Interview Of Orcs and Men : Olivier Derivière

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Archaïc : J’imagine que tu dois être également critique en termes de compositions dans les jeux auxquels tu joues. Un compositeur favori ?

O.D. : Dans le jeu vidéo, il y en a un : Jeremy Soule. Je vais dire une généralité qui se révèle malheureusement tellement vraie : si le jeu vidéo devient un hit, alors la musique sera considérée par les gens – au sens large – comme très bonne. Alors que tu prends la même musique et tu la mets sur un jeu vidéo de merde, les joueurs vont te dire qu’elle est sympa sans plus. Là où Jeremy Soule est, je pense, différent, c’est qu’il n’en a rien à faire du jeu et de ses mécaniques de gameplay. Tandis que moi, ce qui me fascine, ce sont les mécaniques de gameplay et comment la musique peut intervenir là-dedans. Jeremy Soule s’en fiche, et peut-être a-t-il raison. Pourquoi ? Car il fait un jeu qui est contemplatif (la série des Elder Scrolls) et il écrit des musiques intelligentes, qui te portent. Tu bénéficies d’une véritable narration musicale. Tu obtiens une « playlist » orchestrale enivrante car il écrit super bien. C’est d’autant plus amusant qu’il n’utilise pas de véritable orchestre, uniquement des « sample », mais il arrive à donner une couleur unique à l’univers. En tant qu’auditeur averti, tu n’accrocheras pas forcément à la musique et ses violons ; mais en tant que joueur, tu reconnais tout de suite Oblivion ou Skyrim. C’est là où tu te dis que c’est un vrai musicien… Concernant les autres compositeurs… certains sont excellents, ils font du travail incroyable pour leur propre musique, même si c’est surtout de la production. Leur musique sonne bien car ils ont les moyens de la faire sonner ainsi. Tu as également les compositeurs japonais qui sont complètement différents, et surtout qui sont considérés comme des demi-dieux et sont acclamés par tous. Ils apportent beaucoup de choses musicalement et orchestralement. C’est très bien, car les occidentaux, à part proposer du Batman en boucle, ou repomper des morceaux à droite à gauche en criant au génie, il n’y a pas grand-chose. Je ne leur jette pas la pierre, c’est la faute au medium, de l’industrie du jeu vidéo. Les gens en bout de chaine veulent copier Hollywood. Et de l’autre côté de la chaine, il y a les compositeurs qui désirent à la fois réaliser leur propre musique et gagner de l’argent… Il faut avoir une chance inouïe pour avoir des développeurs qui te laissent carte blanche sur un jeu. C’est super rare. Dans mon cas, c’est un combat au quotidien.

Archaïc : Et tu l’as eue cette liberté dans tes jeux ?

O.D. : Je l’ai toujours eue sinon je ne faisais pas le jeu. J’ai eu l’opportunité de faire de beaux jeux, de très beaux jeux même. Mais j’ai finalement refusé car je considérais que je n’étais pas le mieux placé pour ces jeux-là. « Merci de faire appel à moi mais je ne suis pas capable de faire ce que vous demandez », ai-je répondu, car refaire du Batman ou du John Williams, ce n’est pas possible pour moi. Il n’y a qu’un jeu que j’ai accepté malgré la contrainte, c’est Tangled, Raiponce chez nous. La demande était de faire des musiques dans le style Disney. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que l’équipe ayant réalisé le jeu Raiponce, a en partie fait Giants The Citizen Kabuto et MDK 2. Je me suis alors dit « Eh mais… ce sont les mecs qui ont fait MDK ! », du coup, j’ai accepté de suite, mais à une condition : pouvoir faire ce que je veux, dans le style Disney, sans rien reprendre du film. Disney a accepté et ça s’est fait. Bref, il n’est pas question de snober des jeux, c’est juste que mon style et mon état d’esprit ne correspondent pas toujours à ce que les développeurs désirent faire.

