Transistor

Transistor-jaquetteDes utopies futuristes, on en a goûté à toutes les sauces. Si en 2014 ce type d’univers attire encore, c’est probablement grâce à un spectre de possibles thématiques et artistiques indubitablement infini. Transistor, le second opus de Supergiant Games, auteurs de Bastion, constitue vraiment une perle en la matière. Un caillou précieux qui peut paraître toutefois un peu brut, certes . Il n’empêche que celui-ci se révèle être un magnifique voyage de quelques heures pour les yeux et les oreilles. Mais pas seulement.

[dropcaps style=’2′]La ville-société de Cloudbank est de ces futurs rêvés où le consensus pour une vie meilleure est permanent. Chacun peut voter pour le temps qu’il fera le jour suivant, la couleur du ciel et les prochaines manifestations culturelles. Une cité propre, une population qui ne connaît aucune plaie, voilà au milieu de quoi notre personnage débute son aventure.[/dropcaps]

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Red, une chanteuse très populaire, reprend connaissance après un accident survenu lors de son dernier tour de chant. Souvenirs vagues, voix éteinte, notre amnésico-muette se retrouve alors bien seule au milieu d’une Cloudbank complètement vidée de sa population. L’unique présence manifeste est une sorte d’épée « cyber-électro-informatique », le Transistor, dans laquelle a été enfermée l’âme et la conscience du fiancé de la chanteuse.
Entre autres vagues souvenirs, la diva se rappelle que l’organisation totalitaire locale, la camerata, a intenté une agression contre elle, mais c’est son compagnon qui en est mort. C’est ainsi que l’esprit de ce dernier s’est retrouvé prisonnier du Transistor. L’arme de l’attentat devient donc ironiquement le seul medium entre Red, et l’âme de son fiancé décédé. La soif de vengeance du couple, désireux de retrouver les auteurs de ce drame, n’est pas le seul enjeu.

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En effet, le Process, une entité mystérieuse, est en train d’envahir la cité de Cloudbank. Cet organisme se comportant comme une sorte de champignon cybernétique, agit en se dupliquant sous plusieurs formes qui se propagent et contaminent leur environnement. En libérant des cellules aggressives hostiles au genre humain, une nuit suffira au Process pour rendre la ville complètement déserte, vierge de toute forme de vie organique. Red va devoir apprivoiser les pouvoir du Transistor, qui semble être lié à ce virus, pour se défendre, trouver les réponses et, pourquoi pas, ramener son fiancé à la vie.

Un liant gameplay/background cohérent

Transistor (16)Transistor nous propose une aventure basée sur le même dispositif de base que Bastion, l’opus précédent de SuperGiant Games. A savoir une vue isométrique représentée par des graphismes en deux dimensions. En terme de dynamique, le jeu alterne de manière très hachée des phases où l’on ne fait qu’explorer assez succinctement des zones plus ou moins ouvertes (même si rarement vastes), avec des phases de combats. La particularité ici vient du fait que ce gameplay très typé hack’n’slash dans l’esprit est accompagné d’un système de planification de ses actions: une sorte de pause active assez similaire aux jeux de Bioware comme Dragon Age ou Knights of the Old Republic.

Dans ce mode, appelé le « Turn », une jauge est consommée en fonction de nos déplacements et des sorts commandés. Une fois les actions validées, elles se déclenchent. On se trouve alors dans l’obligation d’attendre la fin du cooldown pour profiter de la prochaine possibilité de figer le combat. Tout comme dans les autres titres proposant ce type de pause active, il est autorisé de jouer en faisant fi de la planification: Transistor est parfaitement jouable totalement en temps réel, ce qui lui donnera alors des allures vraiment de hack’n’Slach classique. La seule limite à cette approche, à mon sens, vient de la difficulté. Car, oui, le jeu est assez ardu. Il m’est arrivé de nombreuses fois de buter sur un combat jusqu’à même en ressortir frustré. Le challenge naît clairement des dégâts très importants que nous font les ennemis. On finit par être obligé d’avoir un build de capacités le plus efficace possible, sous peine de se faire évaporer par les différents mobs.

Heureusement, la difficulté est paramétrable à chaque instant. Les développeurs ont eu l’idée géniale d’incorporer l’équilibrage des combats au background. Le Transistor est lié au Process. L’utilisateur de l’épée peut donc améliorer sciemment celui-ci, les ennemis donc, pour rendre le Transistor plus puissant (comprendre: accumuler plus vite de l’expérience).Il nous est possible de choisir des options, appelées « limiteurs », qui sont en fait un calibrage de la difficulté: doubler les dégâts des ennemis pour 4% d’expérience supplémentaire, devoir les tuer 2 fois pour 2% en plus,etc… « New Game+ » personnalisé garanti. Ce qui est diablement intelligent, et renforce l’immersion, à l’image de la plupart des features du jeu.

Transistor (37)Transistor propose un système de compétences passionnant qui force le respect, à défaut d’être totalement original. Au fil de l’aventure, on accumulera un total de 16 pouvoirs.Chacune de ces« fonctions », possède un effet actif, un effet secondaire et un effet en tant que compétence passive. Red va ainsi pouvoir équiper le Transistor comme bon lui semble. 4 emplacements de sorts actifs, chacun accompagné de deux slots secondaires. On rajoute à cela la possibilité d’équiper plusieur passifs qui influencent l’ensemble du build: cela fait énormément de possibilités. Par exemple, le pouvoir Breach() est une décharge d’énergie linéaire vraiment puissante. Si je l’équipe, et que je lui colle en slot secondaire le pouvoir Bounce(), un projectile qui rebondit d’un ennemi à l’autre, alors mon sort Breach() d’origine va se mettre à ricocher sur les mobs. Il suffit que je mette Tap(), sort de siphon de vie, dans le deuxième slot de mon blast rebondissant pour qu’il se mette aussi à voler de la vie. Multiplions ces possibilités par le nombre de sorts et d’emplacements: voilà comment on crée un système de build simple. C’est là tout le relief du gameplay de Transistor. Il est abordable et plutôt impressionnant quand on sait que chaque combinaison propose un effet graphique adapté.

