Alpha Protocol

Sacrée arlésienne qu’Alpha Protocol. Obsidian, habituée à produire les suites de jeux Bioware, se lance dans son premier titre entièrement original. Pas de mécanismes tout prêts, pas d’univers déjà créé et encore moins de réputation toute faite. En voilà un bien grand défi. Toujours à l’affût de la perle rare à éditer, Sega apporte son soutien à l’entreprise en éditant le rejeton. Les joueurs font confiance à Obsidian depuis KOTOR II et Neverwinter Nights 2. Tout semble réuni pour offrir au marché vidéoludique un titre de qualité.

A l’image du scénario. Obsidian nous plonge en plein espionnage à l’américaine. Spécialiste des missions secrètes dont le gouvernement nie bien évidemment tout lien, l’Alpha Protocol est une agence qui n’enrôle que des ténors. Parmi eux, Mike Thornton. Très vite, le héros au visage modelable à tout moment dans le jeu, part pour l’Arabie Saoudite à la recherche de missiles portés disparus. Jacques Pradel ayant échoué, tous les espoirs reposent sur Mike, au détriment de ses collègues qui auraient bien aimé être choisis. Première mission et premiers problèmes déjà. Mais ce ne sont que les premiers d’une longue liste qui n’en finira pas jusqu’au générique (et encore…).

L’essentiel, c’est le gameplay. (©Nintendo)

Obsidian nous place donc aux commandes d’un héros tout ce qu’il y a de plus classique, dans une histoire vue et revue cent fois dans un gameplay d’infiltration déjà fort bien maitrisés par les compères Snake et Sam. Les premiers pas dans l’aventure nous mènent fortement à penser qu’Obsidian a loupé le coche. Si nous sommes d’entrée de jeu accueillis par des temps de chargement aimant faire durer les préliminaires, la suite n’est pas réellement plus ragoutante avec une réalisation loin d’égaler les dernières sorties. Décors simples, personnages anguleux, aliasing de sortie, Alpha Protocol met une claque technique, mais pas la même que celle d’un MGS 4 ou d’un Splinter Cell Conviction à leur sortie. Le budget n’a semble-t-il pas été dilapidé dans la technique, puisque l’animation se veut sans fioriture également, avec quelques beaux ralentissements lorsqu’il y a de l’action à l’écran. Le titre a l’art de nous motiver pour privilégier l’infiltration. Survient alors le souci de l’intelligence artificielle, digne de… de… en tout cas moins bonne que celle de MGS 1. Dans le genre, il est difficile de trouver plus risible. Les gardes ne nous sentent pas à un mètre, mais arrivent à nous repérer à trente. Ils détalent avec la grâce d’Harry Mason de Silent Hill, mais en courant dans tous les sens, à la Dragon Force. Ce savant mélange les rend désespérants. L’envie de tirer à tout va se fait vite sentir, quitte à enclencher le malheureux bullet time sus abordé.

My name is Mike. Mike Thornton.

L’infiltration perd d’autant plus son intérêt que les alarmes se désactivent très simplement. Pour cela, et à l’image du piratage des ordinateurs, portes, coffres et de toute interaction avec le décor, un mini-jeu s’enclenche. Les systèmes de sécurité se stoppent en réalisant les liaisons nécessaires entre 4 ou 7 fils en un temps imparti. Les ordinateurs réclament quant à eux de retrouver deux lignes de chiffres au sein d’une matrice en mouvement ; tandis que les serrures demanderont du doigté en jouant des gâchettes pour placer les verrous correctement. De bonnes idées qui deviennent très vite de moins bonnes idées, ralentissant et lourdant notamment le joueur désireux de tout visiter et récupérer. Une erreur et l’alarme retentira dans tout le niveau, ameutant encore plus de gardes. Alpha Protocol nous faisant ainsi remarquer que les méchants terroristes, supposés arabes (espionnage à l’américaine oblige), ont à chaque mission le temps de piéger l’intégralité des systèmes informatiques et électriques. Très fort. Nous nous disons alors qu’il va réellement falloir redoubler d’efforts pour réussir à passer incognito, à tel point qu’après plus d’une douzaine d’heures de jeu au compteur, le constat est éloquent : la meilleure combinaison d’armes s’est révélée être le flingue et le fusil à pompe. Pour l’infiltration, il n’y a rien de mieux…

Les équipements se sélectionnent, soit depuis le menu, soit depuis la réserve d’armes présente dans notre QG. Ce dernier change à chaque mission. Arabie Saoudite, Rome, Moscou, Taipei, et… surprise (il s’agit du mot « surprise », et non d’une ville, hein). Les courses au crémier du coin se fait via un site de vente en ligne accessible depuis notre ordinateur. L’écran géant permet de suivre les informations, toujours en relation avec notre dernière intervention sur le terrain, étrangement, et de recevoir des transmissions depuis des partenaires. Ceux-ci varient d’une mission à l’autre et surtout en fonction des choix que nous faisons au cours de l’aventure. LE point positif d’Alpha Protocol. Enfin.

