Nous sommes à la fin des années 80. La Famicom vit pleinement ses heures de gloire, et bon nombre de RPGs de la console se partagent les miettes du succès des populaires Final Fantasy et Dragon Quest. Parmi celles-ci, on retrouve l’épisode originel d’une trilogie qui va finir, lentement mais sûrement, par devenir culte et particulièrement (mais gentiment) adulée, et ce malgré une tumultueuse aventure humaine faite de nombreuses rencontres et pas mal de déboires, ainsi qu’un bon nombre de décisions incompréhensibles… Je veux bien entendu parler de la série des Mother, née de l’imagination débordante de l’essayiste, publicitaire, et acteur japonais Shigesato Itoi. La naissance de ce premier opus – traité dans cet article, vous l’aurez deviné – est d’ailleurs plutôt remarquable : soumettant son concept de RPG “alternatif” à Shigeru Miyamoto lors d’une visite chez Nintendo, Itoi se heurta quelque peu aux hésitations du célèbre game-designer. Ce dernier, trouvant malgré tout l’idée intéressante, lui indiqua qu’un jeu-vidéo n’était pas produit de la même manière qu’une publicité, et qu’il allait devoir investir beaucoup plus de son temps pour que le projet aboutisse. Itoi prouva visiblement sa détermination et Miyamoto accepta en toute confiance de prendre en charge le développement du jeu. Un développement qui fût confié à HAL Laboratory et Ape, un nouveau studio symbolisant l’association entre Nintendo et Itoi pendant de nombreuses années. Et c’est ainsi qu’arriva sur les étales japonaise, le 27 juillet 1989, le sobrement nommé Mother, imprimé en grosses lettres dorées sur une boite à la couverture d’un rouge particulièrement saisissant et fascinant.
Comme chez Archaïc nous n’aimons pas faire les choses comme tout le monde, et comme Nintendo aura mis plus de 25 ans à sortir officiellement ce premier épisode en Europe, le présent papier s’attardera sur la version Game Boy Advance présente dans la compilation Mother 1+2, votre serviteur ayant parcouru cette version récemment traduite en anglais par la communauté passionnée de fans de la série. Un petit encart sera ainsi prévu pour expliquer les différentes versions du jeu et pour guider les personnes voulant se lancer dans cette aventure certes ancienne, mais loin d’être totalement dénuée d’intérêt ou voire inaccessible comme certains semblent le penser.
Comme abordé plus haut, Mother ne prend pas place dans un univers de fantasy comme ses inspirations les plus notables telles que les productions de chez Square ou Chunsoft. Pour être plus exact, l’intrigue se déroule durant les années 80, soit la même période où fût distribué originellement le jeu. De quoi attirer le chaland, au delà de sa jaquette d’un rouge uni. Il ne s’agit pourtant pas du premier RPG qui se déroulait dans une époque contemporaine, puisqu’il suffit de revenir un peu en arrière dans le temps pour y trouver les Megami Tensei de Namco(t), sortis sur le même support. Après, Mother propose un monde plus enfantin que son compère démoniaque… Mais pas trop. L’histoire se déroule en 1988, dans une région rurale des États-Unis. On y incarne un jeune bambin d’une douzaine d’années, nommé – par défaut – Ninten (doh!). Habitant de la ville de Mother’s Day, sa petite vie tranquille va soudainement basculer lorsque celui-ci est attaqué par la lampe de chevet de sa chambre, qui s’est soudainement animée d’une meurtrière agressivité. Oui. Une fois quelques objets de mobiliers et un ours en peluche remis à leur place à coup de batte de base-ball, on ne tardera pas à comprendre ce qu’il se trame d’étrange dans cette petite peuplade. Et c’est par le père de Ninten, toujours accroché à son téléphone, qu’on va en apprendre plus… Enfin cela ne sera pas traité dans ces lignes. Ah! Toujours est-il que pas vraiment conscient qu’il va envoyer envoyer son fils dans une très dangereuse aventure, il annonce nonchalamment à notre héros que les phénomènes qu’il vient d’être la victime ont lieu dans tous les États-Unis, et que c’est à lui d’aller enquêter pour voir de quoi il en retourne, voir de mettre fin à cela. Bien, bien, admettons! Avec la bénédiction de ses parents, notre gamin part donc découvrir le monde. Son enquête se transformera rapidement en une quête pour retrouver différents “artefacts” qui lui permettront au final de sauver le monde. Son voyage l’emmènera vers de nombreuses destinations aux noms fortement évocateurs comme Santa Claus ou Valentine, avec chacune une sorte thématique propre au niveau de leurs décors, même si on retrouvera très souvent des villes avec un centre ville bétonné où l’on pourra trouver commerces et hôtels et quelques maisons typiquement américaines où errent des, pas toujours essentiels, PNJs. Son périple lui fera également rencontrer de nombreux personnages, qui rejoindront son équipe soit temporairement, soit définitivement. Il est d’ailleurs possible dès le départ de leur donner des noms, et de savoir à quoi ils ressemblent : Ana, la petite fille à la robe rose, Lloyd, le binoclard bricoleur, et Teddy, le gros bras au mohawk. Niveau bestiaire, nous affronterons un melting-pot d’ennemis plutôt cocasses, qui vont du simple serpent au corbeau fumeur de cigarettes, en passant par des hippies, des robots et autres trucs issues de la science-fiction. Shigesato Itoi nous offre ainsi un pastiche plutôt comique du pays du hamburger, une vision très à la japonaise de la culture américaine, avec pas mal de références, parodies et d’inspirations, quelles soit cinématographiques avec des emprunts aux films de série B des années 60 (et les Goonies), soit dessinées – il est facile d’entrapercevoir le célèbre comic strip Peanuts dans l’univers du jeu – ou musicales, dont on reparlera un peu plus en détail plus bas. Le tout baigne dans une ambiance plutôt naïve, mêlant vie réelle, magie et science-fiction. On trouvera un beau mix de moments drôles ou émouvants, avec beaucoup dialogues et moments décalés, avec pas mal de niveaux de lectures pour les enfants et adultes, pour un scénario qui dans son ensemble reste encore agréable à suivre, bien qu’un peu trop éparse. En effet, la plupart des grosses révélations ne seront balancées qu’à la fin, ou quasi fin du jeu, laissant planer de nombreuses questions durant toute l’aventure.
Une aventure qui débute assez abruptement on peut dire. Mother, dans sa conception générale, est un RPG des plus classiques, mais propose cependant quelques différences majeures des plus intéressantes. L’exploration tout d’abord. Jamais nous ne verrons la moindre trace d’une carte du monde, puisque tout le voyage de notre héros prendra place dans un microcosme de taille plutôt raisonnable, surtout quand il le faudra le parcourir à pied. De ce côté-là, le joueur est libre d’aller où qu’il veut, et d’explorer le monde comme il l’entend, ce qui est plutôt utile quand on a loupé la ligne de dialogue indiquant une destination potentielle. On retrouve d’ailleurs un système similaire à la Dragon Quest, avec une obligation d’accéder à un menu pour parler, accéder à son inventaire, ou encore vérifier un objet. Par pression du bouton Select, il sera possible d’accéder à une carte préalablement remplie de points d’intérêts et des noms des principales villes. Extrêmement pratique pour le coup. Cependant, on s’apercevra rapidement que cette liberté est toute relative, puisque que c’est finalement le niveau des ennemis qui décidera si on peut potentiellement aller ici ou pas. Il arrive donc que parfois, à force d’être trop aventureux, on tombe nez à nez avec des adversaires qui nous abattent d’un battement de cil. Les combats, eux, se déroulent de la manière la plus traditionnelle qu’il soit : une attaque de base, des objets, la fuite, une fonction de défense… et bien évidemment, le PSI, l’équivalent de la “magie” dans les autres RPG, sont bien entendu de la partie dès ce premier épisode. On y retrouvera de nombreux pouvoirs « psychokinésiques », exprimés en PK-quelquechose et servant soit attaquer, soit soigner, soit améliorer ou dégrader des statistiques comme l’attaque ou la défense. Ceux-ci se débloqueront au fur et à mesure de la montée de niveaux, mais pas nécessairement au changement de ceux-ci. Enfin, une action indispensable viendra aider le joueur : la fonction Auto. Comme son nom le laisse supposer, celle-ci permettra au jeu de prendre le contrôle des actions des personnages en gérant les attaques et le lancement de pouvoirs… Très utile, surtout quand on sait le nombre de combats qu’on va se taper : beaucoup, mais alors beaucoup. C’est une sorte de tradition des jeux de l’époque, mais tout de même de ce côté là, Mother est lui aussi plutôt agaçant : il arrive parfois de ne pas pouvoir faire deux fichus pas sans enchaîner des combats pas toujours passionnants, vu qu’on se tape systématiquement le même patern d’ennemis. Et quand il s’agit de fuir une zone dangereuse, on finit rapidement sur un Game Over qui n’est heureusement pas tant impactant que ça, puisqu’on ne perd pas d’expérience mais “juste” la moitié de l’argent que l’on porte. Rien d’insurmontable cependant, mais il faudra pas mal s’accrocher pour ne pas finir par éteindre la console d’énervement. Mother, de par sa vieillesse, est aujourd’hui un titre particulièrement difficile à aborder sans un minimum de patience et d’organisation. Certains donjons du titre – en particulier celui prenant place dans une usine – sont labyrinthiques à un point inimaginable, la faute à une conception des niveaux vraiment étrange et torturée, et surtout une aide graphique quasiment inexistante. Pour ça, gros conseil : se munir d’un bloc note et d’un crayon pour y noter le moindre indice balancé par un PNJ, noter la carte du monde et compléter les points sans légende, et surtout réaliser un plan des donjons. Surtout. Et ne pas hésiter à faire du farming, même c’est vraiment chiant (le mode Auto aide pas mal à digérer ça), ou à acheter de précieux objets permettant d’éviter des combats quand il s’agira d’économiser des points de PSI (PP) pour rejoindre une nouvelle zone où les ennemis sont coriaces mais pas invincibles.
