Le début de l’été 2019 fût un moment quelque peu marquant pour les fans de la série des Castlevania puisque sorti enfin Bloodstained : Ritual of the Night, après bien des mois de développement pas mal mouvementés depuis la fin de son imposante campagne de financement en 2015. Une sortie au final plus que réussie aux vues des attentes – si l’on exclut la mouture Switch – et qui a quelque peu « plié le jeu » pour cette période sur le genre, quitte à avoir éclipsé d’autres propositions sur le même créneau, avec une qualité pourtant capable de bousculer le rouleau compresseur du projet du producteur Koji « IGA » Igarashi. Un de ces projets pourrait bien être Blasphemous, imaginé par le studio espagnol The Game Kitchen, qui fût disponible sur les meilleurs étals virtuels durant l’automne de la même année, et qui propose encore, en 2022, une expérience des plus remarquables.
Partons pour les contrées lointaines de Custodia (stylisé Cvstodia), royaume de religion baignant dans la désillusion et le trépas. Nous incarnons le Pénitent, ressuscité de par les morts par le Miracle, omnipotent « tout », lui commandant de réunir un certain nombre de reliques nécessaires à l’accès aux architectures sacrées au-delà d’une imposante et infranchissable porte. La finalité de cette quête sera tue car telle est la volonté du Miracle, et si dans son infinie bonté il offre au Pénitent la puissante épée qu’est la Mea-Culpa, le pèlerinage qui attendra notre silencieux héros sera funeste et borné d’obstacles. Un périple qui ne sera pas toujours une déchirante consternation puisque de nombreux protagonistes viendront se greffer, le temps de quelques lignes, dans le récit de cette saga tragique, pour le meilleur et à de nombreuses reprises, pour le pire. Une consternation qui se matérialise dès le début de cette nouvelle aventure, puisque c’est durant ces premiers instants que l’univers de Blasphemous nous est envoyé en pleine face, sans absolument aucune retenue. Studio andalou de son état, The Game Kitchen est parti d’une base moyenâgeuse à laquelle il est venu greffé un bout de l’histoire religieuse du sud de l’Espagne, avec son iconographie, ses pratiques et coutumes, et tout le folklore l’entourant. L’équipe s’est également inspirée d’œuvres de célèbres peintres baroques et romantiques, principalement de l’école hispanique, tels que Diego Velázquez et Francisco de Goya. Le résultat ? Vous voyez ces peintures religieuses aux thématiques fortes et couleurs déprimantes, qui mettent en scène des corps cassés, torturés et ensanglantés ? Vous avez grossièrement l’esthétique visuelle de Blasphemous : dérangeante, poisseuse, mais étrangement fascinante. Projeté à l’écran par un pixel-art superbe et détaillé, le titre ne prend absolument aucune pincette quant aux décors ainsi qu’aux personnages rencontrés, qu’ils soient alliés ou ennemis, qui oscillent entre l’horrifique, l’ostentatoire et le grotesque, avec une teneur assez forte en hémoglobine et autres boyaux exposés. Les boss, en plus d’être énormes, sont souvent très marquants de monstruosité.
Si l’ambiance visuelle est déjà brutale et percutante, un lore davantage textuel sera également se montrer particulièrement incisif, qu’il soit au travers des dialogues au doublage vocal excellent proposé en anglais ou en espagnol , qui viendront ponctuer notre périple, a, des lieux visités aux dénominations assez équivoques, et surtout, comme dans c’est le cas dans une série très populaire d’un certain FromSoftware, au travers des verbeux descriptifs associés à chaque objet récupéré dans le jeu. Souvent malsains, parfois touchants, ces bouts de destin dépeignent la vie et la mort dans Custodia, où l’Église toute puissante sera dépeinte de manière telle que la véritable Inquisition passerait rétrospectivement comme bienveillante. Et pour parfaire tout cela, nous pourrons compter, pour accompagner constamment notre quête, sur d’excellentes compositions de Carlos Viola, constituées de mélancoliques partitions mêlant piano, violon et guitare. De quoi donc s’enfoncer dans ce qui demeure encore aujourd’hui un jeu d’une pesante mais magnétique tristesse. Oui, Blasphemous ne fera jamais rire, tailladant le moral de ses barbelés acérés, avec un gameplay qui sera là pour faire disparaitre toute once d’espoir.
