Rencontre avec Hironobu Sakaguchi

JulienC : Concernant The Last Story, il y a un point qui est très important à titre personnel pour M. Sakaguchi : depuis 18 ans, depuis FFV en fait, il n’avait pas officiellement eu le titre de Directeur, c’est-à-dire celui qui met les mains dans le cambouis, celui qui conçoit véritablement les différents rouages du jeu. Qu’est-ce que cela signifie pour lui cette implication totale dans l’ensemble des secteurs du jeu ?

M.Sakaguchi : En effet, cela fait depuis FFV, donc 18 ans. Ce qu’il faut préciser tout de même c’est que dans FFVI, j’étais crédité en tant que Producer, mais à cette époque, et même surtout à cette époque, la nuance de travail entre un Director et un Producer était très mince. Même un Producer mettait les mains dans le cambouis. Et finalement, j’avais pratiquement le rôle de Director, et ce, même dans les œuvres suivantes. C’est vrai qu’aujourd’hui, ça a un petit peu changé dans les créations actuelles. Mais pour The Last Story, on a eu un an plein de tests, d’essais pour trouver les bonnes idées pour notre gameplay. Il a vraiment fallu, pour que l’on trouve les bonnes idées et que l’on réalise ce que je voulais vraiment ressortir, que je sois présent au sein même de l’équipe de développement. Au vu de mon implication, je me suis pris le titre de Director. J’ai été content de retrouver les sensations de l’époque et j’espère retrouver cette position dans mes prochains jeux.

JulienC : Alors quand M. Sakaguchi n’est pas à Paris, ça lui arrive de faire autre chose. D’ailleurs si vous cherchez sur Google, vous verrez qu’il aime bien faire du surf. C’est en même temps normal, il habite à Hawaï. Et si M. Sakaguchi est à Hawaï, les équipes de développement sont au Japon. Alors, comment est-ce qu’on gère un développement malgré la distance? J’imagine qu’il y a de nombreuses allers-retours mais comment dans les faits cela se passe-t-il ?

M. Sakaguchi : Oui, aujourd’hui, avec les technologies que l’on connait, que ce soit les mails ou les chats vidéos, c’est quand même beaucoup plus facile de développer des jeux ou de rester en contact avec son équipe. Après, il est vrai aussi pendant la seconde moitié du développement de The Last Story, il a vraiment fallu que je sois auprès d’eux. Un maximum, pour que nous puissions peaufiner au mieux le développement. Mais comme ma famille restait à Hawaï, il a fallu que je fasse un certain nombre d’allers-retours. Ensuite, en effet, je fais un peu de surf. Et encore une fois, n’y voyez pas une blague ou une excuse, mais… vous savez quand on fait du surf, on attend que la vague arrive. Eh bien moi, c’est pendant que j’attends les vagues, que les idées me viennent le plus facilement. Par exemple, l’exemple du Gathering, que l’on appelle Magnétisme dans la version française de The Last Story, m’est venue pendant que j’attendais une vague au surf. Donc quand je manque un peu d’inspiration, je rentre à Hawaï et que je mets dans l’eau attendant la vague.

JulienC : Il n’a pas fait le jeu tout seul. On le sait. Il a des personnes très proches de lui qui lui ont permis de façonner cet univers. A la fois visuellement mais également musicalement. Est-ce qu’il peut nous présenter deux hommes ? Deux de ses bras droits, le premier, c’est celui qui a créé l’identité visuelle, il s’agit de Fujisaka-san…

M.Sakaguchi : Cela fait déjà un certain temps qu’il travaille dans l’univers du jeu vidéo et il a un style graphique vraiment impressionnant, que j’aime énormément. Je l’ai rencontré pour la première fois sur Blue Dragon, il ne faisait pas partie du staff de développement de Blue Dragon mais il travaillait dans la société. Je me disais qu’un jour, j’aimerais vraiment travailler avec lui. Je lui ai alors proposé lors de mon projet suivant, Cry On. Malheureusement, ce jeu n’a pas pu être édité et été annulé. Donc finalement tous ses travaux n’ont pas servi à grand-chose mais, suite à ce projet, nous sommes restés en contact. Et j’ai donc eu la chance de travailler avec lui sur The Last Story.

JulienC : A ses côtés, il y a une autre personne qui compte énormément, c’est monsieur Nobuo Uematsu. Nobuo Uematsu, ce sont les musiques des Final Fantasy, mais aussi celles de The Last Story. Est-ce qu’il peut nous raconter sa première rencontre avec monsieur Uematsu ?

