Heavy Rain

En préparation depuis plus de quatre ans, Heavy Rain a su maintenir les joueurs en haleine, de fil en trailers. The Nomad Soul et Fahrenheit, les précédentes productions du studio ont su rendre unanime la communauté entière. Alors quand un titre prétendu techniquement époustouflant est annoncé sur Playstation 3, autrement dit la console la plus puissante du marché, il y a de quoi mettre en émoi le plus insensible d’entre nous. Sony l’a d’ailleurs très vite compris en négociant non seulement une exclusivité du titre, mais également l’obtention de son image pour promouvoir la marque. Peu de salons n’ont pas permis de voir l’avancement du projet. Un visage photo-réaliste par-ci, un dialogue superbement mis en scène par-là, tout a été fait pour maintenir l’intérêt de tous. Heavy Rain étant disponible dans toutes les bonnes crèmeries, le couperet peut désormais tomber.

Heavy Rain, qu’est-ce que c’est ? Telle a été une question qui n’a trouvé de réponse que récemment. David Cage, producteur du jeu, aimait bien maintenir le suspense, avec notamment des trailers ne laissant guère la place à du gameplay. En tout cas, selon nous. Heavy Rain ne contient en effet que treize minutes de scènes cinématiques, le reste constitue des phases de jeu. Par phases de jeu, nous entendons moments où le joueur est capable d’interagir, soit avec son environnement, soit dans le dialogue. Chaque action, chaque réaction, chaque orientation de discussion est laissée au libre arbitre du joueur. Sans atteindre la palette de réponses d’un Mass Effect 2, Heavy Rain permet de répondre selon notre humeur ou notre envie. Préférons-nous émouvoir l’interlocuteur ou le menacer ? Allons-nous laisser en plan l’affaire ou continuer de harceler un suspect ? Commettons-nous un meurtre ou laissons-nous-lui la vie ? Heavy Rain va aussi loin dans la possibilité de choix. Il nous oblige sans cesse à mesurer chacune de nos réponses, non par peur de Game Over – il n’y a pas d’écran Game Over – mais par peur des conséquences. En général dans un jeu vidéo, une erreur équivaut à perdre une vie ou à revenir au dernier checkpoint. Ici, pas question de recommencer quoique ce soit. Toute action mène vers un chemin particulier. Il n’y a pas de mauvais choix : tout est bon pour faire avancer l’intrigue. En revanche, notre conscience s’en trouve fortement malmenée. Très vite dans le jeu, elle est sans cesse sollicitée, au point que cela en devient, certes, prenant mais usant. Pour la première fois dans un jeu, nous ressentons des remords à pratiquer certaines actions. La sauvegarde automatique réduit considérablement les chances de recharger sa partie. Heavy Rain a été pensé de sorte à obliger le joueur à réfléchir, à peser le pour et le contre pour ensuite décider en son âme et conscience. A nouveau, pour la première fois, nous sommes responsables.

Heavy Rain, qu’est-ce qu’est ? En tout cas, pas un titre comme les autres, tant notre implication est importante pour le déroulement de l’histoire. Pas question de la subir ou la suivre. Ici, nous sommes réellement acteurs : nous agissons pour la modeler comme nous l’entendons, en tout cas comme nous aimerions l’entendre. La soixantaine de fins possibles ne laisse pas la place au doute : les débouchées sont nombreuses. Une même scène peut être totalement différente selon le joueur. Pour exemple, arrive un moment où l’un des héros sort de la chambre d’une prostituée. Un autre y rentre. Un cri retentit. Que faisons-nous ? Nous rentrons, sans savoir ce qu’il s’est passé et encore moins ce qu’il va se passer, ou nous partons sans nous tracasser des affaires d’autrui. Ce n’est qu’une prostituée. Mais également une femme, une mère encore sous le choc de la perte de son enfant. Mérite-elle cette vie ? Mérite-elle que nous l’aidions ? Doit-elle le mériter pour que nous agissions ? Heavy Rain nous met souvent dans des réflexions particulièrement réalistes, qui peuvent être appliquées à la vie quotidienne. Mais le jeu ne dépeint pas forcément des choix cornéliens, il lui arrive souvent de nous demander notre avis pour des futilités. Nous disposons de temps libre, autant travailler ou jardiner ? Nous allons faire l’amour avec une jeune femme, plutôt d’abord lui caresser le coup ou dégrafer son soutien-gorge ? Les conséquences sont bien moindres et pourtant, l’embranchement est toujours là. Même dans certaines confrontations, selon que nous attendions ou nous agissons, le déroulement changera. Certaines relations n’existent que si nous décidons de les débuter. Certaines amitiés se créent que si nous décidons de ne pas les rejeter. L’amour d’un père n’est puissant que si nous décidons qu’il le soit.

