce qu'elle laisse croire d'aspect
Un level-design bien pensé
Un bon renouvellement par rapport à sa durée de vie
Points faibles
Une rejouabilité plutôt limitée
L'absence de carte pour s'orienter (mais vu le concept, est-ce finalement si utile ?)