M. Sakaguchi : (rires) En fait, quand j’étais employé à mi-temps chez Squaresoft, à mes débuts, je travaillais déjà sur des jeux vidéo. J’avais entendu que dans le quartier des bureaux de Square, il y avait un musicien. Je ne le connaissais pas très bien mais j’avais entendu dire qu’il faisait des cassettes pirates et qu’il les revendait. C’était le boulot de monsieur Uematsu à l’époque. Et puis un jour, alors que je me baladais, je l’ai croisé en train de vendre ses cassettes pirates. Je lui ai demandé « Vous ne voudriez pas faire des musiques pour nous par hasard ? » et il a fait « Si, ok je viens ». Et voilà comment ça s’est fait. (rires)

JulienC : Et voilà ce qui va nourrir 25 ans d’amitité… Je crois d’ailleurs que cette amitié est si forte qu’il a une manière d’appeler monsieur Uematsu qui n’est pas celle que l’on qualifierait ses collègues tous les 4 matins…

M.Sakaguchi : Tous les deux on se connaît depuis maintenant 25 ans. Nous nous voyons encore régulièrement et allons souvent boire des coups ensemble. Même en privé, pas uniquement dans le cadre du travail. C’est pratiquement ma deuxième femme aujourd’hui. Pour The Last Story, quand je lui ai demandé de travailler avec nous, j’avais en tête un tout nouveau gameplay, totalement différent de ce qu’on avait pu faire auparavant, que ce soit dans les FF ou nos autres RPG. D’habitude, avec lui, quand je lui envoie le scénario, il nous compose deux-trois musiques, et généralement, ça correspond exactement à ce qu’on attend. Là, bizarrement, et ça n’était pas arrivé depuis le premier Final Fantasy, les trois musiques qu’il m’a envoyées ne correspondaient pas du tout à ce que nous voulions faire. Donc je lui ai dit « Ecoute, désolé mais ça ne va pas, il va falloir que tu recommences les trois musiques ». Et pendant un mois, silence radio. Je me suis dit, « Voilà, 25 ans de vie commune, c’est fini, c’est le divorce ». Absolument aucune nouvelle de lui. Et puis au bout d’un mois, j’ai enfin réussi à rentrer en contact avec lui. Il m’a envoyé ses trois nouvelles musiques, et ce sont les musiques qui sont désormais dans le jeu The Last Story. J’étais rassuré de pouvoir me dire « C’est bon notre mariage peut continuer ».

JulienC : Je me rappelle d’ailleurs que ça a été mon premier contact avec The Last Story. Il y avait le site avec cette musique de Nobuo Uematsu qui, vous l’aviez peut-être entendu à l’époque, mettait tout de suite dans l’ambiance.

M. Sakaguchi : Moi aussi, je suis vraiment fan de la musique de cet épisode là.


Page 1 | Page 2 | Page 3 | Page 4 | Page 5 | Page 6

Précédent 1 2 3 4 5 6 Suivant

  1. Franchement, je tire mon chapeau sur ce compte-rendu. Très intéressant, très complet, très instructif. A se demander pourquoi tous les CR d’events ne se présentent pas sous cet aspect complet et instructif (le décor, buffet et le goût du champagne, ça nous avance vachement quand même).

    Bon, par contre, c’est à se demander ce qu’on peut faire de cette paumée qui a osé poser la question interdite. Faut-il la pourchasser dans la nuit avec les fourches traînant dans les vieilles bicoques de jardin ou la brûler vive ? Pas que le côté remake de FFVII me dérange tant que ça (oh que si en fait) mais autant poser la question à la personne concernée par la chose ^^ »

    1. Oui, j’ai préféré me concentrer sur les dires du monsieur… faute de buffet et de champagne…
      Et heureusement qu’il n’y en avait pas d’ailleurs : moins c’est bling bling, mieux c’est. 🙂

      J’aimerais souligner la réponse de M.Sakaguchi à la dernière question, qui bien que totalement à côté de la plaque, a eu le droit à une réponse extrêmement polie et sérieuse. Certes, il était là pour faire de la promo mais je ne suis pas persuadé que d’autres réalisateurs/directeurs/producteurs auraient tenu pareille réponse. ^^

      1. Ouais, ni champagne, ni petits fours, ni places assises d’ailleurs. C’est pas que c’était organisé avec les pieds, mais on n’en était quand même pas trop loin.

        En tous cas, excellent compte-rendu Vidok. Bon, bien sûr pas vraiment de nouveautés par rapport à ce que j’avais déjà entendu du discours de Sakaguchi, mais un travail très sympa de complément et de documentation pour approfondir le truc, à la manière ce que tu avais fait pour l’interview d’Eric Chahi et de Jehanne Rousseau aux Utopiales. Personnellement, j’aime beaucoup la formule : c’est simple, ça reste fidèle à la rencontre, mais tu apportes une valeur ajoutée.

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *