~ Compositions par Keiichi Okabe (MoNACA)
Chants & paroles par Emiko Rebecca Evans
2 CD, 43 pistes, 02:30:09 ~
[dropcaps style=’3′]Il y a certains jeux difficilement dissociables de leurs ambiances sonores. NieR en fait assurément partie, et l’une des premières choses qui vient à l’esprit des joueurs quand on parle du titre de Cavia est sans aucun doute son OST si atypique. Si le jeu possède évidemment d’autres grandes qualités, telles qu’une histoire absolument remarquable, des phases de jeu variées ou encore des personnages inoubliables, ses musiques demeurent un point extrêmement marquant de l’aventure. Preuve, s’il en fallait, que la bande-son a cette capacité si particulière de transcender une expérience et de rendre un jeu encore plus grand.[/dropcaps]
L’OST de NieR a été composée par Keiichi Okabe, de MoNACA. Les musiques se comptent au nombre de 43, dont certaines sont déclinées en plusieurs versions, et une en bonus qui n’est pas présente dans le jeu lui-même. En tout, l’écoute atteint les deux heures et demie, en prenant en compte les différentes déclinaisons de certains thèmes, ce qui peut paraitre assez peu quand on voit qu’aujourd’hui, la plupart des OST de jeux de rôle tournent facilement autour de quatre ou cinq heures. C’est bien la qualité qui a été privilégiée ici et MoNACA semble avoir compris comment créer des thèmes capables de rester dans la tête des joueurs. Si elle propose des pistes bien diverses, celles-ci n’en restent pas moins parfaitement unies par une ambiance et une atmosphère totalement singulières, presque indescriptibles, dotées d’un style reconnaissable au milieu de n’importe quelles autres OST du monde. A l’instar du jeu en lui-même, les musiques semblent avoir été conçues et pensées en parfaite osmose.
Mais il est important de préciser que cette constance et cette qualité ne seraient guère possibles sans le travail d’Emiko Rebecca Evans – plus connue sous le nom d’Emi Evans, et c’est ainsi qu’on la nommera dans cet article – qui a été chargée d’interpréter plusieurs musiques. En fait, on trouve des voix sur l’extrême majorité des pistes… Et ceci parait presque déroutant au premier abord, pour cause, Emi Evans (régulièrement accompagnée ou suppléée par des chœurs) nous propose des textes écrits dans des langues inventées pour l’occasion !
En effet, le jeu se situant chronologiquement environ 1 300 années après notre époque, Emi Evans a eu pour mandat d’imaginer comment pourraient être nos langages de demain. D’un thème musical à l’autre, elle arrive toutefois à varier avec une aisance impressionnante les styles et les tonalités, en s’inspirant de plusieurs langues différentes durant toute l’OST (le japonais, le français, le gaélique, le portugais, l’anglais, l’italien et l’espagnol). Si on pouvait craindre une certaine redondance – les musiques chantées pouvant parfois être agaçantes dans les jeux vidéo pendant les phases d’exploration, à cause des boucles qui peuvent s’avérer être relativement courtes et donc répétitives – force est de constater qu’il n’en est rien ! Le fait d’avoir ces langues inventées est justement une force incommensurable à la fois pour l’originalité mais aussi la cohérence de l’œuvre. Sur certaines musiques, comme Hills of Radiant Winds, la voix s’ajoute presque comme un nouvel instrument, emmenant la mélodie avec elle de façon aussi surprenante que naturelle. Dans d’autres, elle sublime tout simplement l’action, ou souligne le caractère spécifique d’un moment (bien souvent, il s’agit de mélancolie ou encore de tristesse, qui sont omniprésentes dans les thèmes traités par NieR). Emi Evans épate avec ses textes audacieux, ce qu’elle décrira comme une expérience « difficile mais très prenante ».
L’OST débute par la piste Snow in Summer, qui, en jeu, accompagne la fameuse introduction. En effet, étant donné qu’il n’y a pas de musique sur l’écran titre, c’est cette piste que l’on entend en première dans NieR – si on met à part la vidéo de présentation du jeu qui peut se déclencher avant l’écran titre. Les chœurs sont présents dès le tout début, et la musique monte en puissance à partir de la deuxième minute. Si on pourrait croire à une musique épique, on sent que celle-ci laisse déjà bien peu de place à l’espoir. Les chœurs ne se taisent qu’à quelques secondes de la fin de la musique, laissant place à des sonorités plus discrètes. Une piste qui nous met tout de suite dans le bain… Hills of Radiant Winds suit juste après, et parait déjà nettement plus enjouée. Celle-ci nous accompagne pendant nos explorations des plaines. Très entrainante, elle nous donne l’impression d’être poussés par le vent et le chant d’Emi Evans s’intègre à la perfection. Celle-ci s’est ici inspirée du portugais pour écrire les paroles de la chanson, en partant du mot « vent », allant donc de pairs avec la volonté des développeurs.
