Quatrième titre du studio Quantic Dream, Beyond Two Souls a fait verser beaucoup d’encres. De son annonce – après Kara, un impressionnant court-métrage – à son gameplay tout en QTE en passant, et surtout en passant, par les nombreuses interventions médiatiques de son charismatique réalisateur, David Cage, le titre a su diviser les joueurs avant même de fouler les étalages de vente. Heavy Rain a su marquer le monde du jeu vidéo en apportant une vision du média très particulière, à la fois encensée et décriée. Soucieux de poursuivre dans cette voix et surtout désireux d’expérimenter des pistes de narration, David Cage s’est lancé à corps perdu dans un approfondissement de l’expérience Heavy Rain. Très bien. Ce dernier était connu pour avoir su réunir des couples devant l’écran. C’est pourquoi Lolita et votre serviteur se sont prêtés au jeu en coopération. Expérience…
D’entrée de jeu, Beyond Two Souls se veut beaucoup plus fantastique que son aîné, reprenant des idées de The Nomad Soul : nous incarnons Jodie Holmes – vidok, « habitué des jeux vidéo » – une jeune fille née aux côtés d’un esprit, Aiden – Lolita, « débutante dans les jeux vidéo » – Les féministes, calmez-vous, ce sont les deux niveaux de difficulté. Aiden, immatériel et invisible, n’est connu que de Jodie, et elle-seule est à même de communiquer avec lui. Il peut toutefois se manifester en interagissant avec l’environnement ou posséder un être vivant. De sa naissance à l’âge adulte, de sa crise d’adolescence à son entrée dans la vie active, nous allons suivre Jodie pendant tout un pan de sa vie.
Pour mener à bien cette histoire, Quantic Dream s’est alloué les talents de deux grands acteurs, Willem Dafoe (Inside Man, Spider-man), plus de vingt ans de carrière au cinéma, et Ellen Page (Juno, Inception), nominée aux oscars, plus de dix ans de carrière au cinéma malgré son jeune âge. Voici donc deux pointures de la scène hollywoodienne motivées par le scénario et le défi proposé par David Cage. Il faut dire que Beyond Two Souls a tout, lui aussi, de la superproduction américaine, avec son jeu d’acteur entièrement motion capturé, couplé à une réalisation technique poussant la Playstation 3 dans ses derniers retranchements. Incroyable est le premier mot qui vient lorsque nous assistons aux premières scènes. Les personnages sont criants de réalisme, et si Heavy Rain ou L.A. Noire avaient su offrir un très bon niveau de réalisme visuel, B2S franchit un nouveau cap en couplant le graphisme avec l’animation, quasi parfaite. L’intérêt d’avoir fait tourner toutes les scènes par des acteurs, action à première vue gadget, prend tout son sens lorsque les modèles 3D se meuvent devant nos yeux ébahis. Il y a un avant et un après Beyond Two Souls. Clairement. Pas étonnant que les équipes de Quantic Dream aient eu besoin de considérablement gonfler ces trois dernières années.
Beyond Two Souls, quoiqu’en dise son créateur, a été pensé pour se rapprocher d’un film interactif. Est-ce un mal ? Absolument pas. Tel le beat’em all, le RPG ou la plateforme, le concept de film interactif est un genre à part entière, et contrairement à ce que certains peuvent affirmer de-ci de-là sur l’internet mondial, existe depuis bien longtemps, posez donc la question à Dragon’s Lair. En cela, le titre propose une narration prépondérante, rythmée par de nombreux dialogues, aux choix réguliers, ponctués par quelques phases de déplacement, une interaction avec le décor qui s’amenuise au fil des heures et des Quick Time Events omniprésents, aussi bien pour sauter au-dessus d’un tronc d’arbre, se battre avec plusieurs malfrats ou simplement couper des oignons. Parfois fatigants, souvent inutiles, ils sont pourtant au cœur de l’activité du joueur. A l’instar d’Heavy Rain. Malheureusement, David Cage n’a pas su écouter les joueurs qui se plaignaient déjà de la lourdeur des héros et de QTE parfois incompréhensibles : Beyond reprend exactement le même gameplay, aux défauts près, et en ajoute davantage. Si l’imprécision des commandes de déplacement semble avoir disparu lors des premières heures, elle revient sans réellement crier gare pour ne plus nous quitter jusqu’au terme de l’aventure. Bien qu’habitué des jeux vidéo, le joueur pestera plus d’une fois contre cette simulation de poids lourd.
Cependant, pour contrebalancer, un second gameplay a été mis en place au travers d’Aiden. Cet être spirituel peut être contrôlé sur une simple pression sur le bouton Triangle. Limité à un certain périmètre autour de Jodie – sauf de temps en temps, sans raison, incohérence, première – il est capable d’agir de manière brutale et puissante sur le décor, en plus de pouvoir traverser des parois et prendre possession d’ennemis. Aiden se pilote à l’aide des deux sticks pour des déplacements en 3D, à 360°. Dans le mode “débutant dans les jeux vidéo”, les endroits clés où positionner Aiden sont marqués par des boules orangées, permettant de se repérer facilement, pour mieux se concentrer sur l’objectif de la séquence. Bonne idée pour les non-initiés aux sticks analogiques. Lolita approved. Aiden peut surtout devenir un allié de poids en combat.
En effet, David Cage a beau clamer à ceux qui veulent l’entendre qu’il y en a marre des jeux de tir, première comme troisième personne sans intérêt, Beyond Two Souls propose plusieurs phases de TPS, qui ne figurent pas parmi les chapitres les plus courts, loin de là. Nous sommes alors obligés de diriger Jodie, avec sa lourdeur naturelle, en nous déplaçant furtivement et en employant un système de couverture finalement assez proche de certains titres du genre, mais qui, en réutilisant le gameplay à base de QTE, est au final plus que raté. L’idée d’utiliser Aiden pour se faufiler plus simplement dans les lignes ennemies est excellente, mais elle se résume bien souvent à l’envoyer en éclaireur pour comprendre les rondes des soldats voire pour en étrangler quelques-uns en amont. Il aurait pu être intéressant de développer un réel système coopératif, entre Aiden et Jodie, malheureusement, les séquences faisant intervenir les deux personnages, en simultané, ne sont pas monnaie courante. Attendez, nous n’en dénombrons même que deux en une dizaine d’heures – et peu de chances que le reste des embranchements en amènent beaucoup d’autres. Ces phases sont donc plutôt molles, très hachées et finalement contradictoires avec le contenant qui est censé être là pour nous offrir une expérience différente de d’habitude. Etrange. Ainsi que les idées, soit mal exploitées (des courses-poursuites à dos de moto – assez peu jouables, linéaires au possible, mal conçues et tout aussi palpitantes – une phase aquatique à l’intérieur d’un sous-marin sans aucun obstacle), soit reprises ailleurs (un anniversaire copie de Carrie, un DLC faisant immédiatement penser à Portal 2 – copie ou hommage ?), Beyond Two Souls se veut comme un grand film américain, touche-à-tout et audacieux. Mais si Heavy Rain avait su se mesurer pour ne pas partir dans tous les sens et rester dans un créneau proche du point’n click, Beyond Two Souls donne l’impression de partir dans tous les sens avec un système de jeu absolument pas adapté. Il fait en quelque sorte penser à une mamie dans une robe de soirée d’étudiante : sa ravissante plastique laisse vite apparaître un jeu extrêmement lourd, à manœuvrer, à comprendre, à expliquer, à suivre.