[dropcaps style=’2′]En septembre dernier, je jouais au très coquin Action Neptune U. Si le jeu fut clairement au rendez-vous question fan service, ce n’était pas vraiment le cas en termes de gameplay. Beaucoup trop facile, le dernier-né de Compile Heart n’avait strictement aucun intérêt comme jeu d’action. Alors que je désespérais de voir enfin un spin-off correct de ma série adorée, quelle ne fut pas ma surprise quand le 30 du même mois, le développeur Tamsoft mettait en ligne une mise à jour pour rééquilibrer la difficulté. Après quelques essais en mode tournoi, il était clair que le mode normal était devenu normal et le mode impossible clairement impossible. «Mieux vaut tard que jamais», dit-on. Personnellement, je dirais «après l’heure, c’est pas l’heure». Je suis content que Neptune U soit devenu meilleur, mais l’ayant déjà fini, mon expérience de jeu m’a été volée…[/dropcaps]
Cette mésaventure m’a conduit à me poser la question : pourquoi recevons-nous de plus en plus des jeux qui ne sont pas terminés ou complets? Les exemples de jeux lancés à l’arrache ne manquent pas ces derniers temps : Sim City, Atelier Shallie, Assassin’s Creed Parity, Pokemon X/Y, ROSA, Battlefield 4, Senran Kagura 2, Sonic Boom… A chaque fois, le joueur voit son plaisir gâché bêtement, et la réputation de l’éditeur/développeur amoindrie. C’est une situation perdant-perdant, alors pourquoi, POURQUOI? Je pense que nous sommes victimes des cycles économiques du jeu vidéo : l’industrie du jeu vidéo, comme dans tous les autres domaines, tant à croître. Et plus les entreprises grossissent, plus elles ont besoin de ressources et donc d’argent frais, le coût croissant du développement n’aidant évidemment pas. La croissance infinie est impossible, il arrive donc un moment où l’amélioration nécessaire de l’expérience se heurte aux exigences de rentabilité ou de cash. Assassin’s Creed ou Atelier doivent sortir tous les ans, quelques soient les raffinements et les innovations à apporter (ce qui prend du temps). Comme Neptunia reste une série de niche, Compile Heart doit sortir des épisodes très régulièrement pour activer le levier de croissance. La trésorerie doit rentrer, le CA doit être comptabilisé à temps, d’où des deadlines de plus en plus inamovibles. L’embouteillage de nouvelles sorties cette semaine sur l’Archipel n’en est qu’une nouvelle preuve.
Tout va trop vite. On a l’impression d’un hamster qui court sur sa roue et qui ne sait plus comment s’arrêter sans se casser la gueule. Ce qui est amusant (ou effrayant), c’est que moi-même en tant que joueur, j’essaie de finir mes jeux de plus en plus vite à mesure que l’offre grandit. Donc en réalité, moi joueur, je participe aussi à ce cercle vicieux. Il faut RALENTIR, et ce du côté du joueur comme des développeurs. Il faut réapprendre à prendre le TEMPS. Enfin je dis ça, mais je ne sais même pas si c’est possible : le compétition mondiale est trop intense, les places à prendre sont chères et un petit temps de retard peut coûter des millions. Dans le même temps, la hype inarrêtable catalysée par un internet qui tourne de plus en plus vite surmotive les achats day one. A moins d’un choc économique majeur, nous sommes peut-être dans l’impasse.
Cette question du jeu incomplet se réverbère dans une autre tendance : la multiplication des versions «plus». Aujourd’hui, il est très commun de voir un jeu ressortir avec quelques ajouts plus ou moins importants. C’est une tendance lourde : Monster Hunter 4 Ultimate, Dead or Alive 5 Ultimate (puis Last Round), Warriors Orochi 3 Ultimate, Atelier EschaLogy +, Hyperdimension Neptune Rebirth 3, God Eater 2 Rage Burst, Samurai Warriors 4-II, Pokemon Noir&Blanc 2, Tôkiden Kiwami, Yôkai Watch 2.5, Ultra Street Fighter 4, Arcana Heart 3 Love Max… cette habitude essentiellement japonaise est entrée des les moeurs avant même que l’on puisse s’interroger sur son bien-fondé (notez que j’exclus ici la question des remakes/remasters qui n’a rien à voir). Cette pratique au moins une légitimité, car ces versions tardives permettent de faire connaître les jeux concernés à un public qui n’était pas forcément au courant ou motivé lors de la sortie de la version vanilla (allégorie gustative qui désigne la version dite «de base»), et qui peut donc le découvrir à meilleure valeur. Elle est cependant très pénalisante pour l’acheteur de la version originale, et ce pour deux raisons.
