Utopiales 2017 – Interview Jehanne Rousseau – Greedfall

Habituée du festival de science-fiction des Utopiales, Jehanne Rousseau, CEO du studio français Spiders, apprécie débattre avec d’autres créateurs lors de tables rondes organisées sur différentes scènes de la Cité Internationale des Congrès. Pas de promo sur le salon pour elle, pourtant elle nous a, de nouveau, accordé de son temps pour nous raconter le développement de Greedfall, la dernière production du studio, éditée par Focus.

Archaic.fr : Bonjour Jehanne, profitons de votre venue aux Utopiales pour parler de Greedfall, le prochain RPG de Spiders. Lorsque nous nous étions vus l’année dernière, il venait tout juste d’être annoncé. Depuis, la communication se veut discrète, la date de sortie reste pourtant prévue pour mi-2018 : comment se déroule le développement de Greedfall ?

J.Rousseau : Oui, il est toujours prévu pour mi-2018. Le développement va plutôt bien. C’est un projet qui nous demande beaucoup de boulot. C’est un nouvel univers : il y a donc beaucoup de choses à faire. Comme pour nos précédentes créations, nous définissons tout l’univers avant de nous attaquer au jeu lui même, comme un univers de jeu de rôle sur table. C’est-à-dire qu’on imagine la culture, la politique, l’économie des forces en présence, même si pour la plupart, on ne fera que les apercevoir ou les rencontrer brièvement. Je tiens à le préciser car ce n’était pas le cas pour Technomancer, notre précédent jeu, qui était dans la continuité de Mars War Logs : nous avions l’opportunité de piocher dans des récits déjà écrits et dans un univers que nous maîtrisons depuis longtemps. Le développement de Greedfall est plus important que celui nos précédents jeux : il a donc fallu mettre en place une chaîne de production un peu plus grosse. Pour en revenir à la communication, ce n’est pas du tout mon job, même si j’y participe forcément en compagnie de toute l’équipe de Spiders. Focus, dont c’est l’une des spécialités, a souhaité mettre en place une communication différente de nos précédents projets, pour l’instant relativement discrète. Je leur fais pleinement confiance et suis persuadée qu’ils savent exactement où ils vont.

Archaïc.fr : Ils ont en effet communiqué au sortir des Utopiales la “première vidéo de gameplay de Greedfall” comme ils l’ont indiqué alors que cela n’en était pas vraiment.

J. Rousseau : En effet, ils se sont amusés. On y voit de gros lézards, déjà présentés dans des screenshots auparavant mais nous n’avions pas fait de vidéos dessus. Il y a de toute façon beaucoup de bestioles qui n’ont pas encore été montrées vu que l’on n’a pas montré grand chose. Ils ont trouvé celles-là sympathiques, ils ont voulu faire un petit tweet pour piquer l’intérêt des gens, mais cela ne vaut pas un véritable extrait de gameplay que l’on montrera plus tard. Focus organise un gros événement nommé What’s Next, en février 2018. Nous y présenterons vraiment du gameplay. Un peu de combat, beaucoup d’exploration, un peu de narration aussi : ce sera donc beaucoup plus poussé.

Archaïc.fr : Comment vous organisez-vous pour les présentations réalisées dans le cadre de ces événements ? Vous créez une portion inédite spécialement pour la démo ou vous privilégiez une sauvegarde, à un endroit donné, représentative du jeu final ?

