Hotline Miami

Jonatan « Cactus » Söderström est connu dans le merveilleux monde du jeu-vidéo indépendant pour ses multiples petites créations, synonymes de concepts étranges aux graphismes délirants, parfois dérangeants, très souvent psychédéliques, et toujours accompagnés d’une bande-son bien hardos. On lui doit, parmi tant d’autres essais éphémères, des titres originaux comme Clean Asia!, Ad Nauseam, ou encore Keyboard Drumset Fucking Werewolf (si si si), réalisé en bonne compagnie avec le graphiste et musicien Dennis Wedin. Si je ne peux que vous inviter à essayer leurs œuvres afin de peut être découvrir ce qui se cache dans la tête de ces charmants messieurs, je vous saurais gré de rester encore un peu, puisque vous avez sans doute cliqué sur un quelconque lien pour parcourir – quelque peu intrigué(e) j’imagine – cette modeste critique du nouveau titre des deux compères avec leur « studuo » Dennaton Games. Une nouvelle entreprise plus imposante qu’à l’accoutumée, puisqu’elle est éditée et diffusée sur de nombreux plateformes de téléchargement. Mais une entreprise toujours aussi barrée, croyez moi.

Départ pour Miami, à la fin des années 80. Nous incarnons ce qui semble être un gars complètement paumé, dont la destinée l’a conduit à devenir un tueur psychopathe qui affectionne le port de masques d’animaux. Son job est donc de nettoyer divers battisses de leurs occupants qui ont visiblement une tonne de choses intéressantes à se reprocher pour être armés comme une armée de T-800. Ses clients le contactent toujours par le biais de son répondeur, en laissant un message comme « J’ai besoin de toi! Mon DJ est tombé malade, et j’ai besoin d’un remplaçant pour mettre le feu à la soirée. On te laisse le choix de la musique, mais ramènes toi avec une tenue correcte ». Si vous voyez le genre. Celui qui croit que l’histoire du jeu n’est juste qu’un prétexte à faire parler la poudre et le sang sera très rapidement surpris. En effet, Hotline Miami propose un scénario remarquablement bien écrit, justement dilapidé à travers les quelques boites de dialogues et les scénettes où notre héros discute avec des personnes masquées, ainsi que quelques passages aussi imprévisibles que déroutants qui expliquent les agissements froids et cruels de notre avatar. A l’instar de l’excellent Drive avec qui il partage une ambiance et des sonorités similaires, un certain sens de l’esthétique et du léché réagit ce Hotline Miami, même si la violence est ici omniprésente.

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Car oui, Hotline Miami est un jeu extrêmement violent. Aussi bien visuellement que clavier en main. Pour le premier point, il faut être évidement aveugle pour ne pas se prendre une bonne baffe graphique dans les yeux. Même si cette fois-ci c’est Dennis Wedin qui est aux pinceaux, les habitués des créations de Monsieur Cactus retrouveront un tant soit peu son style si particulier tandis que les autres découvriront un visuel pixelisé sous acides, bourré de couleurs criardes avec un joli filtre « télévision cathodique prête à claquer » bien crados. Nous sommes continuellement en vue de dessus, ce qui ne manquera pas de rappeler aux plus vieux d’entre nous le tout premier Grand Theft Auto, ou, dans un registre tout aussi violent, l’oublié Loaded. Cette vue s’avère très pratique pour avoir un aperçu global du terrain de jeu, tandis que la caméra s’amusera à s’incliner vers les côtés selon nos mouvements. Elle permettra également d’admirer, entre deux giclées de sang, les décors qui fourmillent de détails et de références geeks et aux autres jeux indépendants du moment, à condition d’avoir les yeux bien ouverts. En parlant d’hémoglobine, le titre de Dennaton Games s’avère excessivement sanglant, ne manquant pas d’arroser les environnements de tripailles, de corps découpés et de mares chargées en globules rouges à chaque action réussie du joueur… Ou d’un ennemi. Tout cela additionné donne au final une ambiance très années 90 à l’américaine, bien barrée, gore et malsaine à souhait, saupoudrés de ces petits vermicelles sucrés disposés un gâteau que sont les polices multicolores qui bougent et s’animent joyeusement durant les missions et à leur complétion.