Heavy Rain, qu’est-ce que c’est ? Très bonne question qui tend à trouver une réponse dans l’histoire écrite par David Cage. Bien plus dense que celle d’un film classique, elle propose aux joueurs les tréfonds d’un polar que le cinéma pourrait nous envier. Le prologue débute par la tranquille vie d’Ethan Mars. Marié à une superbe jeune femme, père de deux enfants, architecte et propriétaire d’une belle maison, il coule des jours heureux. D’ailleurs, il s’agit du seul moment où nous sommes éblouis par le rayonnant beau temps extérieur, métaphore du bonheur. Survient alors le décès du jeune Jason, peu de temps après son dixième anniversaire. Un divorce et deux ans plus tard, Ethan n’est plus que l’ombre de lui-même, père célibataire s’occupant – difficilement – de son fils quelques jours par mois. Un après-midi, Shaun, son deuxième fils, disparait. Très vite, la police accuse le tueur aux origamis. Celui-ci kidnappe des enfants, tous âgés de dix ans, et les laisse se noyer dans de l’eau de pluie. Les corps sont en général retrouvés trois à cinq jours plus tard, dans un terrain vague. Une course poursuite va alors s’enclencher pour Ethan dans le but unique de retrouver son fils. En parallèle, Scott Shelby, détective privé engagé par les familles des victimes, mène son enquête pour retrouver Shaun au plus vite également. Il titille alors les milieux des malfrats, tendant vers la mafia, pour suivre la moindre piste tangible. C’est également le cas de Norman Jeyden, jeune agent du FBI, chargé d’épauler la police dans cette affaire. Aidé par les dernières technologies, et notamment des lunettes d’investigation révolutionnaires, il tente de recouper les indices et dresser un profil psychologique du tueur. Son enquête est d’autant difficile qu’en tant que drogué, le manque peut lui jouer des tours à tout moment. Et, toujours en parallèle à tout ce petit monde, Madison Paige, journaliste et photographe, a des insomnies dès qu’elle dort chez elle. Que vient-elle faire dans cette histoire ? C’est à nous de le découvrir au fil du temps.

Heavy Rain, qu’est-ce c’est ? Un film ? Tel les « livres dont vous êtes le héros », Heavy Rain constitue un film dont nous sommes les héros. La trame principale reste la même – il faut nécessairement des piliers à toute fondation – mais tout le reste est à amovible. Tout peut être remplacé par une réalité alternative. Très vite, l’univers d’Heavy Rain prend vie. Le photoréalisme de ses graphismes nous fait immédiatement oublié qu’il ne s’agit que de 3D. Certains plans ou décors nous font tout simplement croire à un film. La création du moteur a peut-être mis du temps, mais le résultat est au-delà de toute attente : Heavy Rain est, à sa sortie, ce qu’il se fait de mieux sur la console de Sony, aux côtés de Final Fantasy XIII et Uncharted 2 : Among Thieves dans des domaines tout autre. L’incessante abattée d’eau, les pliures des vêtements, les voluptés de fumée, mais aussi et surtout les visages des protagonistes sont sidérants. Quantic Dream a longtemps fait tourner des démos techniques basées sur des visages. Nous pensons surtout à celui d’une femme, aux traits incroyablement réalistes, sur laquelle il est désormais possible de poser un nom : Madison Paige. L’expression des émotions n’a jamais été aussi réussie auparavant. Heavy Rain marque une avancée dans la reproduction des sentiments humains. A l’instar de Shenmue et Final Fantasy X en leur temps, il permet au jeu vidéo de faire un bond en avant. Chaque émotion est palpable sur le visage de chaque personnage. Quand Ethan est blessé, quand Madison est gênée ou encore quand Norman est partagé, chacun de ces instants est affiché différemment sur leur visage, avec un nombre hallucinant de nuances. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas là uniquement pour impressionner le joueur. Elles entraînent avec elles leur lot d’émotions qu’il est primordial d’accepter pour profiter au maximum de l’œuvre. David Cage a clairement orienté son récit vers le déluge d’émotions. Heavy Rain nous conte la lutte d’un père qui veut sauver son fils, d’une femme faisant tout pour l’homme qu’elle aime, d’un détective recherchant la vérité et d’un agent toxicomane désireux de se prouver des choses. En fonction de l’impact que la recherche de chacun a sur nous, il est évident que nos réactions s’en trouvent altérées. Les épreuves auxquelles Ethan est livré peuvent être vécues de moult façons différentes, selon notre pugnacité et notre implication. Tout peut être différent, si tant est que nous nous en donnons les moyens.

