[dropcaps style=’2′]En cette année sabbatique pour Phoenix Wright, la série Ace Attorney fait un retour vers le passé et revient plus de 100 ans en arrière, transposant ses joutes judiciaires au Japon de l’ère Meiji et au Royaume-Uni de la reine Victoria.
Si Ace Attorney Dual Destinies symbolisait le crépuscule du système judiciaire, Great Ace Attorney en conte la genèse. Car en ce début de l’ère Meiji, la profession d’avocat vient toute juste d’être créée et tout reste à faire pour assurer des procès en bonne et due forme. C’est dans cette optique que Asôgi Kazuma est envoyé étudier le système judiciaire du pays le plus en pointe : l’Angleterre. C’est le premier problème de Great Ace Attorney : Naruhodo Ryunosuke, le héros de cet épisode, n’est pas avocat et n’y aspire pas jusqu’à ce que les circonstances l’y obligent. Et du coup, ce dernier souffre d’entrée de la comparaison avec le héros traditionnel de la série.[/dropcaps]
La transition est extrêmement maladroite et pèse sur le rythme du jeu tout entier qui apparaît au final inégal. Le premier procès est mené de main de maître dans la capitale japonaise, avec des rebondissements haletants et un contexte historique du Japon de la fin du 19e siècle franchement bien illustré. L’occidentalisation de l’archipel telle qu’elle décrite par exemple dans Je Suis Un Chat de Natsume Sôseki est présentée ici avec minutie. Il est aussi amusant de constater l’étendue des différences culturelles ou économiques de l’époque, qui donnent lieu a bien des situations cocasses. Bref, tout dans les costumes jusque dans la géopolitique décrite respire l’authenticité et ravira les historiens en herbe. Suit un deuxième chapitre bien bateau (c’est le cas de le dire), sans procès et à la conclusion d’un tiédeur qui laisse interdit.
Le joueur débarque alors dans le pays de sa Majesté et là encore, le côté artistique, historique et le comique de situation sont sans faille. En premier lieu, le malicieux Sherlock Holmes est là mis à l’honneur d’un manière assez surprenante, mais efficace. Déjà, tout les chapitres de Great Ace Attorney se présentent à la manière d’une nouvelle du célèbre détective d’Arthur Conan Doyle, le deuxième chapitre n’étant rien de moins qu’une parodie aussi subtile que géniale de La Bande Mouchetée! Sherlock Holmes est égal à lui-même, sûr de lui et cassant avec toutefois une grosse différence : il est absolument nul en déduction! Ce qui donne lieu à l’une des nouveautés de cet épisode : lors de l’inspection de certains lieux, Sherlock Holmes lancera une hypothèse complètement farfelue et ce sera à vous de la «corriger» en observant les éléments du décors et en désignant le détail adéquat. Cependant, ces phases ne sont pas si nombreuses, ni très complexes sur le plan de la réflexion. En tout état de cause Great Ace Attorney est rempli de clins d’œil délicieux pour les lecteurs du Sherlock Holmes original.
C’est un plaisir de parcourir le Londres de l’époque où l’on constate une nouvelle fois le génie de Capcom pour nous livrer des personnages hauts en couleur. Les intervenants secondaires ont été extrêmement travaillés : du vieil officier britannique fier de ses états de services au policier de Scotland Yard dominé par sa femme, l’univers de ce nouvel Ace Attorney est encore une fois un plaisir sans égal. Cerise sur le gâteau, l’un de vos clients ne sera autre que Natsume Sôseki lui-même! Le grand écrivain japonais est absolument désopilant dans son attitude excentrique, s’exprimant même en yojijukugo, ces jeux de mots formés de quatre kanjis.
Tout cela servi par des thèmes musicaux de grande qualité, que ce soit les mélodies enjouées durant les phases d’enquêtes ou les compositions énergiques des moment-clé des procès. Confess the Truth 2015 en particulier est grandiose. On regrettera cependant que certains personnages principaux ne soient pas présentés plus en détail : la jeune Susato reste cantonné au rôle d’assistante (alors que Athena avait un très grand rôle dans Ace Attorney Dual Destinies) et le procureur Barok Von Zieks n’apparaît pas du tout hors des procès. C’est le premier rival dont la personnalité et l’histoire ne sont pas développées. Dommage…
Les procès de ce Great Ace Attorney gardent le gameplay traditionnel de la série, avec les pièces à conviction à présenter au moment opportun. Même si le jeu corse son challenge en donnant beaucoup moins d’indications que Ace Attorney Dual Destinies, les preuves à présenter sont souvent limitées et pas très alambiquées. Reste toutefois le plaisir de démontrer des crimes sans la sacro-sainte police scientifique, avec des moyens détournés d’époque plus inattendus les uns que les autres comme la boîte à musique ou le livre de botanique. Le système de jeu introduit le jury dans le processus de décision : celui-ci, un peu scripté, ressemble fort au système de témoins multiples de Professeur Layton vs Ace Attorney (ce dernier étant également reconduit ici) puisqu’il faut trouver les contradictions entre les membres du jury. Le 3e chapitre est très fort avec beaucoup de tension, le 4e largement plus moins passionnant (crime banal, résolution banale) et le dernier clôt l’aventure avec beaucoup plus de profondeur et d’émotion. Le scénario en fond se développe alors de manière plus surprenante avec un final plutôt marquant. Dans l’ensemble, ce dernier Ace Attorney se rapproche plus du visual novel que du jeu de réflexion.
Le dernier problème étant que le jeu ne répond pas à toutes les questions qu’il soulève. Le coupable du premier procès est en fuite et on ne connaît pas ses motivations, le mystère du manuscrit Le Chien des Baskerville restant lui aussi inexpliqué. Pire encore, certains personnages n’apparaissent que 15 secondes et ne sont jamais réutilisés ensuite! Est-ce là le signe d’un développement chaotique ou d’une suite à venir? C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Autre absence remarquée : les doublages. Alors que les trailers diffusés en amont de la sortie du jeu présentaient des personnages complètement doublés, tout a disparu dans la version finale! Quand on sait que même les visual novels PSVita les plus modestes sont doublés à 100%, il y a de quoi se plaindre. Et on n’aura pas fini, car Capcom nous sucre également la possibilité de prendre des screenshots via le Miiverse (on remercie d’ailleurs chaudement Exelen pour les images). Budget serré? Hésitations de dernière minute? Great Ace Attorney a clairement un goût d’inachevé…