Darksiders

Genre
Action-Aventure
Développeur
Vigil Games
Editeur
THQ
Année
2010

D’un commun accord, les éditeurs et développeurs de jeux ont publié leurs jeux non pas uniquement sur la période des fêtes de Noël mais sur de nombreux mois. En a résulté une pléthore de titres toutes les deux semaines. Modern Warfare 2, Assassin’s Creed 2, Dragon Age Origins, Bayonetta, Bioshock 2, et j’en passe et des meilleurs. Mais parmi tout ce beau monde, un titre a su attirer les plus curieux, un jeu inédit, d’un développeur qui ne l’est pas moins, Vigil Games. THQ, sponsor du projet, coutumier des surprises comme des déceptions, a su garder son bébé au chaud, révélant toute l’ampleur du projet à quelques jours de sa finalisation. Darksiders est le gros titre THQ de début 2010. Peu l’attendaient. Ils ont eu raison.

Les jeux vidéo sont une grande famille, chacun aimant prendre son voisin pour modèle quand celui-ci fait fi d’une belle idée. Au fil des années, une gigantesque base de trouvailles s’est accumulée, et ce dans chaque genre. Super Mario 64 a révolutionné le monde de la 3D, Ocarina of Time a pour ainsi dire inventer le ciblage, Soul Reaver le chargement progressif du décor, Dragon’s Lair et Shenmue ont su apporter ce que l’on nomme le Quick Time Event, Devil May Cry la mode du héros sûr de lui. Shadow of the Colossus a révolutionné les combats de boss tandis que God of War a su définir la violence et la barbarie dans les jeux vidéo. Jet Set Radio l’utilisation de l’ombre dans la modélisation. Darksiders se propose de rassembler tout ce savoir-faire en un seul jeu. Vigil Games a fait un melting pot de tout ce qui se fait de mieux dans le genre action-aventure, tendance Action-RPG, et a sorti Darksiders. Cela peut paraître culotter, d’autant qu’il y en a qui ont essayé ; et ils ont eu des problèmes. Quelques exceptions à l’image de Dark Sector (à se demander lequel a initié la mode des Dark…) savent nous refaire espérer. Un titre capable d’allier toutes les qualités de ces références, en laissant de côté tous les défauts. Un rêve. Et pourtant, Vigil Games l’a fait. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de placer le décor, et quel décor.

L’Apocalypse est arrivée. Les Cieux et les Enfers se livrent une lutte acharnée sur Terre. Les humains subissent de lourdes pertes, incapables de prendre part au conflit. Il faut savoir que les Cieux et les Enfers s’affrontaient déjà quand le royaume des Hommes n’existait pas encore. A sa création, et devant la faiblesse humaine, le Conseil, représentant du Créateur, a décidé de créer sept sceaux. Ceux-ci garantissent l’intégrité de la Terre et ne seront rompus qu’une fois l’humanité prête à tenir tête aux deux autres partis. La guerre ultime opposant les trois clans pourraient alors avoir lieu. Guerre, premier cavalier de l’Apocalypse, arrive sur Terre. Les sept seaux ont donc été détruits… non ? Il découvre très vite qu’il ne devrait pas se trouver là. Alors que ses forces le quittent, il succombe aux coups de Straga, l’un des Elus du Destructeur, le chef des Enfers. Jugé coupable d’être intervenu dans le conflit, sans que tous les sceaux n’aient été rompus et en prenant parti qui plus est, il est condamné par le Conseil. Cependant, ce dernier, étant face à l’un des quatre cavaliers, décide de lui donner une chance de découvrir le complot dont il est victime en retournant sur Terre, cent ans après sa « mort », et de ramener les preuves qui le disculperaient. Pour le surveiller, un être, le Guetteur, est implanté dans son bras. Ainsi commence la quête d’innocence de Guerre, qui se transforme au fil des heures en une vengeance.

Sous ses allures d’œuvre post-Apocalyptique, Darksiders réussit là où tant échouent : offrir un cadre intéressant. Il suffit de voir les Fallout 3, Prototype, qui ne font qu’offrir un cadre finalement bien banal à une aventure qui requiert tout de même un minimum de dépaysement. Les environnements de Darksiders se veulent non pas inédits, mais variés. Forêts, châteaux glacés, pays des cendres, tour démoniaque, Guerre voit du pays. Le monde étant en partie ravagé, la nature a repris ses droits dans pas mal d’endroits. Grâce à de très subtiles transitions, le joueur ne peste jamais contre un quelconque manque de cohésion : les changements d’ambiance se font petit à petit, presque incognito, à tel point que nous ne nous rendons même pas compte que les teintes évoluent. Les couleurs ont d’ailleurs cela de plaisant qu’elles sont pour la plupart vives. Pas question de nous rappeler que le monde tel que nous le connaissons est décédé ; le soleil resplendit toujours, seuls les décombres nous rappellent la triste vérité. Les cascades, parcs ou déserts nous montrent qu’un univers post-apocalyptique n’a pas pour obligation d’être triste. Loin de là. Vigil Games nous dévoile d’ailleurs un moteur de jeu très bien rôdé, affichant sur une belle distance un décor très comic. S’octroyant les traits de Joe Madureira (X-Men en comics, Tabula Rasa en jeux vidéo), les développeurs ont pu donner vie à leurs histoires et personnages. Célèbre dessinateur de comic, il fournit ici un travail titanesque sur les protagonistes, que ce soit Azrael, Uriel, Samael, Ulhane ou tout simplement Guerre. Ils sont somptueusement dessinés, et tout aussi bien modélisés. La réalisation technique de Darksiders n’a pas à rougir des gros titres d’en face, au contraire, elle se permet de les égaler sans trop de souci. L’animation n’est pas en reste puisque malgré les hordes d’ennemis qui défilent, les ralentissements se font extrêmement rares. Il faut réellement un déluge d’effets spéciaux pour prendre le tout en défaut.