Heavy Rain, qu’est-ce que c’est ? Il a beau tout avoir du film interactif, il nous laisse tellement la main et le choix qu’il est impossible de ne pas parler de jeu. Nous participons à l’intégralité des scènes. Ne jamais poser la manette ! Les QTE – Quick Time Events, événements survenant de manière inopinée demandant d’appuyer rapidement sur une ou plusieurs touches de la manette – ne sont jamais pénalisants, comme dit précédemment, et influent sur l’épilogue. Heavy Rain est l’un des premiers jeux, si ce n’est le premier, à offrir au joueur la fin qu’il mérite. Si la fin nous déçoit, c’est entièrement de notre faute. Il ne fallait pas réagir ainsi face au père Kramer, peut-être aurait-il mieux valu mettre de la distance entre ces deux protagonistes, ou la raison de cet épilogue tient également dans une fouille un peu surfaite du lieu du crime. Rien n’est décidé à l’avance. Il faut donc agir. En cela, Heavy Rain constitue le jeu parfait : il ne nous laisse que très rarement souffler. Poser la manette pour aller aux toilettes est une hérésie. Aucun temps mort. Même pendant l’installation, l’ennui n’est pas envisageable. Formidable idée que voilà : l’installation d’une dizaine de minutes du jeu nous apprend à créer un origami. Le cours est tellement intéressant que le temps d’installation paraît défiler à toute vitesse, nous faisant regretter qu’il soit si « court ». Que de titres devraient prendre exemple… Les développeurs ont jugé bon de choisir les temps de chargement présents entre chapitre pour annoncer les trophées débloqués. Du coup, l’attente se transforme en suspense : quid des trophées obtenus. Tout est fait pour nous tenir en haleine, au point qu’une fois le blu-ray inséré dans la console, il est impossible de le ressortir avant un premier générique de fin. Selon s’il nous convient, nous relançons une seconde partie en tentant de modifier le destin. Les chapitres peuvent être joués séparément pour éviter de refaire l’intégralité de l’intrigue. Celle-ci ne dure de toute façon qu’une huitaine d’heures. A première vue, c’est peu ; mais c’est parfait pour encourager la refonte de l’histoire.

Heavy Rain, qu’est-ce que c’est ? C’est une œuvre novatrice, incroyablement prenante mais non dénuée de défauts, malheureusement. S’il n’y a aucune interface, ni même inventaire, le peu d’icônes présents à l’écran ne se distingue pas toujours très bien. Certaines touches doivent être maintenues, d’autres pressées et encore d’autres appuyées de manière répétées. Dans le feu de l’action, les confusions peuvent être fréquentes. Quand nous savons que les ratés mènent souvent vers un dénouement différent, il arrive que la frustration survienne au détour d’une scène à la lisibilité assez discutable. De même, la maniabilité du personnage peut nous amener à buter dans des éléments du décor, ou à partir dans la direction opposée à celle que nous pensions. La gestion du stick analogique gauche couplée à la touche R2 (marcher) occasionne quelques problèmes. Rien de bien méchant, mais ils ne sont pas à oublier non plus. Petits soucis de finition sur certaines scènes également. Madison rentre dans une maison et pourtant des gouttes continuent de lui tomber sur les épaules, en même temps que l’eau qui ne cessera jamais, tout au long de la scène, à lui perler sur le visage. Ethan se couche, puis se relève, et plutôt que se relever en dehors du lit, il se met debout sur la couette. Dernier exemple, le freeze du jeu si Norman discute avec un certain personnage après avoir inspecté le lieu d’un certain meurtre (oui, pas de spoiler), plutôt qu’avant, comme nous serions tenté de le faire. De petits points, mais qui, mis bout à bout, empêchent Heavy Rain de prétendre à la perfection. Dommage également que le traitement des personnages n’ait pas été le même pour tous. Rien que le paragraphe précédent sur l’histoire des personnages le montre : Ethan a bénéficié de davantage de soin, ou plutôt est mieux décrit que les trois autres. Nous sentons pourtant tout leur potentiel. Selon Quantic Dream, ce dernier point sera réglé au travers de DLC. Très bien ; mais n’aurait-il pas été préférable de repousser la sortie du jeu pour mieux tout incorporer dans la version boîte ? Les lois du marketing ont très certainement été les plus fortes.

