Hotel Dusk : Room 215

Hotel-Dusk_Jaquette[dropcaps style=’2′]Hotel Dusk : Room 215, c’est tout un concept auquel il faut au préalable se mettre en condition avant de pouvoir apprécier le périple à sa juste valeur. Prenez vos DS à la verticale, installez-vous bien confortablement, faites le vide dans votre esprit… Et pendant que vous y êtes, faites le vide autour de vous : enfermez les gosses dans le placard – bâillonnez-les au passage, au moins ils ne vous dérangeront pas – envoyez monsieur dans la boîte de charme du coin ou madame faire du lèche-vitrine au centre-ville avec son clan de langues de putes – rayez la mention inutile selon votre propre cas – et instaurez silence, calme et sérénité à l’endroit où vous aurez jeté votre dévolu. Vous l’aurez compris, jouer à Hotel Dusk, c’est comme lire un bon bouquin et inutile de dire que l’expérience sera nettement moins concluante si les conditions idéales ne sont pas réunies pour en profiter pleinement.[/dropcaps]

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Vous suivez la descente aux enfers de Kyle Hyde, brillant flic de son état, qui s’est vu obliger de tuer son coéquipier Brian Bradley. Comment en a-t-il pu en arriver là ? Impossible de le savoir réellement puisque même le bourreau lui-même semble en proie à moult questionnements. Dont il semble avoir du mal à trouver quelconque réponse malgré de nombreux sacrifices de sa part afin de les rechercher elles, ainsi que Bradley dont on n’a jamais réussi à retrouver le corps. Trois ans plus tard, on retrouve Hyde, toujours à la poursuite du cadavre et fantôme de son ancien partenaire. Les choses ont bien changé pour lui : adieu l’inspecteur fringant, il mène sa barque en tant que misérable représentant pour une petite société de produits ménagers, Red Crown. Pour quelqu’un connu pour sa grande part d’asociabilité le rendant rustre et relativement insensible à l’égard d’autrui, voilà un bien beau comble que de le voir maintenant réduit à faire du porte-à-porte. Malgré tout, au vu de son manque total d’implication dans sa reconversion professionnelle et son caractère absolument incompatible avec les métiers intimement liés à la vente, on a tôt fait de découvrir que son nouveau job n’est en fait que la face visible de l’iceberg. Ed, le patron de la société, a confié à Hyde des missions sous le manteau consistant à retrouver des objets perdus, boulot un poil plus excitant pour un ancien policier que celui de vendre des produits à on ne sait quelles ménagères. En échange de ses indéniables compétences en la matière de fouineur, Ed laisse à son employé la liberté d’enquêter comme bon lui semble au sujet de Brian Bradley. La situation faisant que tout le monde s’y retrouve, le jeu s’ouvre sur l’arrivée de Hyde dans l’hôtel Dusk, motel miteux situé dans le désert au milieu de nulle part, dont la seule particularité serait qu’une de ses chambres exaucerait le vœu le plus cher de quiconque y passerait la nuit. Réalité ou simple attrape-nigauds ? En attendant, le but de Hyde n’est pas forcément de s’occuper de ce genre de légende folklorique puisqu’il a pour mission de retrouver un objet mystérieux avant le lendemain. Ce qui l’amènera à vivre une nuit surprenante, riche en secrets intimes dissolus des protagonistes présents dans l’hôtel et révélations sur ses propres recherches, qu’il ne sera pas prêt d’oublier.

Hotel-Dusk_Screen-001Afin de rendre l’aventure le plus confortable possible, il est important de savoir à quoi on a affaire avec Hotel Dusk : Room 215. Si l’on devait faire des comparaisons avec d’autres softs existants, il ne serait pas incongru de citer la série des Phoenix Wright en ce qui concerne certaines constructions types du jeu. Il en va sans dire que Hyde ne sera pas le seul pèlerin dans le motel durant cette nuit-là et les autres clients ne se gêneront pas pour se manifester et ils représenteront tous autant qu’ils sont des personnages plus ou moins importants de l’intrigue. A force de les croiser et discuter avec eux, on sera vite confrontés à leurs secrets – souvent les plus intimes – qu’on sera amenés à connaître et agir en fonction de ceux-ci. Prêter une oreille compatissante afin qu’ils se déchargent de leurs fardeaux et les aider sera pour l’ancien flic une des nombreuses choses qu’il aura à faire durant sa nuit riche en événements. Des principes que l’on retrouve justement dans la série des Ace Attorney même si leur mise en place est bien différente. Autrement, il se dégage d’Hotel Dusk : Room 215 une aura indéniable de polar, ce qui peut le relier d’une certaine manière à un L.A. Noire auquel on aurait occulté tout son côté GTA-Like (à comprendre, action et conduite). L’ambiance polar est posée en terme esthétique et musicale, de même qu’on y trouve un rythme lent caractéristique du style qui est ici plus emprunt au courant littéraire plutôt qu’au cinéma comme l’orphelin de la Team Bondi.