L’industrie du jeu vidéo est une industrie exaltante – car tout reste à faire – mais elle sait être très frustrante du fait que les éditeurs doivent être rassurés en raison des risques énormes qu’ils prennent.

Archaïc : Tu abordais le cas de ton style ne collant pas forcément à tous les projets : comment le définirais-tu ?

O.D. : Eh bien c’est une question que l’on me pose souvent. Je dirais Orchestral. J’en ai pourtant un peu marre de l’orchestre, je n’ai jamais considéré l’orchestre comme une finalité. Même s’il y a orchestre et orchestre. Il y a l’orchestre pré-Hans Zimmer et post-Hans Zimmer. L’orchestre pré-Hans Zimmer, c’est l’orchestre à la John Williams, l’orchestre symphonique de folie où tu te demandes comment le mec a pu faire, à l’époque, pour pondre ça. De nos jours, il y en a qui arrivent à faire comme lui, mais aussi bien que lui, je n’en ai pas encore vu. Et post-Hans Zimmer, c’est le fait de mettre le micro devant le trombone-basse pour tout exploser, en plus l’ensemble est super compressé et manque de dynamique, c’est-à-dire que tu ne sens plus les volumes faibles de violons vis-à-vis des volumes haut des cuivres. Tu obtiens l’impression que tous les musiciens sont des métalleux. C’était au début quelque chose de génial, quand nous l’avons découvert au travers de The Rock par exemple. A l’époque, j’avais sauté au plafond en me disant que c’était enfin quelque chose de nouveau. Par contre, ce que je n’avais pas anticipé, c’est que les compositeurs finiraient par ne faire que trois notes en boucle avec une prod’ comme ça. Cela en devient même ridicule, mais dans un cinéma, ça passe très bien…

Pour en revenir à ta question sur mon style (rires). La plupart des éditeurs pour leur gros jeux veut de l’orchestral, mais ce n’est pas nécessaire pour tous les projets, typiquement des Deus Ex ou des Splinter Cell. Mon style se base beaucoup plus sur la discussion que j’ai avec le Creative Director que sur mon style personnel de compositeur. Je considère que je suis encore jeune – bien que de moins en moins, 33 ans passés, ça commence à faire – et ce serait triste si jamais j’avais déjà mon style me faisant tourner en rond. Je ne veux pas que l’on m’appelle pour me dire « Je veux que tu refasses ce que tu as fait là », je veux absolument éviter cela. C’est pour cela que je cherche des jeux hyper identitaires, cela me permet de me retrouver face à des situations où tu es totalement ignorant quant à la façon de procéder… bon, c’est également là où tu flippes. C’est pourquoi je fais Obscure en mélangeant un chœur d’enfant avec des guitares électriques, quatuor de violons et des sons électroniques, puis Alone in the Dark avec un chœur de voix bulgares et un petit orchestre, Of Orcs and Men, avec un quatuor à cordes de violoncelles…

Et aujourd’hui, Remember Me avec un live orchestra. D’ailleurs… Ça y est, je vais enfin enregistrer un véritable orchestre ! Youhou ! (rires !)

Archaïc : (rires)

O.D. : C’est vrai quoi : des orchestres ont joué mes morceaux mais je n’ai jamais pu en enregistrer un. Mais nous allons défoncer l’orchestre, cela va être rigolo… (rires) On va faire des trucs electro, cela va être n’importe quoi… D’ailleurs, dans les commentaires que j’ai pu lire sur les présentations du jeu, la moitié trouve cela nul, l’autre moitié génial et les gens du milieu se demandent si le son ne buggue pas. La musique de Remember Me ne fera pas l’unanimité comme l’avait fait celle d’Alone in the Dark, alors que ce dernier a fait un flop total en termes de ventes. Bref, mon style, c’est le jeu vidéo, contrairement à beaucoup de compositeurs qui ont leur style et qui l’appliquent au jeu vidéo. Ma façon d’écrire et de composer est réellement déterminée par les mécaniques de gameplay.