Vient alors The Incomplete Stone, plus grave aussi bien dans les sonorités que dans les chœurs. Si le background musical de celle-ci est un peu plus simple que pour les deux premières, ce sont bien les chants qui sont prépondérants et attirent notre attention. Là encore, ceux-ci sont présents quasiment dans la totalité de la musique. Blu-bird est la première musique de boss que l’on entend. Elle suit assez bien The Incomplete Stone avec des sonorités qui s’en rapprochent évidemment. Une piste plutôt dynamique et très rythmée.
Cold Steel Coffin se situe dans un style encore différent malgré les chœurs toujours dominants. Une musique emprunte de mystère, mais où la tension semble monter progressivement. Elle nous accompagne pendant nos escapades au village de l’Aire, l’un des endroits les plus nébuleux du titre. Arrive à son tour Grandma, sans doute l’une des plus belles pistes de l’OST. Survenant à un événement précis du jeu, elle s’avère être à la fois douce et terriblement mélancolique. Si nos hallucinations auditives nous feront peut-être parfois croire reconnaitre certains mots, c’est parce qu’Emi Evans s’est inspirée du français pour cette chanson. Un thème touchant et assurément mémorable.
La musique suivante est (un brin) moins triste. Il s’agit de la première version de Song of the Ancients, Devola. Cette fois, on y distingue des instruments à corde plus mélodieux, et surtout la voix douce d’Emi Evans que l’on imagine être celle de Devola, personnage important de l’histoire de NieR. Malgré tout, on reste encore dans un contexte à la limite de la mélancolie, qui ne respire pas l’espoir. Une chanson que l’on associerait plus à des récits d’un passé triste que d’un futur radieux. Il s’agit en outre de la première musique sur laquelle Emi Evans a travaillé, et où elle avait reçue des directives peu précises. Elle mélangea donc plusieurs langages pour en créer un de toute pièce.
Changement radical de style avec The Wretched Automatons, où le chant met plus de temps à s’incruster. La composition fait part de bruitages métalliques, évoquant des bruits de machine, puisqu’elle survient dans la montagne des robots. Le texte s’inspire cette fois de l’anglais, et accompagne à merveille cette musique qui contraste de fort belle manière, mais toujours de façon cohérente, avec le reste de la bande-son, preuve d’un savoir-faire dans la variété de la part d’Okabe. Nous changeons encore d’environnement avec la très belle City of Commerce, qui, vous l’aurez compris, est une musique de ville. Et plus particulièrement d’une ville portuaire, animée et commerciale. Assez enjouée et entrainante, avec des sonorités et instruments très bien choisis illustrant comme il faut l’ambiance que l’on imagine dans ce type de ville. Une musique rythmée et agréable, et si elle ne figure pas dans les plus marquantes dans la bande-son, elle n’en reste pas moins superbe à l’écoute, en ayant d’autant plus le mérite de nous immerger idéalement. Nous avons aussi la deuxième version de Song of the Ancients, Popola, soit la jumelle de Devola. Emblématique, elle apparait pendant le jeu notamment dans la maison de NieR et dans la bibliothèque, où l’on trouve donc Popola. Un peu à l’instar de la première Song of the Ancients, la douce voix contraste avec des tons synthétiques davantage tristes, pour une mélodie qui nous reste aisément en tête.
The Prestigious Mask est un autre thème de ville, à savoir Façade qui est dans un contexte différent de la ville portuaire, celle-ci se situant en plein désert. Ceci étant, ce morceau est lui aussi entrainant, nous plongeant dans l’ambiance de cette cité avec entre autres une mélodie à la flûte agréable. Survient Temple of the Drifting Sands, où on retrouve encore la thématique du désert. Les chants sont là évidents, et plus dynamiques que dans The Incomplete Stone par exemple. D’ailleurs, tout comme pour cette dernière, on se concentre davantage sur les voix que sur le fond musical, qui se renouvelle moins mais demeure en accord avec l’ambiance. Un très bon morceau de plus. Le thème Gods bound by Rule est peut-être l’un des plus compliqués à appréhender de l’OST, mettant un certain temps à se mettre en place. Les chœurs arrivants, puis la musique s’accélérant, le tout devient alors plus dynamique. Très plaisant, même si ce n’est pas forcément le plus mémorable de NieR.
