Interview Of Orcs and Men : Olivier Derivière

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Archaïc : Tu as justement abordé Of Orcs and Men. Il se trouve que c’est notre sujet du moment sur Archaïc – ça tombe bien. Comment as-tu été amené à travailler sur ce jeu ?

O.D. : Sylvain Prunier, l’audio director de Spiders et de ce projet, m’a contacté en mars 2011 en me disant qu’il commençait à travailler sur Of Orcs and Men et qu’il avait besoin d’un compositeur. Je connaissais Sylvain et je savais qu’il s’agissait d’un audio director profondément passionné par la valorisation du son. Il faut savoir que Spiders est un tout petit studio, pourtant quand tu regardes les graphismes d’Of Orcs and Men, à aucun moment tu te dis qu’ils n’ont été que 19 à bosser sur le jeu. Tu mets côte à côte deux screenshots, un d’Assassin’s Creed 3 et Of Orcs and Men… ok, une fois en mouvement, il n’y a pas photo, mais tu ne vois pas au premier coup d’œil qu’Of Orcs and Men n’a été fait que par 19 mecs pendant un an et demi. Sylvain fait partie de ces gens-là, des gens d’une extrême qualité et humilité. Par conséquent, quand il m’a contacté, j’ai été intéressé, non seulement car c’était son projet, mais en plus c’est tellement rare que l’on vienne me le demander… Il faut savoir que d’habitude, je dois taper aux portes des studios, me présenter, etc… une vraie galère. Les gens pourraient penser qu’après les gros jeux que j’ai fait, ma carrière est toute tracée, mais non. Je suis allé chercher Remember Me, ou Tangled. Il n’y a vraiment qu’Of Orcs and Men pour lequel on est venu à moi pour me demander si cela m’intéressait. Il y a une véritable démarche de leur part, à l’inverse de la plupart des autres studios qui te demandent de réaliser une musique de 2, 3 voire 10 minutes parfois, gratuitement, pour la mettre ensuite dans un pot où 5-6 autres compositeurs auront fait la même chose – voire 10-15 compositeurs, pour te situer l’ignominie du mécanisme – disséminés partout dans le monde, toujours gratuitement, juste parce que le studio ne sait pas ce qu’il veut. Tu envoies ta composition malgré ce fonctionnement et le peu d’informations que tu as reçues – un petit texte et quelques photos – et, forcément, tu tapes à côté. (rires) Je remercie donc Spiders d’être venus me chercher. Sylvain avait bien compris à la vue de mon travail que je pouvais apporter quelque chose, quelque chose qu’ils n’avaient peut-être pas imaginé. C’est alors qu’en me parlant du projet, lorsqu’ils ont abordé le fait que le récit allait traiter d’orques et d’humains, tout de suite, je leur ai dit que s’ils désiraient des musiques à la Seigneur des Anneaux, ce n’était pas la peine de compter sur moi. Aussitôt, ils m’ont rétorqué qu’ils voulaient quelque chose de plus personnel.

Jehanne Rousseau, la directrice du studio, si l’on peut dire vu qu’elle fait tout (rires), est venue me voir en me disant « C’est Dark et brutal ». Ensuite, Thomas Veauclin de chez Cyanide a précisé « avec une certaine mélancolie ». Tout est parti de ces trois mots-là. Ils voulaient une certaine proximité avec l’orque principal. Sans spoiler le jeu, la narration est basée sur les raisons de sa quête, donc l’équipe voulait en quelque sorte « humaniser » l’orque. Il fallait de véritables instrumentistes pour rendre cela possible, d’où le Boston Cello Quartet. Pour convaincre un peu tout le monde, avec Sylvain … Je me rends compte que je suis en train de tout te raconter sans te laisser me questionner ! (rires !)

Archaïc : Vas-y, vas-y, je raye les questions au fur et à mesure. (rires !)