L’œil pointilleux remarquera aisément des bugs de collision, des pixels un peu gros dès qu’une flamme est en gros plan ou de minces chevauchements lors de scènes de dialogues. Un peu de screen tearing (césure au niveau de l’affichage) vient titiller l’œil lors de mouvements de caméra. Rien de bien grave donc à signaler, d’autant que tout est bien vite oublié une fois l’aventure réellement lancée. Darksiders se fend hélas d’un prologue réellement lent et complètement différent du reste du jeu. Servant de tutorial et de démonstration, il fait peur. Techniquement et surtout artistiquement, le jeu paraît bien laid en comparaison de ce qu’il sera par la suite. Même avec le recul, il est difficile de comprendre le fossé qui le sépare du reste, d’autant que ce genre de décors revient dans une robe bien plus appréciable en milieu de partie. Mais une fois cette mise en bouche terminée, une fois Samael rencontré, la quête de Guerre commence réellement pour ne s’arrêter qu’une douzaine d’heures plus tard. Difficile de poser la manette une fois la recherche des Elus entamée, car Vigil Games a compris ce qui faisait l’attrait des jeux du genre. Les mécaniques de progression sont donc rigoureusement identiques à celles que nous connaissons dans… Legacy of Kain : Soul Reaver. Le parallèle entre les deux titres est une évidence. Un héros trahi, un guide peu franc, des gardiens à terrasser pour récolter leurs pouvoirs et des donjons amplis de puzzles. Si nous espérions un nouvel épisode des aventures de Raziel depuis des années, nous voilà presque comblés. L’hommage va même jusqu’à reprendre à l’identique les ailes du héros. Incroyable.

Toutefois, dès l’entrée d’un donjon franchie – ce qui se fait de manière tellement naturelle qu’il est impossible de la placer précisément – les mécaniques de jeu de Zelda prennent le relais. Les niveaux ont souvent plusieurs niveaux, tous illustrés sur une carte. Le terrain de jeu contient de nombreux coffres, vie, clés, artefact indiquant les trésors de la carte. Cette dernière précise même l’emplacement du boss via un gros icône rouge. Comment ne pas penser à la série culte de Miyamoto ? Mais l’analogie ne s’arrête pas là puisque les armes et outils mis à disposition de Guerre sauront évoquer de tendres souvenirs à certains : grappin, boomerang et bombes sont de la partie. Comment ne pas rougir de honte devant tant de plagiat ? Eh bien grâce au bon sens de Vigil Games qui ne s’est pas contenté de reprendre les recettes qui fonctionnent autre part : le studio s’est appliqué pour les lier de la manière la plus cohérente possible. Aucun ustensile ne fait tâche dans l’univers de Darksiders. Ils s’inscrivent dans une étonnante logique, servie par un level design à laisser pantois. Nintendo peut prendre exemple sur les donjons parcourus par Guerre : ni trop longs, ni trop difficiles, ni trop simples, ni trop courts, ils sont proches de la perfection. Il n’y a pas le temps de s’ennuyer devant les jeux de réflexion offerts par chacune des pièces, entrecoupés de quelques charcutages bien en règles. Tous radicalement différents, tant dans leur apparence que dans leurs mécaniques et péripéties, ils n’inspirent jamais la lassitude. Nous en parcourons une demi-douzaine avant de voir le générique de fin, ce qui au final peut laisser un goût de trop peu, mais la fluidité de la progression ne peut qu’être remarquée. Vigil Games a semble-t-il voulu mettre son titre à mi-chemin entre le beat’em all et l’action-RPG.