Bien des genres influencent Blasphemous, avec pour maître mot de proposer un challenge fort tout en étant suffisamment juste. Le socle majeur, c’est évidemment le Metroidvania, même s’il s’agit ici bien plus de la partie Metroid que des ajouts, principalement issus du jeu de rôle, proposés initialement avec Castlevania : Symphony of the Night. L’exploration de fond en comble de Custodia nous attend donc, et si le royaume est immense et labyrinthique, il ne sera pas des plus aisés de s’y retrouver et d’y naviguer au départ compte tenu de l’équipement inexistant du Pénitent et du nombre assez important de passages à priori infranchissables, qui se révèleront à nous dès lors que nous aurons déniché l’artefact adéquat ou simplement trouvé un chemin alternatif permettant de débloquer le dit accès. Sur cet aspect, pratiquement rien à redire : si la panoplie d’acrobaties est limitée, le level-design, les décors à admirer et le nombre de choses à découvrir – bien planquées ou non – rendent la découverte du monde désolé absolument passionnante, avec une certaine exigence quant à la précision demandée durant le platforming où, comme nous le verrons juste après, la moindre erreur ne sera pas pardonnée. Trouver tous les trésors – et autres ossements – demandera du temps, mais fort heureusement, on pourra annoter notre carte d’icônes diverses afin de revenir visiter l’esprit plus clair, certains recoins de Custodia et avec l’inventaire davantage rempli. L’évolution des compétences et statistiques du Pénitent est axée sur l’obtention de bénédictions permanentes plus ou moins sacrés et l’acquisition de reliques aux différents pouvoirs. Il sera possible de trouver ces dernières à même le sol, dans des coffres ou conte un certain nombre de larmes d’expiation, sorte de monnaie funeste obtenue auprès d’ennemis déchus. Outre d’offrir du lore, ces reliques pourront être, selon le type, fixées sur la Mea-Culpa, sur un rosaire ou sur un cartouche, donnant à notre héros boosts, techniques magiques ou un combo bonus/malus permanent. Libre à nous d’adapter cela aux différentes situations que nous allons rencontrer.
Un pèlerinage ne serait rien sans son lot d’épreuves. Ainsi, si moult pièges se chargeront de nous amener directement vers le trépas, entre des trous sans fond, herses acérées et autres pièges particulièrement vicieux, c’est bien les ennemis se mettant au travers de notre route qui seront les plus dangereux : de tailles différentes et souvent en groupe, ils réclameront parfois autant de coups que nous mêmes pouvant véritablement encaisser, ce qui demandera d’être attentif aux patterns et possibilités de contrer telle ou telle attaque, cette option permettant très souvent d’enchaîner avec un finish-move mortellement gore. A l’instar des Souls (finissons par les citer), il sera donc possible de mourir très rapidement et parfois de manière assez bête, et cette trépanation signifiera deux principales choses : la réapparition au dernier point de passage et l’ajout (cumulable) d’un malus quant au taux de larmes récupérées et à la capacité d’utiliser des techniques. Ce malus ne disparaît cependant pas définitivement en cas d’un autre raté, et pourra être résorbé une fois retourné sur le lieu fatal où se trouve le « fragment de culpabilité », ou simplement en moyennant quelques larmes dans des lieux spécifiques mais rares. Du soin ? Bien sûr : quelques bouteilles redonnant un peu de vie, rechargeables uniquement aux mêmes points. La difficulté réside donc à gérer ennemis et à affronter les boss sans pour autant être tabassé à mort de quelque manière que ce soit, et mine de rien, les débuts sont assez compliqués. A force de balades, d’acquisitions d’équipements et surtout par l’apprentissage des coups portés par les ennemis, le périple sera moins pesant, au point même d’être un peu facile sur la fin si l’on exclut les zones et boss cachés. Il est fort dommage d’ailleurs pour pas mal de ces derniers, les affrontement se résument à bourrer le bouton d’attaque et à gérer un temps soit peu son stock de vie. Nous aurions aimé un peu plus de possibilités quant aux contre-mesures possibles, mais ces énormes entités ont un peu la main lourde sur la magie…