Parlons de ce qui va nous occuper les mains pendant une vingtaine de chapitres. Chacun de ceux-ci débute donc par un message sur votre répondeur où votre client vous demande de vous occuper de nettoyer un building, une habitation ou une boîte de nuit. Arrivé sur place, le but est rapide à assimiler: massacrer toute personne ou animal vivant sans se faire buter. Les commandes sont relativement simples: les classiques touches Z, Q, S et D pour se déplacer, et la sourie pour la visée. Les boutons de cette dernière serviront au tir, au lock et à la saisie/lâché d’armes. L’indispensable barre Espace permet d’achever ses ennemis d’une façon différemment violente et rapide si vous avez ou non un outil dans les mains, tel une batte de baseball, une machette ou un long tuyau. Sinon vos poings feront amplement l’affaire. Une touche pour augmenter la portée de la caméra et du viseur, et puis voilà. C’est après au joueur de décider comment s’y prendre, et grâce au level-design audacieux offert par le jeu, il doit y avoir autant de possibilités et d’optimisations à parfaire qu’il y a d’étoiles dans l’univers (c’est entièrement faux mais c’est le genre d’expression qu’on aime bien incruster, là comme ça, pour le plaisir). Il est en effet possible d’attaquer ses victimes sous différents angles, de la méthode la plus calme et vicieuse au berserk un tantinet bourrin et maladroit. Si la première finalité est de boucler le stage (i.e. un étage) sans mourir de quelque manière sordide que se soit, il y aura beaucoup à creuser pour les amateurs de scoring. Les enchainements, les exécutions brutales et les variations dans les armes utilisées seront par exemple mieux récompensées qu’une certaine paresse dans le travail de tripier. Il faut savoir toutefois que les armes ne possèdent pas de de munitions infinies, et que si vous êtes touché par n’importe quel projectile, objet contondant ou ustensile coupant, c’est la mort directe. Une pression sur R et vous revoilà au début du stage, frais comme un gardon et à nouveau disponible pour dépecer du méchant. On meurt, on retente, on meurt, on retente, on meurt, on retente…

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D’apparence très simple, le gameplay de Hotline Miami contient de nombreuses subtilités que le joueur devra exploiter pour être le plus efficace possible et mettre au point son propre style de jeu, si on peut parler ainsi. Il est possible par exemple de frapper dans une porte pour assommer l’adversaire qui se trouvait derrière, nous laissant le temps d’aller faire connaissance avec un autre type pour finalement achever le premier malheureux avec l’instrument de notre cuvée. Cette technique marche également avec le jet d’objets, très efficace à moyenne distance mais qui peut aussi générer des situations inattendues résultant souvent sur un cuisant échec. Les masques, abordés bien plus haut, et déblocables au fur et à mesure, apportent un atout supplémentaire pour la réussite des niveaux. Pour donner quelques idées, celui du lapin, tendrement nommé « Graham », permet de courir plus vite. « Dennis », à l’apparence de loup, permet de démarrer avec un couteau dans les mains. Et ainsi de suite pour la plupart des animaux que tout zoo qui se respecte possède. Notons enfin que certains ennemis font la ronde en suivant la majorité du temps le même chemin, qu’ils ne réagissent au quart de tour en vous voyant, mais qui s’autorisent quelques fois à dévier de leurs habitudes, rendant les choses parfois imprévisibles, ce qui en surprendra plus d’un. En résulte un gameplay particulièrement varié, qui offre la possibilité d’être aussi méthodique que bourrin et, par la présence d’un fameux die and retry, s’avère incroyablement addictif, tout en étant aussi frustrant que grisant.

J’ai parlé de gâteau tout à l’heure, mais je n’ai pas abordé la fameuse cerise. Cette dernière c’est unanimement, indiscutablement, indubitablement, sans équivoques, détours, retours et calembours… Sa magistrale bande-son. Les développeurs, de fins mélomanes, ont su trouver des pistes musicales d’artistes indépendants (eux aussi) qui collent parfaitement à l’ambiance du jeu, que dis-je, qui l’extrapole, avec un logarithme tellement près de l’ordonnée qu’un mathématicien en frissonnerait d’un plaisir coupable, évidement pervers et répréhensible. Que dire des basses sombres et électroniques de M|O|O|N, ou des sonorités délirantes tout droit venues des 80/90 de Scattle ou encore Jasper Byrne? Rien d’autre que c’est de l’or en barre, que je n’ai cité qu’un tiers des musiciens, que ce qui passe dans nos oreilles est un vibrant hommage à l’époque des K7 piratées, de la Game Boy et de Robocop, et surtout une des manières les plus classes pour accompagner le joueur dans ce massacre à grande échelle.

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On quitte Hotline Miami avec le sentiment d’avoir probablement joué à un des titres les plus barrés qui n’est jamais été devant nos yeux. Avec ses visuels psychédéliques très chiadés, son scénario étonnement bien travaillé, sa violence outrancière et son gameplay résolument porté sur de l’arcade fin et délicat, avec un challenge suffisamment présent, l’œuvre du duo suédois de Dannaton Games est un des meilleurs jeux indépendants de cette année 2012, et surtout celle qui se fout de tout et qui le fait bien savoir. Addictif au possible, le jeu se boucle en un bon après-midi, mais offre une importante rejouabilité au travers des multiples objets à débloquer, dans son mystérieux mode puzzle ou simplement dans l’optimisation maximale du score avec toutes les possibilités offertes par un level-design d’une grande qualité. Bref, quel trip sanglant les enfants! Mais quel trip!

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