O.D. : Avec Sylvain donc, nous sommes allés enregistrer un ami violoncelliste pour montrer à Spiders, Cyanide et Focus ce que pouvait donner un violoncelle, dans le but de montrer ce que cet instrument pouvait apporter à l’univers. Cela a conquis tout le monde. Du coup, quatuor de violoncelles et percussions, c’est tout. Voilà comment ils m’ont approché et comment JE les ai approchés. Je considère que c’est une véritable collaboration, et non une simple commande de leur part. La créativité ne peut pas fonctionner ainsi.

Archaïc : Nous pouvons donc considérer qu’il y a eu un véritable échange entre toi et Spiders.

O.D. : Toujours. Je ne travaille qu’avec une proximité physique. Quand je fais Obscure et Obscure II, je suis à peu près 3-4 jours par semaine chez Hydravision. Quand je fais Alone in the Dark, je suis installé dans le studio à Lyon, avec eux. Bon, pour Raiponce, j’avais 2 mois pour écrire 70 minutes de musique, je t’avoue que je me suis enfermé dans mon studio et n’ai pas pu voir le jeu pendant ce laps de temps. En ce moment pour Remember Me, je suis à Paris pour être proche de Dontnod. J’ai fait récemment Harold, un jeu indépendant : je suis resté six mois avec les développeurs à Miami. J’essaie toujours d’être près du jeu, c’est la seule façon pour boire et comprendre le jeu. D’autant que cela va tellement vite un jeu, que si tu ne suis pas son évolution, tu ne sais pas ce qu’il se passe. Tout dépend tout de même de son style. Un Jeremy Soule n’a pas besoin de ça. Bethesda a du lui dire « T’as la forêt, tu te balades dedans et voilà ! ». (rires) Tu vois ce que je veux dire ? C’est beaucoup plus simple, car ce qu’il écrit est détaché de tout script vu que c’est un monde ouvert. Alors que de mon côté, c’est plus scripté. C’est d’ailleurs ce qui est reproché à Remember Me, en espérant que cela soit compris plus tard, mais c’est également ce que l’on trouve dans Of Orcs and Men. C’est très scripté. C’est donc un travail au quotidien.

Archaïc : As-tu pu participer à l’orientation du développement d’Of Orcs and Men? Voire apporter des idées de level et game design ?

O.D. : J’ai fait ça pendant de longues années, sur Obscure, Obscure II, Alone, … dernièrement Harold. Je le fais sur certaines productions, mais il y en a d’autres où j’évite car ce n’est clairement pas mon rôle. Quand un studio suit les directives d’un éditeur, d’un producteur, c’est inutile de venir donner ses idées et ajouter de la confusion. Sur Of Orcs and Men, j’ai aidé en tentant d’apporter des solutions à un problème, mais jamais proposer de nouvelles fonctionnalités.

Archaïc : Jouais-tu pour t’imprégner de son ambiance ?

O.D. : Ah complètement, je suis manette en main, et je joue au jeu tel qu’il sera. A la différence du film, quand tu le regardes, que tu sois réalisateur ou spectateur, tu es passif. L’action se déroule sans que tu n’interviennes. Mais dès lors que tu es actif, la manière cognitive avec laquelle tu acceptes les choses est totalement différente. Le cognitif du film réside dans les yeux et les oreilles, le cerveau ne travaille pas. Tandis que dans un jeu, le focus se fait essentiellement sur l’information. On se demande alors ce que le joueur doit à un instant donné savoir de son expérience, et ce qu’il doit ressentir. Et pour pouvoir se mettre à la place du joueur, il faut bien jouer. Imagine une scène immense de bataille avec une musique qui explose. Normal. Mais au milieu de cela, ton héros est en train de mourir. La musique ne colle alors pas du tout à la scène : le fait marquant n’est pas la bataille mais le héros en train de mourir. L’émotion réside donc ici et je veux transmettre complètement cette émotion au joueur. Dans la plupart des jeux actuels, quand ce genre de scène se déroule, les développeurs font intervenir des battements de cœur et autres artifices qu’on connait. Moi je recherche comment faire évoluer la chose pour que le joueur ait l’information autrement qu’avec des battements de cœurs ou de petits bip bip. Il faut donc jouer. Dans le jeu vidéo, la théorie, c’est très bien, mais dès que tu as la manette en main, elle montre toutes ses limites.