Principalement constitué d’anciens de Relic Entertainment et EA Canada, le studio canadien Blackbird Interactive a parfaitement validé son incursion dans l’industrie vidéoludique avec la franche réussite que constitue Homeworld : Deserts of Kharak, spin-off sur terre ferme de la célèbre série de stratégie temps réel spatial, dont la licence avait été tout juste récupérée par Gearbox Software. C’est durant les quelques mois qui ont suivi la sortie du jeu que naquit, au cours d’une game-jam interne, le concept derrière leur nouvelle création en date, à savoir Hardspace : Shipbreaker, dont nous allons causer aujourd’hui sur une poignée de paragraphes. Un concept ô combien intriguant et plutôt vendeur (?) dès lors que nous en prenons connaissance, puisqu’il est nous est proposé ici, et ce pour quelques heures, de mettre dans la peau d’un ferrailleur de l’espace.
Nous voilà donc embauché par le conglomérat LYNX, spécialisé, parmi tout un tas d’autres activités lucratives, dans le démantèlement de vaisseaux spatiaux. Il faut dire que depuis la généralisation du voyage interstellaire, l’espace accumule bien des épaves et autres bâtiments jugés obsolètes, et quelqu’un va bien devoir s’en occuper ! Il s’agit là d’un boulot dangereux, rien que pour le simple fait que notre bureau est au quotidien le vide absolu, mais mine de rien, cela recrute beaucoup, la paie a l’air conséquente, les avantages sociaux à priori avantageux, et les perspectives de carrière quasi infinies. Puis la compagnie, dans sa grande générosité, nous offre gracieusement tout l’équipement nécessaire pour travailler, un lit pour dormir, un distributeur de bouffe, ainsi qu’un système très poussé d’assurance vie, moyennant un tout petit prêt de rien du tout, remboursable sans aucune pression, d’un milliard de crédits. Quelle offre franchement alléchante !
En sus, il s’agit d’un boulot aux attentes assez simples : la compagnie nous fournit un vaisseau, et notre tâche sera de le démanteler, pièce par pièce, pour retraitement ou destruction. Il nous est mis à disposition trois baies de collectes : un collecteur à proprement parler, notamment destiné aux matériaux à recycler comme les solides coques en nanocarborne, une fournaise pour tout ce qui ne pourra être que jeté, et enfin une barge dédiée aux équipements réhabilitables sur d’autres engins. Voyez, une déchèterie doublée d’un centre de recyclage, mais dans l’espace ! Il nous sera gentiment confié plusieurs outils pour bosser, à savoir un grappin gravitationnel, de très pratiques sangles pour attacher et transbahuter des objets , un puissant découpeur laser et, un peu plus tard, quelques charges explosives garanties « sans étincelles » mais avec déflagrations. En face, des bâtiments spatiaux et souvent spacieux à la conception complexe qu’il faudra régulièrement scanner afin d’en comprendre les entrailles et d’en définir la manière la plus optimisée pour le découper et d’en trier les composants… Et surtout éviter tout accident, ces derniers pouvant rapidement arriver compte tenu du vide ambiant et de la technologie de pointe constituant chaque navire spatial. Ainsi, il faudra notamment faire attention aux équipements électriques, réserves de carburants pas vidés, réacteurs nucléaires instables, et sans doute surtout aux dépressurisations, aussi inopinées que funestes dès lors que l’on découpera malencontreusement une parois. La santé et la sécurité au travail ? Connait pas. Il ne sera donc pas conseillé de travailler dans la précipitation : envoyer tel ou tel objet dans le mauvais résultera sur une retenue sur salaire et une baisse de l’évaluation globale du chantier, et l’on pourra être victime d’un accident de travail souvent mortel, qu’il s’agisse d’un casque fissuré par une porte ou tout autre objet balancé avec une grande vélocité contre notre personne, d’être désintégré(e) par l’explosion d’un réacteur, ou simplement de finir électrocuté(e) ou carbonisé(e) dans la fournaise. Fort heureusement, LYNX a prévu des copies de nous même, et moyennant quelques crédits, pourra nous faire revivre par une simple « restauration de sauvegarde », dont le fonctionnement ne pourra qu’entrainer que questionnements philosophiques, métaphysiques, voire éthiques.
Force motrice de ce Hardspace : Shipbreaker, le gameplay proposé ici s’avère une franche réussite, avec un savant mélange entre un FPS à priori tranquille pour la base, de la réflexion, pas mal de micromanagement et quelques séquences un peu plus stressantes pour pimenter l’action. La satisfaction de démanteler complètement un vaisseau, d’apprendre l’architecture et les particularités de ces tas de ferraille, de pouvoir optimiser son travail au gré de l’apprentissage du maniement des outils, des bonnes pratiques ou simplement des bons réflexes, est vraiment grisant. Comme il est de souvent de coutume dans un jeu-vidéo, le titre inclut un système d’expérience et de grades permettant d’accéder à des améliorations pour notre équipement ainsi qu’à de nouveaux modèles d’engins à désosser. L’aspect « simulation » est ici plutôt poussé, avec des interactions et autres dangers qui tiendront compte de la physique si particulière de l’espace, avec mine de rien tout un tas de variables qui pourront mettre à mal notre travail, en particulier l’erreur humaine et la gravité, l’ennemie jurée de toute œuvre vidéoludique moderne. Pour accentuer l’immersion, on notera par ailleurs le travail très réussi en ce qui concerne la partie sonore, avec un traitement de l’ambiance environnement assez percutant – et peut être réaliste – et ce même si l’action se passe principalement dans le vide, tout comme l’inclusion d’une bande-son fort originale, bien qu’un peu courte en durée, avec du Bluegrass assez discret qui fonctionne terriblement bien pour accompagner du découpage d’épaves spatiales en orbite.