J. Rousseau : C’est un mélange des deux. Nous ne créons pas de quête spécifique, nous ne créons pas de moment inexistant dans le jeu. Focus détermine ce qu’ils aimeraient bien montrer, en termes d’environnements ou de personnages. Nous leur proposons une liste de quêtes qui peuvent répondre à leurs besoins et nous arbitrons ensemble. Nous évitons les spoilers donc nous coupons les cutscenes trop révélatrices ou les créatures trop importantes, et faisons une sorte de montage pour avoir une démo jouable d’une vingtaine de minutes pour la presse. C’est donc davantage un assemblage d’éléments existants au moment de la démo qu’une création spécifique pour l’occasion. Ce montage est nécessaire pour réussir à montrer les principaux aspects du jeu ou en tout cas ceux qui nous paraissent pertinents, car c’est rare d’avoir une quête offrant un enchaînement parfait de 5 minutes de combat, 3 minutes d’exploration, 2 minutes de dialogue, 3 minutes de cutscenes, etc…

Archaïc.fr : Focus a également diffusé, mi-octobre, des photos prises pendant le tournage des scènes en motion capture…

J. Rousseau : Oui, c’est même moi qui les ai diffusées ! (rire) Focus n’était pas prévenu et j’avais peur de me faire taper sur les doigts, mais au contraire, ils ont apprécié. J’ai jugé que c’était amusant de montrer aux gens ce qu’il se passait derrière la caméra.

Archaïc.fr : Justement, que représentent, en termes de temps et d’investissement, des séquences motion capturées comme celles de Greedfall ?

J. Rousseau : Les photos diffusées sont extraites de séances de motion capture de cutscenes. Pour Greedfall, si je ne dis pas de bêtise, il y aura quatre journées entières d’animations captées. Bien sûr, ceci ne représente pas le temps total des scènes. Ce temps inclut le temps de répétition pour les acteurs et la préparation. Par conséquent, en quatre journées, je dirais que nous avons pu tourner une soixantaine de cutscenes – bien que je pense surestimer un peu le volume. En sachant que nous avons également fait des séances de motion capture de gameplay, qui, elles, se passent réellement différemment car pour le coup, on shoote des animations très courtes. Les animations de gameplay durent en général 3-4 secondes. C’est un coup, une parade, un mouvement. Alors que les animations de cutscenes sont plus théâtrales, mises en scène et peuvent durer plusieurs minutes chacune.

Evidemment, ce ne sont pas non plus les mêmes acteurs. Nous avons par exemple fait venir un maître d’armes. Etant donné que l’univers de Greedfall s’inspire du XVIIème siècle, nous avions besoin de quelqu’un à l’aise avec certaines techniques de combat et différents types d’armes, tout en gardant un style proche de ce qui se faisait à cette époque. Sur nos précédents jeux, la motion capture de gameplay était majoritairement faite en Pologne, avec l’équipe de stunt artists ayant oeuvré sur The Witcher. Elle fait du très bon boulot pour du médiéval, mais pour Greedfall, nous avons ressenti un besoin très spécifique et nous voulions que cela se reflète à l’écran. Cette décision nous a fait revenir en France, ce qui nous permet, en plus, de réaliser la mocap de gameplay et de cutscenes aux mêmes endroits. Nous évitons, cette fois, de trimballer toute l’équipe, plusieurs fois dans l’année – car les ateliers ne se déroulent pas forcément au même moment.

Archaïc.fr : Qui supervise ces séances ? L’équipe de Spiders ou faites-vous appel à un prestataire ?

J. Rousseau : Comme nous ne disposons pas de studio de mocap, nous travaillons effectivement avec un studio de motion capture qui nous fournit des techniciens. Ces techniciens effectuent alors toute la saisie des images. Par contre, c’est un de nos animateurs qui y va. En l’occurrence, c’est notre directeur de cutscenes, Camille Lallement. Il s’occupe de la direction de toutes les cutscenes. Il a des idées, des cadrages, des mouvements très précis en tête ; par conséquent, il endosse le rôle de réalisateur une fois arrivé sur le plateau. Il fait en sorte d’obtenir le posing et les expressions attendues des acteurs. Nous ne faisons pas de motion capture faciale directement : nous faisons une double prise de vue. Nous faisons une prise de vue vidéo normale qui servira de référence aux animateurs pour pouvoir récupérer quand c’est nécessaire les animations faciales des personnages.
Pour l’animation de combat, nous avons un game designer et le responsable de l’animation qui se déplacent. C’est donc bien à chaque fois des gens de l’équipe qui se rendent au studio et qui travaillent avec les techniciens pour obtenir ce qu’ils ont en tête.