En même temps, un tel choix est particulièrement logique vis-à-vis de la différence de support. Jamais une DS ne pourra se permettre un quelconque réalisme cinématographique au vu de ses capacités techniques contrairement à une PS3, une Xbox 360 ou même un bon PC de compétition. Et au vu des possibilités offertes par la console portable de Nintendo, présenter le récit d’Hotel Dusk : Room 215 comme une sorte de livre interactif – tenir la console à la verticale, grande caractéristique du jeu, renforçant sans conteste cet état de fait – était comme une évidence. Mais si l’on devait revenir à cette histoire de comparaison avant d’aller plus loin, pour se donner une petite idée de l’atmosphère générale du soft, on peut dire qu’il y a un soupçon de Phoenix Wright plus mature et américanisé et une petite tranche de L.A. Noire plus décontracté et moins sombre.

Hotel-Dusk_Screen-002On s’en arrêtera aux thématiques liées à l’écriture du jeu en général avec les comparaisons d’autres softs « externes ». Car en terme de gameplay pur et dur, ce sera plus auprès du studio de développement lui-même qu’il faudra se pencher pour comprendre un peu comment Hotel Dusk : Room 215 fonctionne, tout particulièrement auprès de ses travaux passés. On devait à Cing la série à deux opus des Another Code (le premier étant sorti sur Wii et DS, le second uniquement sur le second support). Force est de constater que cela se voit au premier coup d’œil malgré le changement d’univers. Les développeurs peuvent donner l’illusion de brouiller les pistes en tournant la console d’un quart de tour qu’on ne s’y trompera pas pour autant : rien que de voir le personnage de Mila dans l’introduction de Hotel Dusk et on pensera d’emblée à Ashley, l’héroïne d’Another Code.

De même qu’ils peuvent changer le point de vue en ce qui concerne le déplacement, on retrouve le même principe d’emploi du double-écran. Malgré tout, on ne peut que saluer l’initiative de Cing d’avoir revu sa copie : s’orienter via un plan de la pièce en vue de dessus ou l’on se trouve avec, en complément, le paysage en 3D en vue subjective pour observer plus en détail les décors sur l’autre écran, c’est quand même bien plus ergonomique que le combo de la vue de dessus en 3D pour se déplacer et l’écran fixe du décor que l’on peut voir sur l’écran du dessus que l’on trouvait dans Another Code : Mémoires Doubles. Hotel Dusk : Room 215 permet cette fois d’utiliser pleinement les deux écrans là où son ancêtre en possédait un d’assurément optionnel tant on ne l’utilisait pour ainsi dire jamais. Après, en terme de déplacement, on ne se retrouvera nullement perdu : on a toujours le choix de le faire via les flèches directionnelles de la console (ou les touches A, B, X et Y si vous êtes gaucher, sens vertical de la console oblige), ou l’écran tactile. Ce dernier étant pleinement utilisé pour mettre en surbrillance les objets du décor à observer ou interagir.