L’image matraquée par LYNX ne sont bien évidemment qu’une bien belle façade idyllique face à la réalité des choses. On s’apercevra rapidement que les conditions de travail au sein de l’entreprise « familiale » sont loin d’être idéales, avec des frais qui viennent quotidiennement augmenter un prêt qui ne semble jamais remboursable, et le fait que la compagnie détient toutes les sauvegardes de votre être, sans aucune manière que ce soit de les récupérer ou de les gérer, ainsi qu’un lobbying particulièrement virulent quant aux syndicats, pas foncièrement interdits mais dont l’adhésion voire la simple sympathie est fortement déconseillée. Pourtant, comme l’atteste une collègue, ceux-ci ne souhaitent que des droits plus justes pour les salariés de l’entreprise, sans violence aucune. L’histoire du jeu va par conséquent graviter autour de ce sujet dont la résonance avec ce qui se passe actuellement dans le monde réel est on ne peut plus équivoque, puisqu’il sera notamment question d’esclave moderne, de management toxique ainsi que de pratiques patronales plus que discutables. La critique et le cynisme sont évidents et globalement bien amenés, mais il est fort dommage qu’elle n’influence en rien le déroulé de nos missions de démantèlement. Effectivement, si les collègues avec qui nous communiquons sont victimes de pressions, d’objectifs irréalisables et de sanctions disciplinaires, nous ne serons en rien inquiétés de notre côté, vaquant à nos occupations de découpage sans taquets aucun de la hiérarchie, si bien que si nous ne pouvons qu’être outrés du traitement infligé aux autres personnages du jeu, l’absence de véritables remontrances nous concernant nous ne implique pas de façon si évidente dans la rébellion qui se prépare dans l’esprit des ferrailleurs.
C’est d’autant plus regrettable que de mettre des dites réprimandes et autres bâtons dans les roues sur l’exécution de notre job aurait pu pimenter davantage un gameplay qui, malgré un socle indéniablement excellent, tourne quelque peu en rond dès lors que l’histoire approche de sa conclusion. C’est en effet à peu près à ce moment là que Hardspace : Shipbreaker ne propose plus de nouveaux modèles de vaisseaux à traiter, piochant dans le parc existant avec quelques variantes dans le design mais qui foncièrement comportent toujours les mêmes éléments importants à récupérer et mêmes pièges à éviter. Et encore, si les dangers étaient véritablement dangereux ! Et comme les mécaniques et réflexes finissent par être acquis et que l’on fait preuve aussi bien de rapidité que de prudence, les missions se déroulent sans le moindre accroc, sauf si un malencontreux bug vient se glisser dans la balance, explosant par fusion nucléaire tout l’arrière du vaisseau, et nous avec. Et là encore, ce n’est finalement pas si grave, le jeu étant ironiquement que trop peu pénalisant face à un chantier bâclé ou ruiné par une explosion : seule notre satisfaction du travail bien fait sera mise à mal, et il suffira d’accepter que notre dette soit majorée, puis de demander un tout nouveau engin à démonter. Mourir n’importe peu aussi dans le mode de difficulté standard. Faute de temps restreint ou de tâches idiotes et/ou impossibles à satisfaire, nous ne sommes jamais poussés à l’erreur comme l’on pourrait l’être dans un Papers, Please par exemple. Enfin, à l’heure de l’écriture de ces lignes, les dernières montées en grade n’offrent rien de particulier, si bien que l’on ne pourra que s’occuper en « Game + » qu’avec la récupération de quelques (rares) journaux de bord électroniques ou parfois de travailler sur des bâtiments proposant quelques actions supplémentaires qui ne se résument qu’à griller (avec précaution) certains éléments bien planqués, ou encore de s’attaquer aux chronomètres proposés quotidiennement en ligne. Bref, avec l’absence de véritable multijoueur, on ne sera pas vraiment poussé à poursuivre ce job qui devient, après effets de surprises estompés, assez monotone et répétitif, ce qui est ironiquement le but recherché, mais qui passe un peu moins dans un jeu-vidéo. On aurait apprécié plus de variété voire de difficulté conséquente, les autres modes ne proposant grosso modo que de réaliser une carrière entière avec trente résurrections ou juste une seule. Avec des objectifs et davantage de situations tendues voire inattendues, il y avait franchement de quoi proposer bien plus.