D’action-RPG, il a l’avancée par donjons et la montée en puissance de Guerre. Totalement démuni au début de l’aventure, il recouvre peu à peu ses forces pour finalement devenir encore plus puissant qu’il ne l’était avant sa chute. Faux, gantelet, pistolet, sorts, et autres pouvoirs, le « frêle » Guerre devient au fur et à mesure un effroyable… guerrier. L’intégralité des touches de la manette est réquisitionnée, les combinaisons aidant à passer d’une arme à une autre. Les jauges de santé et magie, appelée ici courroux, sont elles aussi sujettes à amélioration grâce à des artefacts à trouver dans les niveaux, une fois quatre d’entre eux réunis (quarts de cœur…), une crâne (un cœur…) supplémentaire, synonyme d’une barre de vie allongée. Il est possible de faire des affaires avec Vulgrim, un démon marchant présent un peu partout dans le monde que nous traversons. Sa boutique, servant aussi de téléporteur, vend toute sorte de techniques et sorts, moyennant des âmes, la monnaie du jeu. Celle-ci s’octroyant en achevant un maximum de victimes ou en dévalisant certains coffres. Les nouveautés se font en même temps que la découverte des niveaux. Les prix étant tout à fait raisonnables, croyez-bien que les dépenses vont bon train. Des objets, permettant de regagner la vie, le courroux ou la jauge de colère – autorisant temporairement la transformation en monstre – sont présents sur les étalages. L’ensemble des achats contribuant à la sauvagerie des batailles.

Le Beat’em all qui sommeille en Darksiders se fait pressent à l’approche du moindre ennemi. Guerre enchaîne alors les coups avec une fluidité et une facilité déconcertante. Leur puissance n’a d’égale que la classe avec laquelle le héros les exécute. L’épée reste l’arme principale, le gantelet et la faux étant les deux secondaires qu’il est nécessaire d’alterner. Combos aériens ou au sol, attaques aquatiques, à distance voire même à cheval. Darksiders se veut complet. Guerre est un Cavalier de l’Apocalypse, son arsenal tout comme ses techniques se devaient d’être nombreuses. Vigil Games paraît s’y être réellement investi ; à tel point qu’il est difficile de s’employer à tout utiliser. Mais ceci a le mérite de pouvoir plaire à tout type de joueurs. Même les confrontations face aux boss ont fait figure d’un soin tout particulier. Les Elus, principaux adversaires de ce volet, sont réellement singuliers, au point que le jeu nous fait réagir à l’ancienne pour les battre : analyse, tests puis mise en pratique de la solution. Il ne faut pas s’étonner de perdre la première partie, le temps de découvrir le point faible et son schéma d’attaque. La difficulté de Darksiders se veut motivante, grâce notamment à des checkpoints peu contraignants et des situations rarement désespérées. Un système généreux et coriace à la fois.

Darksiders manquerait-il donc de personnalité ? Nous aurions pu le croire, même au départ lors du premier donjon, les comparaisons avec Soul Reaver et Zelda sont évidentes. Vigil Games s’est employé à reprendre les meilleures ficelles du marché pour accoucher de Darksiders et ne s’en cache pas. Plagiat ou hommage ? Les détails sont trop gros : la petite musique de résolution d’énigme de Zelda est présente, à la Darksiders, certes, mais le parallèle saute aux yeux et aux oreilles. Les ailes noires de Raziel ne trompent pas non plus. La référence à Shadow of the Colossus est criante à dos de Ruine, le cheval de Guerre. La fin se permet même de reprendre des idées présentes dans Prey (et Portal) pour parachever un paquet déjà bien métissé. Le génie de Vigil Games tient dans la cohésion de l’ensemble, épaulée par un univers tout à fait inédit. Peu à peu, le jeu se forge une identité propre. Aucun apport extérieur ne vient faire tâche, au contraire. Les pouvoirs paraissent logiques, à tel point qu’un cavalier capable de faire des bonds spatiaux ne choque pas. Les ponctuelles allusions à des références comme Panzer Dragoon se glissent dans un tout bien rôdé. Rien n’est inventé mais les connecteurs ont été magistralement réalisés. Au final, jouer à Darksiders ne donne pas l’impression d’avoir parcouru l’univers vidéoludique, mais d’avoir vécu une histoire pas niaise pour un sou enveloppée dans une excellente réalisation avec un gameplay en béton.

Darksiders
Appréciation
Vigil Games, pour son premier titre, a sorti, en quelque sorte, un cas d’école. Mis à part l’univers, original et réservant bien des surprises, tout est élément existant. Par contre, le génie se situe dans la cohésion de l’ensemble. Encore personne n’avait réussi à reprendre tant d’éléments de blockbusters et d’en faire un ensemble réussi. Nous pourrions lui reprocher sa faible durée de vie – quinze heures pour le terminer à fond – mais le plaisir étant tellement présent, de la fin du prologue au générique, qu’il est difficile de le bouder. Il faut faire face à la première demi-heure peu engageante, mais le reste se dévore tels les meilleurs titres du genre. Et au vu de la fin du titre, que ceux n’ayant pas encore tenté l’aventure se précipitent sur cette petite pépite, la suite arrive…
Points forts
Un univers avec une vraie identité
Un patchwork réussi de beaucoup d'influences
Un petit côté Soul Reaver pas désagréable
Points faibles
Un prologue techniquement décevant
Quelques bugs de collision