Archaïc.fr : Sur un développement similaire à Greedfall, comment répartissez-vous ce travail ?

J. Rousseau : Les premières séances de motion capture ont été tournées assez tôt. Je ne veux pas dire de bêtise mais il me semble que nous avons commencé en mars-avril 2017. Il faut savoir qu’au début d’un développement, nous montons, pour les premiers tests de gameplay et pour notre éditeur, des scènes avec des animations de gameplay issues de notre banque d’animations, et seulement après on fait de la motion capture de gameplay. Les séances de motion capture de cutscenes ont été faites en juin et en octobre. Et nous en referons une en janvier. Les séances de mocap demandent énormément de traitements une fois tournées. Il est impossible de les intégrer telles quelles car il y a énormément de brouillage : la mocap génère beaucoup de clés d’animations. Or il n’est pas possible d’en avoir autant dans le jeu : elles seraient trop lourdes ; et car c’est plein de petits mouvements qui viennent brouiller le mouvement général. Ainsi, les animations sont nettoyées à la main par des animateurs de Spiders pour retrouver le mouvement de base. De plus, il nous est nécessaire d’ajuster les mouvements aux gabarits des objets du jeu : lorsqu’un personnage s’assoit, il faut veiller qu’il pose bien ses mains sur chacun des gabarits de sièges existants dans le jeu. C’est donc beaucoup de temps de retouche. Toutes les animations de gameplay de Greedfall ont d’ores et déjà été retouchées, mais nous sommes à l’heure d’aujourd’hui encore en train de retoucher les animations des cutscenes tournées récemment, et nous en avons encore facilement jusqu’à décembre pour retoucher et intégrer l’intégralité des animations.

Archaïc.fr : Vous m’avez devancé, je comptais vous demander le temps d’intégration nécessaire pour ce genre de séances.

J. Rousseau : Pour les cutscences, le temps d’intégration est souvent beaucoup plus long parce qu’il y a des cadrages à ajouter. Pour avoir une cutscene propre, c’est vraiment beaucoup de boulot. Sans parler du fait que sur Greedfall, comme pour Bound by Flame, nous laissons le choix du sexe du personnage. Cela demande donc d’avoir des cadrages valables pour les deux sexes et des animations adaptées aux deux. Je dirais que cela doit représenter près de 30% de boulot en plus en animation. Cela nous pousse donc à être malins : certaines animations seront conservées pour les deux sexes tandis que d’autres seront effectivement modifiées ou retouchées. Cela nous a d’ailleurs obligé à adapter notre moteur. Depuis Technomancer, nous avons développé un outil pour les cutscenes. Greedfall nous a demandé d’ajouter des fonctionnalités nous permettant d’adapter sensiblement les cadrages en fonction du personnage. C’est-à-dire que le personnage sera automatiquement recadré en fonction de points de pivot. Je ne rentrerai pas dans les détails techniques, mais cela permet d’éviter certains cadrages très étranges aperçus dans Dragon Age Inquisition, de Bioware. Selon si l’on décidait d’incarner un nain ou un humain, le cadrage avait du mal à s’adapter à la taille du personnage. Quand vous savez que tout a été fait depuis un gabarit d’humain, vous comprenez mieux le souci : les équipes de Bioware n’ont pas du tout fait de recadrage. Ayant vu cela, nous nous sommes dits que ce genre de cas d’usage allait nous posait problème. Nous n’avons ni nains ni géants dans Greedfall, mais nous nous sommes posés la question. Une partie du cadrage est automatisée. Nous gardons une part manuelle car il faut se souvenir que même si le personnage du joueur est de loin le plus visible à l’écran, il y aura de nombreux dialogues avec des PNJ. En revanche, là où ce choix coûte vraiment plus cher, c’est dans l’écriture et l’enregistrement des voix. Il faut écrire tous les accords, sur tous les textes, et cela ne touche pas seulement le héros ou l’héroïne : cela touche tout PNJ à même de parler avec lui ou elle. En français, mais également pour les langues étrangères : nous pouvons nous retrouver à devoir faire des accords qui ne sont pas nécessaires en français. Je pense notamment au travail sur les déclinaisons en allemand. Il nous a donc fallu concevoir le fait d’avoir une version féminine et une masculine de chaque phrase, même si elle n’existe pas en français ou en anglais. Cela nous a également demandé de l’écriture spécifique pour certains cas, comme les romances. Et évidemment, nous avons dû faire appel à une actrice qui va enregistrer les mêmes textes que le héros, et l’enregistrement de textes coûte beaucoup, beaucoup, plus cher que la motion capture. La motion capture représente quatre jours de travail. Un RPG comme Greedfall, avec la quantité de textes que cela induit, c’est presque 3 semaines d’enregistrement, tous personnages confondus certes, mais cela représente tout de même une sacrée masse de travail.

