Life Is Strange

[dropcaps style=’2′]Si, avec Remember Me, les Français de Dontnod n’ont pas réussi à remporter tous les suffrages, notamment du fait d’un développement chaotique où la ligne directrice du projet s’est vue changer en cours de route plébiscité par son éditeur, Capcom, passant d’un RPG en monde ouvert à simple action/aventure linéaire mais également d’un cruel manque de moyens ne leur permettant pas de matérialiser concrètement toutes les ambitions voulues, on peut dire que le studio s’est plutôt bien rattrapé avec son projet suivant. Ce qui n’était pourtant pas gagné en soi : Life Is Strange se présente comme un jeu narratif épisodique, dans la lignée des Telltale Games, ce qui n’est pas pour plaire à tout le monde, développé avec des moyens d’autant plus rachitiques comme le laisse à penser sa technique au premier abord et surtout son modèle d’achat, qui plus est devait rester cantonné aux strictes sphères dématérialisées. Mais s’associer cette fois avec Square Enix en éditeur a porté chance à Life Is Strange qui su remporter beaucoup de suffrages et marquer pas mal de joueurs, au point qu’il se voit pourvu d’une sortie physique sitôt l’intégralité des épisodes dévoilés. Et que l’éditeur qui le chaperonne fasse appel à un autre studio afin d’en développer une préquelle avec le récent Life Is Strange – Before The Storm, histoire de ne pas s’arrêter en si bon chemin, surfer sur la vague et faire patienter de l’arrivée d’une véritable saison numéro deux développé par ses géniteurs originels qu’ils ont eux-mêmes annoncés en milieu d’année dernière.[/dropcaps]

Max la menace

Maxine Caufield, alias Max, est une jeune fille timide et introvertie, passionnée de photographie, qui se voit revenir dans sa ville natale, Arcadia Bay, quelques années après l’avoir quitté pour rejoindre Seattle. Cette petite bourgade de l’Oregon possède en effet une école prestigieuse, notamment dans sa passion où un photographe très réputé l’enseigne, dans laquelle elle a été reçue afin de réaliser son rêve de percer dans son domaine de prédilection pour lequel elle possède un grand potentiel. Quelques temps après son transfert dans l’établissement en question où elle y domicilie en internat, la vie bat son plein, entre cours et la pénibilité pour Max, manquant cruellement de confiance en elle, de se faire une place dans son nouvel environnement, où les élèves semblent se remettre de la disparition d’une élève appelée Rachel Amber, que ce soit d’ordre social ou d’ordre artistique. Tellement qu’elle a même du mal à trouver le courage de revoir sa meilleure amie d’enfance, Chloe Price, qu’elle n’a pas revue depuis son déménagement pour Seattle.

Par un jour qui paraissait pourtant banal, Max se retrouve à être témoin d’une scène tragique dans les toilettes après un cours, où elle a par ailleurs fait un bien étrange cauchemar annonçant la destruction de la ville à cause d’une immense tornade : le fils de la famille la plus riche et importante de la ville se dispute avec une autre jeune fille pour des histoires de drogue. Pris de panique, il finit par la menacer d’un revolver puis la tuer. C’est à ce moment que Max, cachée dans un coin après avoir pris en photo un mystérieux papillon bleu, est en proie à une situation abracadabrantesque. L’environnement s’affole et elle se revoit assise dans la salle du cours duquel elle avait assisté précédemment et se déroulant seconde par seconde à l’identique. Pour une raison inconnue, il s’avère qu’elle ait réussi à remonter le temps. Un véritable miracle en soi car cela lui laisse toute l’opportunité de sauver la jeune fille qui s’était faite tirer dessus quelques minutes auparavant – ou plutôt après – et lui sauver la vie. Ce qu’elle fait, comme toute bonne âme aurait faite dans cette même situation. Et ce qu’elle ne tarde pas à savoir quelques temps plus tard, c’est que cette inconnue n’est autre que Chloe, son amie d’enfance.

