Alan Wake

Après cinq ans de développement, Remedy a enfin jugé Alan Wake fini. Cinq longues années durant lesquelles les fondus d’aventure-action n’ont cessé de ronger leur frein à l’approche de la moindre information ou vidéo. Fort de son cursus court mais flatteur, essentiellement constitué de Max Payne, le studio n’était pas à l’abri d’un revers (et avec une sortie en plein Rolland Garros, c’est fâcheux). Mais pas question de reprendre les ficelles de sa licence phare, Remedy a décidé de partir sur des bases totalement nouvelles. Peut-être est-ce là l’une des explications de ce temps de latence. Mais pour l’heure, le divin enfant est né. Il est temps de le baptiser…

Le repos, c’est l’obscurité

Alan Wake est un écrivain à succès. Il fait partie de ce cercle fermé d’auteurs capables de captiver des millions de gens à chaque bouquin. Malheureusement, le syndrome de la page blanche le touche depuis bientôt deux ans. Inquiète pour lui, sa femme Alice décide de l’emmener en vacances dans la petite bourgade de Bright Falls, loin de tout. Rien de tel pour se revigorer et retrouver l’inspiration. Le couple loue un petit chalet, au beau milieu d’un lac. A la nuit tombée, Alice disparaît dans le lac. Alan tente tant bien que mal de la sauver mais… Il se réveille, blessé, au volant de sa voiture, accidentée, à quelques pas de là, une semaine plus tard. Incompréhension et stupeur accompagnent le prologue du jeu, prologue qui ne nous laisse guère comprendre ne serait-ce qu’une once de ce que sera le récit conté par Remedy. Toute la force d’Alan Wake réside dans sa faculté de nous embarquer pour un périple à la fois sombre et intriguant, comme nous allons le décrire.

Le joueur est directement projeté dans les ténèbres du jeu, l’ennemi du jeu. L’intégralité du gameplay et du scénario tournent autour d’eux. Débarquant sitôt la tombée de la nuit survenue, ils prennent possession des habitants pour les transformer en excellents bourreaux ; transformant ce que nous prenions pour un titre d’aventure-action en un survival-horror pas piqués des hannetons. Les développeurs préfèrent parler d’un thriller psychologique prenant son inspiration dans les récits de Stephen King et HP Lovecraft. Après une douzaine d’heures de jeu, nous leur donnerons raison. Mais encore faut-il savoir ce que ces dites heures de jeu nous réservent.

Un, deux, trois, soleil

Alan Wake propose deux phases de jeu bien distinctes – en tout cas au départ : celles de jour et de nuit.

La lumière nous permet d’enquêter sur les événements survenant à Bright Falls et tenter de retrouver Alice. Rallier un lieu ou discuter avec les habitants sont deux des principales activités. Il ne faut pas s’attendre à un monde ouvert puisque les environnements restent confinés et pas question de s’écarter du chemin prévu. Au mieux, un léger détour est possible mais Alan Wake se veut un titre linéaire au possible.

Une fois la nuit tombée, la donne est toute autre : il n’est plus l’heure de flâner. Les ténèbres ayant pris possession des lieux, de nombreux ennemis apparaissent sous les traits d’habitants de Bright Falls. Ces derniers sont sensibles à la lumière, avant de l’être aux balles de revolver. Le gros des combats consiste donc à les éclairer jusqu’à un léger flash nous avertisse que la cible est désormais sensible aux rayons de la lampe torche. L’arsenal d’armes et de lumières se peuple au fil de l’aventure jusqu’à inviter grenades incapacitantes, fusils à pompe, feux à main ou encore fusées de détresse.

L’intégralité du bestiaire dispose du même point faible et peut se résumer à des humains, des oiseaux et des objets (!) prenant vie pour nous attaquer. Si Alan Wake a nécessité autant d’années de développement, ce n’est certainement pour disposer d’un gameplay varié. Nous faisons la même chose du début à la fin ; à savoir : avancer, éclairer les ennemis, les tuer, avancer, éclairer les ennemis, les tuer, … Une salvatrice esquive est présente, mais reconnaissons que dans le feu de l’action, sa réussite se fait souvent au petit bonheur la chance. Alan Wake n’étant pas un soldat, il s’essouffle rapidement, nous demandant souvent de ralentir la cadence de progression. En cela, à l’instar des héros des Silent Hill, Alan Wake se veut assez lourd à jouer ; la maniabilité restant tout de même très bonne. Même pendant les quelques portions de jeu à bord de véhicule. Pas de physique digne de Gran Turismo, juste une conduite de GTA-like.