Archaïc.fr : L’enregistrement des voix se fera de nouveau en anglais ?

J. Rousseau : Oui, en anglais et en Angleterre pour Greedfall. Nous avions travaillé à Los Angeles pour Technomancer, parce que nous étions dans un univers futuriste et que l’américain nous paraissait plus cohérent que l’anglais. Pour Greedfall, nous sommes plutôt dans l’historique et l’anglais nous paraît plus adapté. L’Angleterre a de plus l’avantage de n’avoir que peu de décalage horaire avec la France. Cela me rappelle un petit souvenir désormais amusant : l’enregistrement des voix sur Technomancer s’est donc fait à Los Angeles et je ne pouvais pas m’y déplacer trois semaines. Nous n’avions pas vraiment les moyens, d’autant qu’il faut pendant cette période continuer d’encadrer la boîte. Cela s’est donc fait en grande partie par Skype : j’étais présente sur mon PC à 10h le matin et j’y étais encore à 3h du matin, lors de la fin de journée des acteurs américains. Je faisais quasiment deux journées de travail, par jour, pendant 3 semaines. Je dois donc confesser avoir, probablement, laissé passer quelques conneries sur la fin tellement je n’étais plus très fraîche ! (rire) Autant dire que cela va vraiment nous faciliter la vie d’enregistrer en Angleterre : ce sera plus simple d’y aller quelque temps pour rencontrer l’équipe de tournage, le studio se situant dans la banlieue de Londres.

Archaïc.fr : Nous avons abordé Camille Lallement tout à l’heure. J’ai remarqué que Spiders et Focus communiquent finalement assez peu sur les créateurs, mis à part vous ou Olivier Derivière, compositeur notamment sur Bound by Flame ou Technomancer et maintenant Greedfall. Est-ce volontaire ?

J. Rousseau : J’ai tendance à citer les gens avec lesquels je travaille. Ce n’est, en effet, pas forcément repris au niveau de la communication de Focus. Si vous vous rappelez de la rencontre avec Camille Bachmann en 2012, qui était notre illustrateur et concept artist jusqu’à Technomancer, il est quelqu’un d’extrêmement talentueux mais aussi extrêmement timide. Il n’aimait pas être sur le devant de la scène. Autant je n’hésitais vraiment pas à citer son nom, autant il n’était pas très chaud pour faire des interviews ou des présentations.

Archaïc.fr : Il s’en était pourtant très bien sorti aux Utopiales.