La narration passive au top

L’aspect passionnant des fonctions et des combinaisons vient aussi du fait que tout cela participe de l’ambiance et du background. Chaque nouveau sort sera récupéré par Red sur le corps d’une victime du virus. Car dans cet univers, tout a un lien avec le Process. C’est ainsi que l’expérience s’avère être un bijou de narration passive. L’héroïne étant muette, c’est la voix de son fiancé émanant du Transistor qui fait office de narrateur. Les concepteurs ont eu l’idée brillante de tout nous raconter à travers un faux dialogue entre un homme, qui laisse transparaître tous ses états d’âmes, et sa compagne muette. Ce sera uniquement à travers les répliques du seul personnage parlant qu’on apprendra toujours plus sur la personnalité de Red, les détails de l’intrigue et la dynamique relationnelle du couple. Ce dispositif narratif peut paraître trop évasif à une époque où la surenchère de mise en scène opère souvent comme un standard chez le joueur friand d’univers dépeints en détails, wiki intégré à l’appui.
Transistor (36)Or, ce mode choisi par Supergiant Games finit par agir comme la solution la plus naturelle possible. Exit les dialogues invraisemblables du type « – Mon petit-frère-qui-a-un-traumatisme-d’enfance,Te souviens-tu de notre premier jour à la pêche ? -Oui, mon grand-frère-héros-du-village-mais-qui-n’a-jamais-trouvé-l’amour. Bien sûr que je m’en souviens : on s’était levés de bon matin, après une nuit en boîte ! -Et ce jour là papa nous avait dit bla bla bla… ». Ce type de discours a tendance à briser de manière trop nette, à mes yeux, le quatrième mur en offrant des dialogues artificiels qui n’ont comme unique but que d’informer le joueur sur des faits ou la nature d’une relation. Transistor nous épargne cette dynamique: rarement le fait que deux personnages se connaissent, s’aiment, se comprennent ne m’est apparu aussi évident. Il en va de même pour l’univers en général. Au final, peu de questions restent en suspens, et l’on termine l’aventure avec la sensation d’avoir bouclé une expérience « tenue ». Loin de certains jeux actuels au propos exagérément pompiers, trop occupés à accumuler les plots twists ou les niveaux de lecture au point d’en oublier de raconter une bonne histoire.

Une esthétique magnifiquement maîtrisée

Je voulais aborder en dernier, pour une fois, la patte artistique générale. Même s’il suffit de jeter un coup d’œil aux images pour se faire une idée et y apposer ensuite le filtre des goûts personnels, je dois dire à quel point l’ambiance de Transistor est puissante. Au final, ni l’esthétique visuelle, ni la « couleur » de la bande-son ne sont des foudres d’originalité. Des futurs mêlant visions holographico-baroques et fioritures « Art Déco » limite Art Nouveau à la Mucha pour une atmosphère cyber-raffinée aux relents d’utopie frigide qui « cloche », ce n’est vraiment pas ce qui manque. Les musiques aux arrangement électro-house assez épurés non plus, ne m’ont pas paru franchement originales, depuis des années maintenant que ce type de coloration musicale est utilisé en « mélange osé » avec n’importe quel genre d’univers. Mais la critique s’arrête-là, puisque ça marche foutrement bien ici.

Transistor (7)L’ensemble est fait avec un tel talent, qu’on finit par sentir une mélancolie au fur et à mesure qu’on progresse en compagnie de Red et du Transistor. Des petites idées comme une touche permettant de faire fredonner « en pensées » la chanteuse sur le thème de fond, ou tout simplement le ton de la voix du narrateur sont vraiment bien vues. Tout cela est très efficace. Les cinématiques par plans figés en léger scrolling sont toujours sublimes, les sprites superbes, les effets d’animations de combats magnifiques… Parce qu’on peut s’extasier sans modération devant une esthétique archi-maîtrisée, à défaut d’être absolument originale. Le voyage en vaut vraiment la peine, bordel !

Transistor (10)Finalement, on ressort de Transistor avec la sensation d’avoir vécu une aventure unique. Il ne m’est pas arrivé souvent, ces derniers temps, d’achever une expérience de la sorte: en étant convaincu que même si le jeu que je viens de boucler peut être classé dans tel ou tel genre, celui-ci m’a offert des instants sensitifs et dynamiques qui n’appartiennent qu’à lui. J’en suis même à me demander si la comparaison de Transistor avec Bastion est pertinente, tant on baigne dans un combo esthétique/gameplay extrêmement marqué. Ceci pour une dégustation qui ne laisse pas indifférent. Mélancolique, parfois ingrat en terme de difficulté, mais narré avec un naturel presque touchant par moments, on termine l’aventure assez heureux d’avoir aidé ce couple du mieux que l’on pouvait. En gardant sous le coude l’idée d’un autre « run » entièrement personnalisé grâce aux limiteurs: le liant entre le gameplay et le background se permettant même le luxe d’être cohérent jusqu’au bout.

 

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