Mother est donc un titre particulièrement difficile, souvent ardu, parfois frustrant et sans pitié. Mais comme précisé plus haut, il fourmille de nombreuses idées et particularités intéressantes qui seront reprises dans le second épisode, à savoir EarthBound. Plusieurs aspects du genre sont ainsi bousculés pour donner un côté plus “réaliste” au jeu et influencer quelque peu son gameplay. Durant les combats par exemple, on ne reçoit véritablement que de l’expérience. Pour la partie monétaire, il faudra que Ninten appelle son père, qui lui indiquera combien il a déposé sur son compte en banque, et combien d’argent il dispose. Son paternel nous permettra aussi de sauvegarder notre partie, non sans nous demander ensuite si nous voulons arrêter la partie pour aller dormir. La gestion de l’argent se fera via un distributeur de billets, avec possibilité d’en retirer ou en déposer. Plutôt original, tout comme la gestion de l’inventaire de l’équipe, puisqu’il est limité à quelques (ridicules) places. Il sera fort heureusement possible de s’échanger des objets entre personnages, ou alors de les stocker chez la sœur de notre héros. Niveau commodités, il est possible de prendre le train pour se rendre à différents endroits du jeu, et il faut savoir que les hôtels où l’on peut dormir ne permettent que de redonner des HP et des PP. Si un allié est malade ou KO, c’est à l’hôpital qu’il faudra se rendre… Et la consultation coûte particulièrement cher. Heureusement, on se retrouvera rapidement riche et avec un compte en banque en béton à force de se battre, donc il n’y a pas d’inquiétude à se faire de ce côté-là. Shigesato Ito et HAL Laboratory ont donc posé au travers de ce premier épisode le socle de la série, et on s’imagine qu’il aurait pu mettre de petits détails supplémentaires si la Famicom avait été plus puissante. L’ambiance enfantine mais étonnement décalée du titre ne serait rien sans deux parties plutôt importantes dans le jeu-vidéo : les graphismes et la musique. De ce côté là, Mother assure particulièrement bien. A l’époque, on était bien sûr loin de pousser la Famicom jusqu’à ses derniers retranchements, mais tout de même. Visuellement, le jeu est propre, coloré, avec une étrange pâte graphique qui n’est pas sans rappeler des bandes dessinées, avec, il faut l’avouer, un jeu de perspectives assez chaotique. Dans l’ensemble, le titre est quand même assez statique, avec relativement peu d’animations et d’effets visuels loin d’être époustouflants. En revanche, niveau musical, c’est tout à fait le contraire. Composée par Keiichi Suzuki et Hirokazu « Hip » Tanaka, la bande-son de Mother est absolument magique et très variée, avec pas mal de thèmes marquants comme les entraînants thèmes de l’overworld, la musique d’introduction, celui de la ville de Santa Claus ou tout simplement celle (très émouvante) liée aux artefacts que l’on devra retrouver. Les musiques des donjons ne sont quant à elles pas trop agaçantes, même si très entêtantes. Des compositions qui seront reprises en partie dans EarthBound d’ailleurs, en guise d’habile référence bien dissimulée ou tout simplement d’hommage sans retenue. On remarquera également plusieurs partitions librement inspirées de styles musicaux américains, avec du rock’n’roll en veux tu en voilà, de l’hommage aux Blues Brothers… Bref, que du bonheur auditif.
Mother est donc sorti en 1989 au Japon sur Famicom. Dès lors, Nintendo débuta une traduction pour une sortie en 1991 aux USA. L’entreprise saborda le projet pour se focaliser davantage sur la Super Nintendo et la suite du jeu : EarthBound. Dans les années 2000, un prototype de cette version anglaise fût trouvée et diffusée sur le net sous le nom d’EarthBound 0. On y découvrira de nombreuses différences avec la version japonaise, comme des donjons plus simples, la possibilité de courir (!) ou un accès plus rapide à la carte (qui n’est plus un objet), mais aussi une censure textuelle et visuelle, en plus de certaines libertés prises dans la traduction. Bon nombre des modifications de gameplay seront reprises dans le premier jeu de la compilation Mother 1+2 sur Game Boy Advance, que l’on peut considérer comme la version définitive de Mother. Diffusée officiellement au Japon en 2004, cette mouture portable fût traduite en langue anglaise pour la communauté du site Earthbound Central. Bravo encore à eux. Et c’est un jour de 2015 que Nintendo, on ne sait guère pourquoi, se décida à sortir de ses placards la vieille traduction anglaise pour la publier sous le nom de EarthBound Beginnings, sur la console virtuelle de la Wii U, et ce un peu plus d’un an après avoir ENFIN proposé officiellement sur notre continent le vénéré EarthBound. Cette version dématérialisée est ni plus ni moins le prototype débusqué quelques années auparavant. Quelle version retenir me direz vous ? Ceux qui pratiquent le japonais ne peuvent que se ruer sur la version portative. Pour les anglophones, à vous de voir si vous voulez une traduction officielle ou une retranscription respectueuse réalisée par des fans, mais pas vraiment légale pour le coup.