C’est Evelyne Thomas qui va être contente

Si la réalisation n’a pas évolué depuis les premières images, ce n’est pas parce que les développeurs se sont tournés les pouces – enfin peut-être un peu, entre deux disputes – mais car ils se concentraient sur la narration. Et là, il faut bien avouer qu’Obsidian a réellement fait très fort, rappelant sans honte le controversé Heavy Rain. A chaque dialogue, plusieurs attitudes peuvent être adoptées, amenant chacune vers une réponse différente, vers une approche pouvant être radicalement à l’opposée de celle de départ et surtout à des événements bouleversant toute l’aventure. Toute décision impacte la suite de la progression. Nous arrêtons un chef terroriste : en le laissant partir, il nous donnera des informations ; il propose aussi une grosse d’argent ; peut-être qu’il est préférable de le questionner tout de suite ; non, emprisonnons-le ; oh et puis zut, autant le liquider. Quatre attitudes, quatre chemins, quatre dénouements. Mais ceux-ci seront suivis d’une foule de réponses possédant chacune au moins autant de suites possibles. Les matheux s’amuseront à en déduire pour leurs petits camarades qu’aucun joueur ne vivra l’aventure Alpha Protocol de la même manière. Le fil conducteur reste le même mais les événements, les missions et les amitiés/inimitiés peuvent totalement diverger d’une partie à l’autre. Le dernier chapitre sert d’ailleurs de sympathique résumé à toutes vos actions passées. La fin ne se détermine pas dans le dernier donjon mais en fonction de toutes vos actions depuis le début du jeu.

Un objectif facultatif au début du jeu propose d’éliminer une troupe de soldats. Celle-ci se révèle être la garde rapprochée d’une célébrité du Moyen-Orient. Une fois arrivés face à lui plusieurs missions plus tard, nous avons l’agréable surprise, si tant est que nous ayons rempli l’objectif, que la résistance autour de lui est amputée des gardes précédemment liquidés. Il faut bien choisir ce que nous faisons et ce que nous répondons. Les contacts au cours des missions peuvent totalement changer. Certains grands « méchants » peuvent tout à fait devenir vos meilleurs amis ; et vice-versa. L’aboutissement de l’aventure s’en trouve logiquement bouleversé. Ce principe de « jeu dont nous sommes les héros », à la Heavy Rain, encore une fois, est extrêmement plaisant, rendant le personnage parfait : les dialogues sont savoureux. Très bien écrits, ils contribuent à donner une réelle contenance aux scènes cinématiques, quelque chose de plus mémorable que les traditionnels Tom Clancy. Au point que les répliques sont souvent bien trouvées et représentatives du choix effectué. Humoristique : nous sourions voire rions vraiment ; sarcastique : c’est réellement piquant ; professionnel : pas l’ombre d’une émotion. Il en résulte un suivi assidu de l’histoire et surtout un attachement au héros. En répondant sincèrement à chaque réplique, il est possible de façonner un héros qui nous est très proche. Non pas un qui nous ressemble, mais un que nous incarnons réellement. Pour tout vous dire, votre humble serviteur s’est retrouvé dans la peau d’un héros avec le même humour que lui, et aussi sarcastique et ironique qu’il peut l’être dans ses meilleurs moments. C’est troublant et unique. De mémoire de joueur, aucun autre n’avait su proposer quelque chose de similaire.

Que la force soit avec toi

A côté de cela, le jeu développe un aspect RPG plutôt bien intégré. A l’instar d’un KOTOR ou d’un Mass Effect, le héros monte en expérience à chaque action réussie, que ce soit l’anéantissement d’un objectif, la mort d’un ennemi ou une porte crochetée. A chaque niveau – 20 au total – il gagne des points de compétences qui peuvent être réparties dans des domaines comme la maitrise des fusils, la technique, l’infiltration ou encore la robustesse. Une dizaine de domaines favorisés par la classe de personnage choisie au départ. Si cela peut paraître gadget, il faut savoir que le héros évolue réellement. En parallèle, les domaines de compétences permettront de débloquer des capacités de surhomme, limitées dans le temps, comme la résistance aux coups, l’augmentation des dégâts, la précision des gadgets (ceux du jeu cette fois), … Au point que les confrontations se veulent de plus en plus simples si nous spécialisons bien Mike Thornton.

En cela, Alpha Protocol est une déroutante réussite. Le principe n’est pas parfait, mais déjà très bien rôdé. La précision des dialogues et l’importance du joueur dans la narration gomment tout deux les défauts techniques. Ceci s’applique bien évidemment au cas de ceux capables de passer outre une réalisation datée et un gameplay peu précis. A rajouter à cela un nombre honteusement élevé de bugs (surtout face aux boss), preuve d’un travail mal fini, et nous serions à deux doigts de crier au scandale. Les joueurs qui ne toucheront qu’à quelques minutes de gameplay seront déçus, voire écœurés. Les acheteurs, se faisant un devoir de rentabiliser leurs deniers, persévéreront, enchainant les missions. La moelle se révélera alors, les laissant face à un titre passionnant qu’il est difficile de lâcher une fois plongé dans cette intrigue se façonnant au gré de leurs décisions. Alpha Protocol n’est donc pas le ratage auquel nous aurions pu croire. Il se révélera comme l’un des très bons titres de 2010, à ceux qui lui laisseront une chance.