Je parlais favorablement des DLCs l’an dernier. Si l’éditeur refuse d’utiliser la potentialité du DLC pour compléter la version vanilla, l’acheteur se retrouve à devoir repasser à la caisse au prix fort pour profiter des ajouts pour son jeu favori. Pourquoi Tecmo, quand il sort Dead or Alive 5 Ultimate, ne permet-il pas aux possesseurs de Dead or Alive 5 tout court d’acquérir Momiji en DLC? Pourquoi les joueurs de Dead or Alive 5 devraient-ils dépenser 40€ au lieu de 4€ pour profiter du personnage? Les fans de la première heure sont importants, l’éditeur devrait en prendre soin : quand Sega sort Hatsune Miku Project Diva F sur PS3 en mars 2013, il prépare également un DLC contenant les nouveautés pour compléter la version PSVita très répandue. Mais cet exemple honorable reste une exception et on voit bien qu’il y a de plus en plus un chantage sous-jacent qui vise à profiter de la passion des fans. Autre problème, cette pratique heurte la créativité : KoeiTecmo est champion du monde de la discipline au point que cela fait presque un an qu’il ont pas annoncé un seul nouveau jeu sur console Playstation. Cette tendance ne va pas s’arrêter, pour la très bonne raison que ça marche du tonnerre : plus d’un consommateur sur deux a répondu présent pour Monster Hunter 4 Ultimate, Tôkiden Kiwami ou God Eater 2 Rage Burst, 70% des possesseurs de Hyperdimension Neptune Mk2 ont acheté Neptune Rebirth 2&3, etc. Moins chers à développer et quand même très demandés, ils sont un outil merveilleux pour afficher de jolis profits en fin d’exercice.
Comme si cela ne suffisait pas, il a fallu que les constructeurs se mettent à faire des consoles vanilla! Le dernier exemple en date est la 3DS dont le modèle «New», beaucoup plus racé et raffiné technologiquement, vous ferait fait presque regretter votre vieille machine. Ne jetons cependant pas la pierre à Nintendo, car les changements de consoles, Sony et Microsoft les ont inventés avant lui. Le taux de défaillance des premières séries de Xbox360 est légendaire, nombre de PS3 fat furent YLODées avant le fin de la génération (la mienne, c’est Black Ops qui l’avait tuée), la lentille des PS2 fat n’était pas non plus faite pour durer (la mienne ayant rendu l’âme lors d’une énième partie de FFVIII). Si tout ceci ressemble fortement à de l’obsolescence programmée, et donc un plan secret de double vente de console, la New3DS va plus loin. En effet, en implémentant un processeur un peu plus puissant qui pourvoit le récent modèle de jeux exclusifs, Nintendo n’est plus dans le bidouillage technique mais dans la planification affichée du comportement des consommateurs.
Ce laissez-faire croissant dans notre industrie provoque un malaise. Il y a un certain désarroi à voir la notion de qualité de produit ou de service piétinée sans que personne ne dise rien ou ne puisse agir, y compris (et surtout) soi-même. Et pour cause, quel que soit le sentiment de révolte, quelle que soit la volonté de résister, la passion finit toujours par balayer colère et doute. Si Compile Heart annonce Action Neptune U2 (ndlr : c’est fait), je sais que je claquerai encore 100€ dans le collector jap’ dès la sortie, parce qu’au-delà des ratés ici ou là, c’est quelque chose de trop précieux. On pardonne plus facilement qu’on sanctionne, car cette passion nous est chère. Nous n’étions en fait que des hommes.