[dropcaps style=’2′]Des jeux de guerre, il y en a plein, partout, tout le temps. Des jeux de guerre qui abordent le sujet avec recul et intelligence, il y en a beaucoup moins. Valkyria Chronicles est l’un d’eux : plus que tirer sur des avatars sans âme, plus que donner des ordres à des micro-unités impersonnelles, le jeu de Sega s’efforce au mieux de traduire la dureté du conflit, les ravages de l’idéologie, le poids de la stratégie. Six ans après ce premier épisode aujourd’hui de retour sur PC, c’est avec à la fois admiration et émotion que je constate à quel point il a réussi.[/dropcaps]
Valkyria Chronicles est un Tactical-RPG au tour par tour relativement unique en son genre, car il troque la traditionnelle Héroïc-Fantasy pour le conflit militaire façon 20e siècle. C’est en fait comme si Fire Emblem était transposé en 1935. Un puissant Empire décide d’envahir la principauté de Gallia pour faire main basse sur ses (abondantes) ressources. La mobilisation générale est lancée et vous voilà à la tête d’une escouade d’une trentaine de personnages (le nombre d’unités à choisir variant selon les missions) avec tous leur identité et un petit background qui leur est propre. Vos hommes sont divisés en 5 classes : Eclaireur, Tirailleur, Mécano, Anti-Tank et Sniper. A ceci il faut ajouter le Tankiste, unique, puisque ce n’est autre que le héros nommé Welkin Gunther. Vous l’aurez deviné, toutes ces classes ont leur caractéristiques propres (HP, évasion, défense, vitesse, etc.) et un type d’arme particulier qui font que toutes se jouent d’une manière radicalement différente. A vous de les faire se compléter efficacement aux gré des terrains et des batailles, notamment en gardant un position stratégique, car 5 mètres de trop peut parfois signifier la mort.
Car voilà le point très important de Valkyria Chronicles par rapport à ses suites sur PSP : dans ce 1er épisode, les personnages meurent définitivement s’ils passent 4 tours avec les HP à zéro, ou si un ennemi atteint leur corps sans vie. Comme dans Fire Emblem, on se sent proche des personnages et impossible de les voir comme de la chair à canon façon STR. Ce simple fait plonge d’entrée le joueur dans la guerre, la vraie. Ici, pas de checkpoint tous les 50 mètres, chaque décision compte et la pression est énorme. Il est certes possible de sauvegarder en cours de mission, mais ne pensez pas pour autant que cela fera de votre campagne une promenade de santé! En effet, les différentes missions sont retors à souhait, et toutes très différentes les unes des autres dans leur approche. Vous aurez des batailles urbaines, en plaine, dans le désert, un débarquement, une gigantesque guerre de tranchées, des duels de snipers et même de l’infiltration et une mission de sauvetage! L’Empire, largement supérieur en hommes et en matériel, ne vous laissera jamais souffler une seule seconde : vous avancerez sous la menace des canons et des blindés ennemis, traverserez des champs de mines et des pluies de tir d’artillerie, et affronterez des généraux surpuissants (voire invincibles!) et des prototypes délirants dont je vous laisse la terrible surprise. Le brouillard de guerre est par ailleurs à l’ordre du jour pour une immersion intégrale. Ce déséquilibre des forces en présence, ce sentiment de guerre totale et sans merci apporte une grande tension, mais aussi une joie décuplée quand s’affiche enfin l’écran de victoire après 1h-1h30 de lutte acharnée (les missions sont très très longues). L’ambiance de guerre est encore renforcée par les transmissions régulières que vous recevez de vos alliés ou celles de l’ennemi que vous interceptez.
Dans le détail, la gameplay se révèle largement plus complexe que Fire Emblem. En plus des cinq classes qui offrent davantage de profondeur que ce dernier, vous pouvez rappeler vos hommes pendant la partie ou en mobiliser d’autres en fonction de la situation du front. Ceci se fait à partir de votre camp de base, ou des camps intermédiaires disséminés sur la carte qu’il faudra prendre à l’ennemi. Attention, car parallèlement, l’Empire ne se gêne pas non plus pour appeler des renforts! Une autre chose à considérer est la 3D et la profondeur de champ : il est capital d’avoir à l’esprit la portée des différentes armes dans l’établissement de la ligne de front. La présence de snipers ou de blindés ennemis exigera souvent de progresser à couvert, idéalement derrière votre propre tank.
Tous vos personnages ont des «potentiels» qui les rendent plus ou moins efficaces dans certains environnements/situations. Certains personnages ne s’apprécient pas entre-eux, et perdront légèrement en stats s’ils sont mis ensembles. Marina par exemple apprécie la solitude et gagne en précision lorsqu’elle est seule derrière vos lignes. Certains sont meilleurs dans les milieux naturels, d’autres dans les milieux urbains. D’autres encore sont plus habitués à la pénombre et se révéleront d’une aide précieuse au cours des missions nocturnes. Bref, de nombreux paramètres additionnels à prendre en compte au moment d’établir votre plan d’attaque. En cas de difficulté, vous pourrez provoquer un boost de stats sur une ou plusieurs unités, ou forcer d’autres actions. Quand vous adoptez une posture défensive, il est bon de donner un ordre pour augmenter la défense de vos personnages pour un tour. Autre exemple, l’ordre «retraite» peut sauver la mise à un personnage KO trop excentré pour qu’un autre de vos hommes puisse le faire évacuer. Le revers de la médaillle, c’est que ces ordres sont coûteux en points d’action, les «CP» (Command Points) qui sont aussi consommés pour le tour d’un personnage. Là encore, Valkyria Chronicles ne vous fait pas de cadeau, car les généraux Impériaux donneront leurs propres ordres pour ralentir votre progression.