Heavy Rain, qu’est-ce que c’est ? Assurément l’une des œuvres les plus captivantes de l’histoire du jeu vidéo. Un thriller psychologique qui n’a rien à envier au cinéma, bien au contraire, qui peut même lui apprendre deux trois petites choses en passant. Il n’est pas non plus à considérer comme un simple film interactif : le joueur n’a que rarement été aussi impliqué dans une aventure. Même si le fil conducteur reste le même, la quasi-totalité des événements peuvent être modifiés de manière plus ou moins prononcée. Il est vrai qu’à première vue, il a tout du Dragon’s Lair déguisé que nous redoutions, mais il ne faut surtout se laisser berner sur les faits. Heavy Rain est une œuvre qui se vit. Il faut savoir se laisser plonger dans cette histoire, pour que, quelques heures plus tard, dans un sursaut de prise de conscience, nous réalisions que Heavy Rain n’est qu’un jeu. L’aventure offerte par Quantic Dream restera parmi les plus marquantes qui soit, trippante, chargée d’émotions, de joie, de peines, d’amour et de trahisons. Le bien et le mal sont très difficilement discernables. A nous faire le bon choix.

  1. Bon… Deux 6/6 pour HR ? Vous avez craqué ?
    Pour moi le twist final est un des plus gros suicides que j’ai jamais vu. T’avais un drame, thriller vraiment intéressant, à défaut d’être follement original, une façon de l’influencer vraiment agréable, une technique pas dégueu… Et d’un coup on te sort ça. Le plus sérieusement du monde, j’ai éclaté de rire à ce moment là. A partir de là, le jeu a perdu toute crédibilité, au point de la perdre pour toute l’aventure.
    Même Farenheit (que je sais pas comment ça s’écrit) est plus intéressant, avec une ambiance vraiment particulière, même dans sa deuxième partie qui part complètement en c******.

    M’enfin, ça vaut pas la crétinerie de Beyond, mais ça s’en rapproche pas mal sur la fin. Superbe gâchis.

  2. Pour le coup je plussoie ce lecteur:)
    Si j’avais dû faire une review de Heavy Rain je n’aurais pas été aussi clément que mes petits camarades envers les défauts du jeu qui se situent quand même au coeur des enjeux du titre : scénario, implication maturité, cohérence.
    Je suis convaincu qu’il s’agit du moins mauvais opus de Quantic Dreams. Mais leurs travers sont toujours bien là et l’expérience Heavy Rain relève quand même d’une espèce d’arnaque scénaristique dont seul Cage a le secret et qui gâche vraiment l’expérience.

  3. Je ne répondrai pas au nom de Margoth mais en ce qui me concerne, j’ai été totalement happé par l’histoire d’Heavy Rain. Non seulement cela se laisse suivre, mais en plus les choix importent réellement. Le fait de pouvoir switcher entre les personnages pour avoir des visions différentes est ici très bien exploité. Le twist final a visiblement fait beaucoup de mal ; c’est passé beaucoup mieux à mes yeux. En fait, c’est même passé tout seul. Ce que je relève surtout, ce sont les émotions. Là où David Cage a su me toucher (le coquin), c’est dans l’expression des émotions. En général, seuls les personnages s’émeuvent, ici, j’étais ému avec eux. Je me suis réellement impliqué dans chacun des choix, certaines scènes m’ont viscéralement fait réfléchir (celle de la main, bien sûr). J’ai limite paniqué dans le magasin en recherchant l’enfant : tout cela car l’histoire évolue avec nos actions et choix.

    De mon côté, j’ai clairement voulu mettre en avant ces points-là, que l’on ne retrouve dans presqu’aucun autre. Six étoiles reste une appréciation, et non une note technique. C’est un ressenti. Heavy Rain possède des défauts, clairement, je les cite d’ailleurs dans la critique, mais l’appréciation vient « récompenser » l’expérience dans sa globalité. Maintenant, je ne doute pas qu’en le refaisant pour débloquer toutes les fins, je verrai toutes les ficelles, mais c’est mon parti pris de ne pas le refaire.

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