Hotel-Dusk_Screen-004Bref, comme un point’n click classique quoi… Cing avait déjà prouvé avec son précédent jeu que l’idée de faire du point’n click sur la portable de Nintendo était loin d’être saugrenu. Mieux encore, Another Code : Mémoires Doubles avait même apporté toute la crédibilité à l’entreprise. Hotel Dusk : Room 215, quant à lui, enfonce d’autant plus le clou : il arriverait presque à faire de l’ombre au support historique et de prédilection du genre, à savoir le PC et son duo gagnant souris/clavier (plus souris que clavier d’ailleurs), à se demander parfois si ce dernier ne serait pas terriblement ringard après tout. Les développeurs ont mis un point d’ordre à développer des énigmes tirant à partie un spectre énorme des possibilités offertes par la DS et il y a de quoi être emballé de changer ses petites habitudes archaïques que l’on a développé durant toutes ces années sur PC : on pointe, on gratte, on fait glisser, on souffle (dans le micro hein), on ferme le clapet, on retourne… Et l’on peut même prendre des notes en écrivant directement avec notre stylet dans un carnet virtuel que le jeu nous laisse à disposition en permanence. Libre à nous également de ne pas se contenter de faire uniquement du gratte-papier mais de carrément dessiner sur les pages vierges dudit carnet – même si gribouiller serait sans doute le terme le plus adapté au quidam moyen. Bref, ce nouveau support nous montre pleinement qu’un genre aussi vieux auquel on pensait avoir fait le tour des possibilités depuis des lustres pouvait encore connaître sa petite « révolution ». Il a juste fallu patienter le bon support – et le bon candidat – pour que cette dernière opère et le nom « DS » s’est révélé être le point de ralliement parfait : la Bastille que tous les aventureux pouvaient espérer. Bien que tout restait à faire tant on pouvait douter de la capacité de la machine à être crédible, notamment à cause de son format portatif. En cela, Cing a beaucoup contribué à prouver qu’elle était pleinement capable d’assurer la pérennité du point’n click sur d’autres fronts, autrement plus efficacement que les différents essais que l’on a pu voir sur les consoles de salon. Quel dommage d’ailleurs que la console n’ait pas eu une ludothèque plus développée dans le genre (comprenez, des point’n click optimisés pour la DS et non des remakes PC n’apportant pas grand chose de plus à l’original ou des visual novels) sur un catalogue aussi gargantuesque.

Hotel-Dusk_Screen-005Bon, ok, c’est vrai que de jeux pouvant appartenir à la catégorie, on pourrait éventuellement compter les Professeur Layton. Mais la série de Level 5 mise tout sur ses casses-têtes et non sur la narration, ce qui l’éloigne considérablement du sujet. Car Hotel Dusk : Room 215, ce n’est pas le candidat qui nous présentera une succession intensive d’énigmes. Certes, il y en a bien mais compte tenu de toute la durée de l’aventure, se bouclant entre douze et quinze heures soit bien mieux que la durée de vie dérisoire d’Another Code : Mémoires Doubles, Cing ayant bien retenu la leçon, elles sont plutôt rares. Trop rares diront certains. Et on ne pourra pas forcément leur donner tort d’une certaine manière. La façon de narrer d’Hotel Dusk : Room 215 est assez dirigiste – plus linéaire tu meurs – et donne clairement l’impression d’être passif les trois quarts du temps. Ce qui explique pourquoi l’on parlait de « livre interactif » plus haut dans la critique. Pour imager, jouer à Hotel Dusk, c’est suivre une longue ligne droite à laquelle on a l’impression de n’être que très peu mis à contribution afin d’en voir le bout.

On en a bien l’impression, c’est vrai, mais cela ne veut pas dire pour autant que ce soit clairement le cas. En réalité, même si on ne s’en rends pas forcément compte, on est souvent confronté à faire des choix. Hotel Dusk : Room 215, plus qu’un jeu à énigmes, est surtout un jeu à blablas et il n’est pas rare qu’on doive choisir entre plusieurs réponses au cours des dialogues. Certains choix n’ont aucune incidence, d’autres par contre ne pardonnent clairement pas. Ce n’est même pas la peine d’essayer de le berner en tentant de prendre la tangente et s’éloigner du chemin prédéfini, le jeu aura tôt fait de vous remettre sur les rails, quitte à répéter là on a bien pu capoter. Et si l’on est vraiment trop têtu, il n’hésitera pas à nous mettre devant l’irréparable : l’écran de game over, purement et simplement. Il y a donc fort à parier que les indisciplinés auront tôt fait de lâcher une entité aussi psychorigide, d’autant plus que le rythme extrêmement lent de l’histoire les motiveront d’autant plus dans leur choix d’abandon.

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  1. Très bon jeu que cet Hotel Dusk avec une très bonne ambiance et un parti-pris artistique intéressant. Bon, on se retrouve parfois coincé pour des raisons tordues, mais c’est le genre P&C qui veut ça. D’ailleurs, j’ai encore la suite à faire…

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