La musique suivante, The Ultimate Weapon, nous emmène en premier lieu dans quelque chose de plus posé, mais surtout sublimé par la voix d’Emi Evans qui résonne encore de parfaite manière. Mystérieuse, parfois plus tendue, il s’agit une nouvelle fois d’une musique magnifique et imprégnée du style ô combien atypique de l’œuvre. Deep Crimson Foe est l’un des morceaux les plus courts de l’OST, mais il faut dire qu’il démarre tambours battants. Une musique de boss toujours exprimée par un chant de fond mystique, mais qui cette fois ne prend pas forcément le pas sur la composition, forte et haletante. Nous avons ensuite l’un des trois uniques thèmes de la bande-son qui ne disposent d’aucune voix ajoutées, Dispossession, mais celui-ci se décline en quatre versions différentes, dans l’ordre : piano, violons, guitare et boîte à musique. Une musique très triste, évoquant la tragédie, surtout sous ses deux premières versions. La version boîte à musique se distingue, et ses sons plus aigus évoquent une mélodie faussement naïve.
Pour terminer le premier disque arrive le second thème non-chanté, là aussi décliné en quatre versions (piano, violons et deux à la guitare), que l’on peut quasiment considérer comme le « main theme » du jeu… Yonah. Que dire ? Une musique d’une tristesse incomparable, qui pour ma part, est l’une de mes préférées dans ce genre. Un thème absolument inoubliable, qui reste gravé inexorablement dans la tête. Et, quant à ceux n’ayant jamais touché au jeu, ils y trouveront une musique tout simplement magnifique. La version au piano est personnellement ma favorite, mais celle au violon est excellente également. Celles à la guitare ont un poil moins d’impact à mon sens…
Le disque 2 commence en trombe avec une musique incroyablement dynamique, The Dark Colossus destroys all, qui dans le jeu débarque pour la première fois pour le combat le plus épique de l’aventure. Epique, c’est par ailleurs parfaitement le mot idéal pour décrire cette piste qui nous donne des ailes, avec un chœur très puissant. Enorme ! Vient maintenant la troisième version de Song of the Ancients, Hollow Dreams. Il y a cette fois deux voix au lieu d’une (ce qui s’explique dans le jeu par le moment où elle est présente). Celle-ci est plus « jazzy » et par ailleurs probablement moins pessimiste aussi que les deux précédentes.
Puis arrive un thème marquant pour un personnage qui l’est tout autant – si ce n’est plus – avec Kaine – Salvation. Une piste d’une grande beauté, encore une fois transcendée par la voix d’Emi Evans, qui s’est ici appuyée sur le gaélique. Si, comme l’a d’ailleurs remarqué la chanteuse britannique, cette chanson à priori douce contraste avec la personnalité bien définie de Kainé, elle convient au final très bien aux moments du jeu où elle est exploitée, et à la seconde facette du personnage. Quoiqu’il en soit, en écoute seule, c’est également un pur régal. Il y a juste après Kaine – Escape, qui est une version « accélérée » du thème, mais aussi dotée d’un background sonore distinct, plus dynamique.
His Dream est un morceau bien plus posé, qui se veut relaxant, ce qui est justifié par son utilisation dans le jeu. Avec This Dream, qui se situe dans le même cadre, cette « entracte » reposante est très agréable à l’écoute. Pour This Dream s’ajoute en outre un air de guitare très calme. Repose est dans la continuité de ces deux morceaux ; mais en plus, les puristes pourront constater que le début semble s’inspirer de celui de Time’s Scar de Chrono Cross.
The Lost Forest vient alors secouer tout ça avec un thème beaucoup plus dynamique, qui nous suit lorsque l’on visite le désert (il ne faut donc pas se fier au titre, qui se justifie par le scénario du jeu). Celle-ci aussi s’écoute très bien sans problème en dehors du jeu lui-même. Une musique enivrante, emmenée par une guitare maitrisée qui l’est tout autant. Et voici finalement la dernière version de Song of the Ancients : Fate. Bien plus soutenue que les trois autres, elle dispose elle aussi de deux voix tout comme la précédente. Moins reposante (puisque c’est n’est nullement le but recherché dans le cas présent), elle s’avère être toujours très réussie, concluant de belle manière le quatuor. Puis, Shadowlord’s Castle Memory pointe le bout de son nez. Le début de la musique est d’une tristesse difficilement descriptible, qui parvient presque à nous nouer le cœur. Si ce fond sonore demeure tout au long de la musique, il est par la suite supplanté par des chœurs puissants, mais néanmoins toujours si peu joyeux. On sent la fin de l’OST approcher, et la mélancolie se renforcer à l’occasion.
Se cale ensuite Dance of the Evanescent. Si cette – courte – musique évoquant un bal semble presque quelconque comme ça, sachez toutefois qu’elle reprend le thème de la mort du premier Final Fantasy ! Un joli hommage en somme pour un morceau surtout intéressant dans le jeu, mais qui dans cette OST fait principalement office d’interlude avant le second thème Shadowlord’s Castle, intitulé Roar. Celle-ci soutient les combats présents avant la fin du jeu. Une excellente piste !
