Ces pnjs qui nous prennent par la main

La conscience morale

A chacun son Jimini Cricket

L’autre grande famille de guides « in game » trouve une raison d’être dans un sens plus « premier » du terme de conscience. Cette signification perdure depuis sa racine latine, dès l’Empire Romain) : « la conscience morale». Beaucoup d’entre nous matérialisent mentalement le terme de « conscience » par l’image de Jimini Cricket, et pour cause. La conscience morale est habituellement évoquée comme une voix (par complémentarité à la « lumière » de la conscience psychologique évoquée plus haut) qui nous guide suivant une norme personnelle du bien et du mal : il s’agit de l’expression intérieure d’un sentiment qui nous dit et nous aide à apprécier la valeur des comportements humains.
Certains, comme Rousseau, disent qu’il s’agit d’une voix universelle, c’est-à-dire qu’elle serait la même pour tous, quels que soient l’éducation, la culture ou les origines sociales. Il parle de la « voix de la nature », ancrée en tout homme. Mais tous ne sont pas d’accord à ce sujet (Bergson, Freud, Kant). On peut cependant conclure grossièrement : la conscience morale désignerait un jugement moral de nos actions.

En outre, ce phénomène, propose lui aussi des potentialités dramaturgiques certaines et éculées. Lorsque l’on est dans l’impossibilité d’exprimer en permanence les pensées d’un personnage (la voix off avec effet de reverb étant très peu acceptable de nos jours, vous en conviendrez), il est très intéressant de personnifier l’oeil et la voix du jugement – la morale donc – par un personnage accompagnant le protagoniste principal. On fait alors d’une pierre deux coups : on crée un personnage omniscient, presque divin, avec une présence rassurante.  Dans le même temps, on flatte la morale du spectateur/joueur car ses pensées et son jugement sur les actes du héros trouvent un écho à l’intérieur même de l’histoire. Et quand ledit héros ne suit jamais les conseils avisés de son Jimini, c’est à ce dernier que l’on s’attache en même temps que l’on est témoin de la déchéance ou de l’ascension du personnage principal.

L’oeil du jugement

Comment ne pas citer alors Kratos et Athena? Dans cette fresque épique qu’est God of War où morale, violence et vengeance se télescopent sans arrêt en un chaos monumental, cette déesse n’hésite pas à expliquer des mécaniques de gameplay au Dieu de la Guerre, tout en participant à l’histoire de façon plus qu’intéressée! De même ce cher Raziel (Soul Reaver), après avoir souffert l’ « indicible » des années durant, n’a d’autre alternative que de suivre les conseils d’une voix qui lui réapprend jusqu’à même le simple fait de se déplacer ou sauter. Il jouera les « ange de la mort » pour cette entité dont il serait la « chose ».
Guerre (ou War c’est selon), héros de Darksiders, est affublé d’un garde-du-corps sarcastique, arrogant et autoritaire : le Guetteur. Cette « plaie » pour notre Cavalier de l’Apocalypse ne peut s’empêcher toutefois de donner des clés de la maniabilité du jeu en début de partie, ainsi que de certaines nouveautés dans la panoplie de Guerre au fil de l’aventure. Il va même jusqu’à donner son avis de temps à autre sur la situation plus que précaire du héros vis-à-vis du Conseil, et émet ça-et-là des jugements sur les moindres hésitations et autres manquements du joueur à la progression logique de l’aventure ( « Ce n’est pas par ici ! Guerre ! Ne me provoque pas ! Par-ici, esclave ! ».)

Athéna ! C’est ta vengeance ou c’est la mienne?!
Des duos de ce genre pullulent, créant une dynamique basées sur les ambivalences caractérielles à l’intérieur du couple principal. Le Prince de Perse version 2008 ne souffre-t-il pas tout au long de son aventure les jugements de la princesse quant à son éthique et son approche rapine et peu vertueuse de la vie ? En échange de cet apport mélioratif sur le caractère du voleur, ce dernier apprendra la modestie et la confiance en soi à Elika. Ainsi la conscience morale des deux personnages comble le vide qui participe à leur caractère archétypal respectif en début d’aventure, et aboutit au dénouement de ce voyage initiatique. Enslaved et d’autres titres postérieurs à Prince of Persia 2008 utilisent cette structure en binôme composée de deux visions opposées du monde et de la morale qui clashent en début de jeu, et se rapprochent inexorablement au fil de l’aventure. Classique.

Voilà d’ailleurs un mot qui caractérise plutôt bien la série des Uncharted. Même si le binôme ne se place pas au coeur du gameplay (sauf à de rares moments), Drake essuie pendant toute la durée des trois aventures principales, les commentaires bienveillants, malveillants, nostalgiques ou encore moqueurs de ses alliés. Sa morale est sans cesse discutée, ses actions jugées et les énigmes qu’il aura à résoudre…bien indiquées… Naughty Dog souhaite tellement faire exister son personnage, que même lorsque celui-ci est seul, il papote tout seul de manière quasiment permanente pour un jeu qui fait partie des plus bavards de l’Histoire.

Bavard ? En tout cas ICO ne l’est pas. Mais la plus grande prouesse de la team Ueda ne fut-elle pas de jouer la carte du duo complémentaire et ambivalent sans que les personnages ne prononcent la moindre parole ? Il s’agit d’une déclinaison du thème assez virtuose et lumineuse de simplicité. Les deux enfants vont prendre conscience de certaines choses au fil de l’aventure, que chaque joueur interprètera à sa façon, tant le jeu est avare en explications. Peu importe. C’est dans le fait d’être accompagné que l’on trouve un écho à sa propre existence et que notre conscience se forge en toute relativité par rapport à celle d’autrui.

Le Guetteur. Ce charisme !