Le prix de Chloe

Une coïncidence aussi étrange que bienvenue : rien de mieux pour reprendre contact après ces années de perte de vue. Chloe a par ailleurs bien changé : cheveux bleus, look punk rock, comportement trahissant une évolution vers la rage de la rébellion dans la lignée sex, drug and rock’n roll. Il faut dire que la jeune fille n’a pas vécu de choses très faciles, ayant dû faire face dans le même timing à la mort de son père et le départ de Max qui a rompu tout contact depuis lors. Et comme si les choses ne suffisaient pas, au moment où elle parvient à s’amouracher d’une nouvelle amie importante, une certaine Rachel Amber, il a fallu qu’elle disparaisse mystérieusement sans laisser de trace. Sans compter l’arrivée d’un beau-père qu’elle exècre au plus haut point, tout ceci explique en quoi Chloe mène une existence aussi mouvementée que remontée, jonchée d’instabilités telles qu’elle en met régulièrement sa vie en danger.

Et dans Life Is Strange, sauver cette jeune fille aux cheveux bleus en est la base. On pourrait d’ailleurs croire qu’avec les nouveaux pouvoirs temporels de Max, cela serait chose aisée. Ce qui n’est clairement pas le cas. La moindre modification de la ligne temporelle apporte son lot de bouleversements sur l’environnement et apporte à Arcadia Bay des faits on ne peut plus étranges, passant d’une tombée de neige alors qu’il n’en est nullement la période à la mort inexpliquée de la faune telle des oiseaux ou encore des baleines s’échouant sur la plage. Tout ceci annonçant une sonnette d’alarme sinistre tendant à introduire le cauchemar de Max au sujet de la tornade, qui se répète et est censé arriver selon celui-ci quelques jours plus tard. Sans compter diverses révélations intervenant en cours de route, mettant en lumière qu’il se passe des choses étranges au sein de l’académie où Max étudie et que la disparition de Rachel Amber est peut-être plus alarmante qu’une simple fugue, comme tout le monde se complaisait à le penser. Bref, d’un pouvoir qui paraissait de prime abord fort pratique, on en finit par se convaincre qu’il s’agit plutôt d’une véritable malédiction tant les conséquences et contraintes sont catastrophiques et ce, quelque soit les choix que l’on pourra faire afin de voir le dénouement de cette aventure.

Photographie mouvante

Crevons l’abcès d’entrée : il n’y aucun impact réellement ludique dans Life Is Strange. Et cela paraît somme toute logique tant ce n’est pas le fer de lance du genre narratif. Il n’y a pas à se laisser amadouer par la poudre aux yeux que Dontnod nous jette en pleine face en nous laissant davantage le contrôle de notre héroïne au travers des scènes que peut l’être un jeu estampillé Telltale Games. Ce n’est pas parce qu’on a la possibilité d’amener son personnage d’un point A à un point B soi-même que l’on est face à un véritable gameplay en tant que tel. Ce dernier est même simplifié au maximum, ne nous laissant que nous déplacer, interagir avec les PNJs et quelques objets dont on s’arrête finalement qu’à de la simple consultation. La seule subtilité se faisant sur la capacité de remonter le temps de quelques instants à notre convenance selon des situations plus ou moins importantes. Le joueur reste donc passif et n’est sollicité que pour faire la vache à mule mais surtout, à choisir selon diverses possibilités proposées. Certaines se révélant importantes (et apportant parfois des conséquences inattendues), et d’autres complètement anecdotiques et cosmétiques si l’on se focalise uniquement sur le fil de l’histoire. Ajoutons à ça une technique correcte mais tout sauf exceptionnelle, trahissant un budget modeste et compensée par un prix pas spécialement onéreux – une vingtaine d’euros sans promotion et à peine plus cher pour une version boîte – il faut bien se mettre dans le crâne qu’il ne faut pas voir en un tel soft un jeu vidéo au sens strict. On reste passif à ce qu’il se passe et c’est au joueur de trouver sa place afin, qu’à défaut d’agir directement, s’en retrouve impliqué.