J. Rousseau : Oui, oui ! Mais il avait fallu le travailler au corps pendant longtemps pour le convaincre que cela allait bien se passer. Faire des caméras “Behind the scene” avec lui était quelque chose de très compliqué. Je ne lui reproche pas du tout, chacun gère sa carrière et son envie de strasses comme il peut et veut. Sur l’équipe actuelle, c’est Cyril Tahmassebi qui est notre directeur artistique et qui produit la plupart des concept arts parus dans la communication de Focus. C’est quelqu’un d’extrêmement doué mais de timide également. Un peu moins peut-être que Camille, je ne désespère donc pas de le faire communiquer de son côté. C’est vrai que de manière générale, le jeu vidéo n’a pas tendance à mettre en avant les équipes. D’un point de vue personnel, j’aimerais bien que cela soit différent, mais il faut reconnaître que le jeu vidéo est un milieu de personnes assez timides et donc peu habituées à la communication, qu’il faut convaincre de passer derrière un micro ou une caméra.

Archaïc.fr : Sur les jeux Indépendants, les créateurs, du fait de la petite taille de l’équipe, sont souvent mis en avant. Sur les titres AAA, il y a toujours un réalisateur ou un producteur qui est mis en avant, mais sur les productions intermédiaires, les AA en quelque sorte, on en voit beaucoup moins passer.

J. Rousseau : Eh bien, il y a moi. (rires) Il y a Olivier Derivière dont vous parliez, même si, dans son cas, il est un peu obligé de faire parler de lui. Il n’appartient pas à Spiders, il est indépendant. Il a travaillé pour Dontnod sur Vampyr, pour Ubisoft sur Assassin’s Creed Black Frag Freedom Cry et pour bien d’autres studios. Il est donc obligé de communiquer pour trouver des projets : sa démarche est donc un peu différente. D’autant que le son est souvent le mal aimé des projets, tant en termes de budget que d’espace de communication dans le jeu vidéo. Nous parlons finalement peu de cette dimension-là en Europe, contrairement au cinéma. Alors qu’il y a un boulot énorme qui est fait, avec davantage de sons qu’au cinéma et la musique qui doit répondre du mieux qu’elle peut au gameplay du jeu vidéo. On ne fait donc pas de la musique de jeu vidéo comme on fait de la musique de cinéma. Pour en revenir à Spiders, je ne désespère pas de faire une galerie de portraits, en tout cas des personne qui en ont envie – car, encore une fois, il faut réussir à les convaincre. Il faut juste que je me dégotte un bon appareil photo pour accompagner ces interviews de jolis portraits, sinon je n’arriverai jamais à les convaincre à parler de leur métier. (rires)

Archaïc.fr : Spiders recrute un artiste freelance pour de la conception d’interface (HUD). Vous disiez qu’il avait fallu ajuster la chaîne de production pour tenir le développement de Greedfall. Est-il prévu que Spiders continue de grossir en vue de futurs projets ? Chaque projet étant toujours un peu plus conséquent que le précédent.

J. Rousseau : Il va sûrement falloir. Sans doute même ! Hélas, dans l’industrie du jeu vidéo, c’est un peu “grossir ou périr”. Je dois vous avouer que j’y vais un peu à reculons, car, à un moment, gérer une équipe trop grosse devient de la pure gestion, et ce n’est pas du tout ce qui m’amuse le plus. Sur Technomancer, j’avais pu garder la main sur l’ensemble de l’écriture. Sur Greedfall, j’ai pu garder la main sur la conception de l’univers et sur la direction globale de l’écriture, mais nous avons dû travailler avec un dialoguiste et faire grossir l’équipe de narration car je ne pouvais plus du tout consacrer autant de temps qu’auparavant à cela. L’encadrement du projet est beaucoup plus important, et pourtant, nous avons aussi un chef de projet. A la gestion du projet, il faut ajouter la gestion de la boîte. Passer 50 personnes est le cap que je m’étais fixé quand nous avons créé Spiders en 2008. Et je ne parle pas des freelances, vu que ce n’est pas moi qui les gère. Il est difficile de superviser des projets en plus d’administrer la boîte dès lors que l’on compte plus de 50 salariés. Je ne fais pas du tout ce métier-là pour ça ! (rires) Si nous devions dépasser ce cap-là sur un prochain projet, je pense que nous devrons modifier la direction de la boîte : je ne resterai pas la gérante, ou du moins la seule gérante d’une boîte de cette taille. A un moment, il faut savoir placer sa limite et ma limite est à 50. (rires)