Ambiance quand tu nous tiens

Si Alan Wake ne peut se reposer sur les ficelles de son gameplay, il peut en revanche le faire sur son ambiance et sa narration. Tel Lost Odyssey dans le domaine du RPG, le titre de Remedy permet une narration depuis plusieurs supports. A côté des traditionnelles scènes cinématiques, le joueur suit l’histoire par l’intermédiaire de pages de manuscrit disséminées au fil de la progression, mais aussi de sitcoms à la télé, d’émissions de radio et de vidéo flashback. Le tout s’intégrant magnifiquement bien au jeu, il est difficile de se passer d’un des moyens mis à notre disposition. Ces éléments s’intègrent dans une logique reprise des séries TV puisqu’Alan Wake est découpé en six épisodes, chacun d’environ deux heures, tous précédés d’un rappel des faits passés et suivis d’un cliffhanger. Le scénario, finalement simple au départ, se complexifie très vite au point d’obtenir un final parmi les plus ouverts offert aux joueurs. Un gigantesque cliffhanger, serions-nous tentés d’écrire.

Cette atmosphère de mystère, maintenue jusqu’au générique de fin, tient également dans la somptueuse réalisation graphique.

Les personnages accusent le coup du développement à rallonge, ressemblant davantage à des poupées de cire qu’à de véritables acteurs, et ce malgré l’excellent doublage. En revanche, les décors sont tout simplement stupéfiants. Nulle peur dans Alan Wake, mais une angoisse de tous les instants en raison de l’inquiétante forêt dans laquelle le héros fera la plupart de ses pas. L’herbe et les arbres vrombissant à l’approche des ténèbres jusqu’à simuler de mini-tornades. Qu’il est stimulant et stressant de parcourir ces lieux dans de telles conditions, le vent soufflant et les oiseaux coassant au dessus de notre tête. Effrayé, Alan Wake l’est indubitablement ; courageux, il se force à l’être. Peut-être est-ce finalement ce que tente de faire également le joueur, en tout cas au départ. Une fois l’aventure lancée, il est difficile de décrocher de sa manette. Les ténèbres ont beau être dangereux, les affrontements tous identiques, nous ne pouvons nous lasser de progresser dans ce récit si bien conté et si immersif. D’autant que la bande son, disponible dans l’édition collector du jeu, est un régal, bien qu’un peu trop discrète.

Une édition collector indispensable

Les possesseurs de l’édition normale peuvent certes découvrir un excellent jeu ; mais les plus riches d’entre nous ont l’honneur (ou plutôt la récompense…) de continuer l’aventure au travers d’un livre, Les Dossiers d’Alan Wake, d’un écrivain factice. Ce roman, rédigé sous forme de recueil de notes, est en réalité une enquête faisant suite aux événements décrits dans le jeu. C’est l’occasion pour les plus curieux et passionnés de se replonger tout au long de ces 144 pages dans l’univers d’Alan Wake.

Si ceci peut paraître gadget, le livre se veut pourtant très intéressant, éliminant certaines pistes sur lesquelles certains se sont peut-être aventurés pour comprendre la fin de l’histoire. Il vient donc merveilleusement bien compléter le mode cauchemardesque du jeu – mode de difficulté débloqué une fois la quête bouclée et permettant de collecter les pages de manuscrit oubliées.

Narration Vs Gameplay

Malgré ses cinq ans de développement qui auraient pu faire penser qu’Alan Wake allait être un blockbuster du monde vidéoludique, il n’en est rien. Il cumule les petits défauts – textures parfois très laides, gameplay redondant, bugs de collision fréquents, interactivité limitée – qui l’empêchent de figurer sur le podium des titres de l’année… pourtant, ce serait oublier le savoir-faire de Remedy à nous offrir une histoire passionnante dans un monde qui ne l’est pas moins. La narration se faisant au travers de plusieurs supports dans le jeu, chaque joueur pourra découvrir les détails du scénario à son envie. De même, l’excellence de l’ambiance graphique et sonore fait que chaque joueur se verra immédiatement plongé dans les ténèbres de Bright Falls pour n’en sortir que douze ou quinze heures plus tard, selon le mode de difficulté et sa faculté à fouiller la forêt à la recherche des thermos de café. Remedy ne déçoit finalement pas en n’offrant certes pas un titre parfait mais l’un des plus intéressants de l’actuelle génération de console. Ce n’est pas rien !