Entre plongée et contre-plongée

Et à ce niveau, Dontnod a bien fait les choses : la narration se révèle fort bien maîtrisée et l’histoire de Life Is Strange s’avère haletante à plus d’un titre. Ce qui explique en quoi le titre a déchaîné tant de passion et surtout d’impatience chez les joueurs ayant suivis l’aventure de manière tronquée au fur-et-à-mesure de la sortie des différents épisodes. Et quoiqu’on pense du modèle épisodique, ce choix sied par ailleurs fort bien à ce titre et se révèle aussi salutaire pour ses développeurs – les retombées financières, ce genre de choses – que pour les joueurs. Life Is Strange arrive en effet à poser une histoire passionnante, bien narrée et tournée, mais surtout un excellent contexte. On en vient à s’attacher à cette ville, ses habitants mis en lumière, qu’ils soient centraux pour l’histoire que secondaires, et le fait d’offrir davantage de possibilités que celles faisant avancer le scénario incite à s’y pencher d’autant plus en profondeur, quelque soit son importance. Un signe qui ne trompe pas entre la construction d’un univers et d’une ambiance qui permet un rapport plus profond entre le joueur et le jeu qu’il n’y paraît, créant un véritable rapport de connivence et immergeant d’autant plus un joueur qui sera en proie à ses émotions derrière son écran. Et le fait de dévoiler les épisodes au compte-goutte ne pouvait que pousser les plus passionnés à s’attarder sur chacun d’entre eux en profondeur, histoire d’assouvir curiosité et ronger son frein dans l’attente de la sortie de l’épisode suivant par le même temps.

Par-delà de son histoire intéressante, entre enquête et fantastique, ce qui dénote Life Is Strange de la concurrence, c’est sans conteste la part d’humanité qui règne. Si certains choix ont de l’importance quant à la suite des événements, d’autres se révèlent d’ordre bien plus cosmétiques. Mais est-ce si vide pour autant ? Pas tant que cela en fait. D’une part, certains nous poussent à la réflexion personnelle vis-à-vis de certains dilemmes présentés, quand bien même ils n’ont pas spécialement de conséquences (l’euthanasie notamment). De l’autre, les personnages sont présentés de telle manière qu’il est très facile d’y voir une dimension humaine très profonde. Max a beau détenir des pouvoirs surnaturels, cela n’empêche qu’elle ne reste qu’une pauvre adolescente paumée tentant de construire l’adulte qu’elle sera, à grands renforts de journal intime, réseau social sur internet et échanges sms. De la même manière que tous les autres personnages présentés que l’on pourra ou non aiguiller indirectement via la conséquence de nos choix. Il y a réellement quelque chose de touchant à suivre ces tranches de vies, somme toute banales dès lors qu’on occulte toutes les ficelles fantastiques du scénario, au sein d’Arcadia Bay et de son académie : voir et contribuer à la forge de tout ce beau monde en proie aux problématiques d’adolescents que l’on a nous-mêmes tous plus ou moins connus à leur âge tels rebondir après la perte d’êtres chers, découverte des sentiments et, surtout, leurs nuances, quête d’identité et de confiance… C’est ce « petit » truc en plus qu’apporte Life Is Strange et de manière volontaire et assumée de la part de ses géniteurs comme le prouve l’épisode 4 qui a été assez décrié car apportant une avancée plutôt molle à l’aventure au profit de ce genre d’approche. Qui a, par ailleurs, toujours été omniprésente sur les autres épisodes tant le soft ne brille pas par un dynamisme de narration, d’autant plus que sa bande-son tournée autour de l’indie pop/rock gentiment hipster appuie d’autant le côté posé de l’aventure. Il faut y voir davantage la contemplation de tranches de vie tant le titre ne brille pas par des scènes d’action périlleuses et frénétiques. Et il n’y a pas à lui en tenir rigueur vu que ce n’est pas son propos.

[section id= »conclusion » style= »border:1px solid white;padding:10px;overflow:auto;background-color:#00a0db;color:#FFFFFF; »]C’est qu’après tout, ce ne sont pas des petits adolescents paumés ordinaires qui iront se la jouer Chuck Norris face à une succession d’adversités extraordinaires. La vie a beau prendre des tournants étranges, cela n’en demeure pas moins la vie. En cela, Life Is Strange se complaît à parcourir des sentiers plus emprunts aux caractéristiques du cinéma français que du grand Hollywoodien pète-aux-yeux. Et cela lui va fort bien puisqu’il arrive sans peine à se hisser plus haut que beaucoup de ses concurrents, Telltale Games en tête qui ne parvient pas à amener une telle dimension humaine à ses titres qui, à côté, ne représentent que de simple divertissement interactif. On ne s’y attendait pas forcément mais on en est pourtant bien là : Dontnod n’a peut-être pas disposé d’un budget mirobolant mais il semble avoir parvenu à matérialiser toutes ses ambitions dans leur projet. En espérant que leur prochain gros titre, l’action/RPG Vampyr, disposera lui aussi d’un tel aplomb et qualité.[/section]

 

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