Archaïc.fr : Surtout que maintenant, avec deux nouvelles consoles sur le marché, que sont la PS4 Pro et la Xbox One X, les constructeurs demandent que les jeux bénéficient d’améliorations, ce qui demande certainement encore un peu de travail. Il y a un an, il était prévu que Spiders sorte des jeux optimisés. Est-ce que Greedfall bénéficiera bien d’améliorations ? Et comment se traduiront-elles ?

J. Rousseau : Le jeu sortira évidemment sur ces plateformes. Il aura des éléments spécifiques pour chacune d’entre elles. Comme nous sommes encore en train de tester leurs capacités, je n’ai pas encore de réponse technique là-dessus. Les versions “Top” que nous faisons sur PC sont souvent beaucoup plus gourmandes que celles que nous faisons tourner sur console. Notre moteur nous autorise le développement en parallèle des versions PC et consoles ; mais la version de développement est la version PC, vision PC haut de gamme. En fin de développement, nous gérons les différentes configurations dont les consoles, en coupant certains détails trop gourmands. Par exemple, certaines ombres. Or les dernières plateformes sont visiblement plus proches des derniers PC haut de gamme.

Archaïc.fr : Ma dernière question permettra de raccrocher l’actualité de Greedfall aux Utopiales 2017. Leur thème était le temps. Est-ce que cette thématique aura une importance dans l’histoire de Greedfall.

J. Rousseau : Cela dépend ! (rires) Le voyage dans le temps, au sens Jules Verne du terme, non. Même si l’époque que l’on dépeint s’inspire beaucoup d’une époque historique réelle, cela ne reste qu’une inspiration. Il n’y a pas de fait historique. Comme vu dans le trailer, il y a des créatures aux pouvoirs étranges, donc cela reste parfaitement fictif. En revanche, dans le déroulement du jeu, comme souvent avec les productions Spiders, le temps a un impact important sur la narration. Dans une des conférences que j’ai faite aux utopiales, j’ai abordé avec les invités le temps dans les jeux de rôle. Il est toujours un peu particulier. Dans The Witcher, par exemple, au tout début, il faut absolument retrouver Ciri sous peine de fin du monde, ou presque, alors que le héros prend le temps de faire un nombre de micro-quêtes absolument absurde et qui n’ont, pour la plupart, aucun rapport avec la recherche de Ciri. C’est le traditionnel temps suspendu du RPG, dont tout le monde a l’habitude et qui n’est pas un problème. Dans Greedfall, on se permet un peu ça mais dans une moindre mesure parce qu’on a moins l’urgence dès le départ. Cependant, on a des événements qui vont se passer si le joueur traîne trop à faire certaines actions. A mettre avec des guillemets, car on n’a pas de compteur non plus mais des personnages nous rappellent certaines actions à mener. Et dans le cas où on ne les fait pas, des personnages peuvent quitter le groupe ou nous trahir. La temporalité est donc importante à mes yeux car elle apporte une dimension dramatique finalement assez peu utilisée dans le RPG. On veut pouvoir laisser le joueur faire du levelling et des quêtes mais cela a pour défaut d’enlever cette part d’urgence. Il faut jongler avec ça. Je ne dis donc pas que The Witcher le fait mal, au contraire : c’est un jeu extraordinaire, mais CD Projekt a fait un certain nombre de choix pour le bon déroulement de son histoire. Nous n’avons pas fait exactement les mêmes, d’abord car nous n’avons pas les mêmes moyens. Il faut dire ce qu’il est ! (rires) Mais on a essayé, quand même, de retrouver de la tension avec les réactions des personnages demandant que leurs requêtes soient traitées dans un certain timing.

Archaïc.fr : Merci beaucoup d’avoir de nouveau pris de le temps de nous répondre.