Il faut cependant vite se remettre de cette musique dynamique puisque les thèmes marquants et éblouissants vont maintenant arriver à la pelle. Le premier n’est autre qu’Emil – Karma, dont la beauté parle d’elle-même. Dynamique d’apparence, mais avec un fond sonore évoquant une mélancolie certaine, elle est le fruit d’une association audacieuse mais maitrisée, constituant ainsi sans aucun doute l’une des pistes les plus mémorables de cette bande-son. A l’inverse de Kaine, pour Emil le thème « dynamique » a été placé en premier et celui, plus calme, en second. Cependant, peut-on vraiment considérer Emil – Sacrifice comme un thème « calme » ? Que ça soit la voix ou l’instrumentale, toutes deux superbes et en parfaite harmonie, on ressent surtout une tristesse encore plus accrue, d’où se dégage une sorte de profonde tristesse. Magnifique.
Toutefois, ce n’est pas terminé puisque vient ensuite Shadowlord, assurément l’une des musiques les plus mémorables des deux CD. L’introduction semble longue, mystérieuse, et contribue à faire monter la tension. Puis vient l’explosion et le thème prend alors toute sa dimension épique, mêlant une multitude de sensations accumulées au travers du jeu et de sa bande-son. La mélancolie y résonne plus fort que jamais, au travers de ce thème puissant et marquant.
Si vous croyez que j’ai déjà utilisé tous les superlatifs possibles et envisageables à travers cet article, vous vous trompez, car il reste Ashes of Dreams à traiter. Il s’agit de la musique du générique, déclinée en quatre versions (New, Nouveau, Nuadhaich, Aratenaru) qui reprennent de façon parfois légèrement différente le thème de Yonah. Outre le fait que ces mots signifient donc… « nouveau » en quatre langues distinctes, il est essentiel se signaler qu’Ashes of Dreams – New est la SEULE piste de l’OST à être chantée dans une vraie langue, l’anglais en l’occurrence, avec des paroles ainsi pourvues de sens. Emi Evans a pour cela dû imaginer les paroles les plus tristes possibles. Elle racontera d’ailleurs que MoNACA lui a demandé plusieurs fois de revoir son texte afin d’y supprimer toute trace d’espoir, et qu’elle a même fait plusieurs allers-retours entre le Japon et l’Angleterre, sa terre britannique et son mauvais temps lui permettant de lui casser le moral pour trouver les paroles les plus désespérées imaginables. En résulte une musique qui fait figure de chef d’œuvre à elle seule, emprunte d’une tristesse immensément profonde, aussi bien pour ses paroles que sa composition instrumentale, mémorable à elle seule. La voix d’Emi Evans semble plus sublime que jamais et permet de former un morceau en tous points marquant. Les trois autres pistes, qui ont légèrement moins d’impact du fait des différences de paroles, n’en demeurent pas moins absolument fabuleuses. Ceux qui écoutent simplement l’OST pour se laver les oreilles y trouveront un ensemble magnifique ; tandis que les joueurs ayant connu NieR et ses différentes fins auront la larme à l’œil (ou verseront des torrents de larmes, selon la sensibilité de chacun) à l’écoute d’Ashes of Dreams.
On termine en revanche cette jouissance auditive avec un White-note remix du thème Shadowlord assez décevant. Cette piste bonus, non-présente dans le jeu, n’est pas particulièrement déplaisante, mais déforme en partie ce qui faisait le charme de l’originale. Un remix « délire » qui aurait peut-être toutefois été mieux placé avant Ashes of Dreams qui avait vraiment le mérite de ponctuer l’expérience à la perfection.
Je vous invite également à lire la critique de NieR par Hyades Luine sur Archaïc en cliquant ici.
[section id= »conclusion » style= »border:1px solid white;padding:10px;overflow:auto;background-color:#888;color:#FFFFFF; »]Si l’OST de NieR est si souvent encensée, ce n’est pas pour rien. S’il est évident qu’il est toujours préférable d’avoir joué (et réellement terminé) le jeu pour ressentir toutes les émotions véhiculées par cette bande-son d’exception, n’en reste pas moins qu’une certaine partie est extrêmement plaisante à l’écoute seule pour les personnes ne connaissant pas le jeu. Si le nombre de pistes n’est pas impressionnant, c’est parce que MoNACA a préféré favoriser la qualité, et en résulte une bande-son au style incroyable, à la cohérence remarquable et aux thèmes mémorables. L’immense travail d’Emi Evans, d’une classe absolue, vient sublimer de façon à la fois étonnante et magistrale le tout. Une bande-son autant atypique et singulière qu’indispensable. Nous tenons là sans aucun doute l’une des toutes meilleures OST de jeu vidéo ![/section]