Dans Tactical-RPG, il y a RPG, et le titre de Sega en conserve largement les traits. Chaque classe gagne des points d’expérience et monte de niveau à mesure que vous les attribuez au centre d’entraînement. Le jeu étant comme on l’a vu plutôt complexe et la difficulté sans compromis, des petites sessions de levelling seront possibles en mode escarmouche (qui sont certaines missions principales en plus corsé). Il faudra aussi souvent passer par le centre R&D pour améliorer vos armes. Principauté pacifique, Gallia dispose d’un équipement plus que perfectible au début du conflit : les fusils snipers et les lance-roquettes sont imprécis, les mitrailleuses & carabines manquent de puissance et de portée, ce qui rend les headshots indispensables. L’Edelweiss (votre tank) aura très vite besoin de renforcements pour percer les divisions adverses. Vous pourrez toutefois faire saisir certaines armes de l’ennemi en abattant les «As» impériaux, des unités d’élite disséminées tout au long du jeu.
Même s’il est vieux de 6 ans et que clairement le niveau de détail n’est pas celui qu’on pourrait attendre aujourd’hui, Valkyria Chronicles m’émerveille presque comme au premier jour. Le moteur du jeu, appelé Canevas et donnant le rendu d’une aquarelle, n’a jamais été repris ou imité (sauf peut-être un peu dans Gravity Daze). Les animations restent riches et précises, ceci contrastant toutefois avec la raideur des unités adverses. A des années lumières d’un STR classique, les couleurs pètent le feu, notamment dans les cinématiques en temps réel qui m’ont remis une claque une génération plus tard. Au-delà de ça, c’est le design venu ne nulle part qui fait mon attachement à ce jeu. Valkyria Chronicles reprend pour ses personnages les codes de l’anime et du manga, avec une touche de cel-shading, ce qui est très rare (voire unique) dans le domaine de la stratégie militaire. De nombreux personnages, Alicia et Selveria en tête (cette version PC incluant d’ailleurs l’excellent DLC la mettant en scène + celui d’Edy), exercent sur moi une fascination sans faille et ce depuis le premier jour. Évidemment, cela casse les habitudes des jeux de guerre PC, mais les plus nippophiles y trouveront sûrement leur compte. Valkyria Chronicles est bourré de petits détails visuels qui font que, en dépit de l’inspiration historique évidente, le jeu (et la série encore plus après lui) se crée son propre univers riche et cohérent comme les plus grands JPRGs avant lui.
Avant-dernier point et pas des moindres, l’histoire de Valkyria Chronicles m’a marqué comme rarement ans ma vie ludique. La gravité, le drame et l’émotion dépassent largement toutes les intermèdes humoristiques entrecoupant certains chapitres. Le seul souvenir des moments forts de ce jeu me serre le cœur encore aujourd’hui. Le caractère oppressant du conflit est superbement rendu par la mise en scène très posée, pesante même et au moyen de certains thèmes musicaux très sombres comme Valkyria’s Omen ou War with the Empire. A côté de cela, quelques symphonies plus héroïques comme le mythique Final Decisive Battle impriment merveilleusement le thème de la reconquête. C’est l’une des rares OST, avec certains Final Fantasy et Deus Ex Human Revolution, qui n’a jamais quitté mes oreilles depuis que je l’ai connue.
La grande qualité de Valkyria Chronicles, c’est également la puissante réflexion qui en émane. L’œuvre de Sega est une allégorie saisissante des grands conflits européens et des errements auxquels ils ont conduit. Que ce soit la folie de la course aux armements, la duplicité de la diplomatie, les dissensions de commandement, la brutalité de l’invasion, les crimes de guerre et bien sûr le poison lent de l’idéologie et de la xénophobie avec le couple Rosie/Isara, tous ces thèmes ont un écho semblable à un grand film de guerre qui est d’ailleurs encore plus fort si l’ont considère l’ensemble de la trilogie. D’autant que Valkyria Chronicles fait cela tout en refusant le manichéisme à l’américaine qui veut que ceux d’en face sont tous des méchants sans foi ni loi et que les gentils ont toujours raison. Non, la guerre, c’est jamais le Bien d’un côté et le Mal de l’autre, et ce jeu a raison de le montrer : votre propre nation ne se gênera pas pour commettre des crimes de guerre et vous envoyer dans des missions suicide (ce qui sera encore plus développé dans le 2 et le 3). A l’inverse, il souligne bien que dans un conflit, la douleur est partagée dans les 2 camps, chose que les autres media ne font pas toujours. Valkyria Chronicles est un livre ouvert, dans la forme comme dans le fond, dans la narration comme dans la réflexion. Il est efficace au même titre qu’un Metal Gear Solid ou qu’un Fire Emblem Path of Radiance, titres qui avant lui firent l’effort de réfléchir sur la guerre au lieu de juste la montrer.
Soyons clairs, Valkyria Chronicles n’est pas juste un super-jeu ou un méga-hit : c’est un titre que je classe aux côtés de chef-d’œuvres immortels comme les plus grands Final Fantasy ou Fire Emblem. Beau dans tous les sens du terme, fascinant par son design, ludiquement exaltant, richissime dans son gameplay, il me procure encore aujourd’hui sur cette version PC une expérience si forte que toute une génération n’a pu égaler. C’est dire combien en 2008, Valkyria Chronicles était en avance sur son temps.