C’est suite à une requête de l’ami Vidok, mon rédacteur en chef, que je me lance dans une critique de The Last of Us. Moins qu’une vraie critique, il s’agit d’un pur « second avis » comme on aime les faire sur Archaic. C’est pour cela que je ne vais pas faire un énième état des lieux concernant le dernier jeu de Naughty Dog sur la 7ème génération de consoles. Opus qui fait référence depuis deux ans : cocktail à priori réussi de jeu d’action mâtiné de survie, basé sur une narration très travaillée et une technique maintes fois louée pour son niveau de qualité. Or, même si cette somme de qualités est manifeste, j’en ai fait une expérience en demi-teinte. Il me semblait pertinent de l’exprimer ici, car la qualité d’un jeu vidéo réside autant en l’objet lui-même qu’en l’expérience que l’on en fait. Des notions aussi subjectives que l’immersion peuvent atteindre des sommets pour certains utilisateurs et ne pas décoller pour d’autres. Et ceci à propos du même jeu. En ce qui me concerne, The Last of Us finit au bout de ses dernières heures par me porter là où ses concepteurs le souhaitent, moyennant une première portion laborieuse à laquelle il m’a été difficile de croire. La faute à deux mots : la survie et le réalisme.
[dropcaps style=’2′]J’ai toujours considéré que la « survie » en général était une notion délicate à traiter, que l’on soit au cinéma ou dans le jeu vidéo. Bien sûr, plusieurs angles d’attaque sont possibles. La plupart du temps, l’enjeu majeur pour les personnages principaux est bel et bien le fait de rester en vie face à un danger latent. L’attachement du joueur/spectateur aux protagonistes plongés dans un univers hostile est ainsi éprouvé de manière permanente. On « craint » pour eux. Ce qui est pour Ellie et Joel, dans le cas présent, une succession de situations périlleuses est en même temps pour nous joueurs une suite de pics émotionnels proportionnels à l’empathie développée pour le couple de héros.Or, et c’est là que je voulais en venir, on sait tous que c’est le scénario qui va décider si l’un des deux va mourir, s’ils vont rester en vie tous les deux,etc… Ce ne sont ni nos échecs ni nos succès « dans le jeu ». Les chances de survie d’Ellie et de Joel ne dépendent pas de l’efficacité de celui qui tient la manette. Rien de nouveau me direz-vous. Depuis que les jeux vidéos savent développer une histoire, des personnages meurent au bon vouloir de la narration. Le gameplay sert à avancer entre les évènements. Rien d’étonnant, à priori. [/dropcaps]
Cependant,The Last of Us capitalise à mort sur la survie de Joel et Ellie, le rapport de protection qui s’installe, la trouille de perdre l’autre,etc… Sauf que cet aspect, m’a paru comme traité de manière finalement assez étrange par Naughty Dog. Contrairement à d’autres jeux qui nous mettent aux commandes d’un gardien responsable de la vie d’un PNJ, l’échec ici n’a qu’une seule signification: ne pas avancer dans l’histoire. Le devoir de maintenir Ellie en vie est complètement déconnecté du « jeu » pour ne développer ses enjeux que lors des phases narratives. Cette contradiction m’a paru vraiment étrange.Je pense que cela est dû à un choix de genre de jeu. Le paradoxe ici est le suivant. The Last of Us, semble-t-il, fait date en terme de réalisme dans la représentation : la modélisation des personnages, le réalisme des décors, le développement psychologique des deux compagnons. Mais ceci crée un déséquilibre qui m’a crevé les yeux à cause d’une somme de mécaniques qui brisent très régulièrement cette immersion. Celle-ci tombe, de fait, d’autant plus violemment depuis ses hauteurs : plus on fait dans le réalisme, plus les incohérences sautent à la tronche.
C’est ainsi qu’Ellie se promène tranquillement au milieu des ennemis qui ne peuvent pas la voir. Elle, par contre, peut intervenir pour nous donner un coup de main au combat. Sur un autre terrain, n’importe quelle bombe artisanale, comme la grenade à clous,attire magiquement les ennemis : on pose la mine et ce sont les mobs qui viendront à elle. Naughty Dog a inventé la bombe qui « taunt ».
Sur un thème plus mécanique, dans certaines arènes étendues, les ennemis sont visibles de loin. Malheureusement, leur comportement ne se déclenche en notre présence que lorsqu’on se trouve assez près d’eux. Un type de zombie, assez réussi dans l’esprit, est le Clicker : la version aveugle du mort-vivant qui réagit au moindre son. L’une des stratégies à privilégier contre cette peste est le bon vieux headshot discret avec l’arc. Dans une optique de survie plutôt réaliste, Naughty Dog nous propose une maniabilité cohérente : Joel tremble, les flèches ont une trajectoire en cloche et, surtout, les Clickers gesticulent sans arrêt, ce qui rend leur tête difficile à atteindre. Seulement voilà, leur IA ne se déclenche qu’à partir d’une certaine proximité. Lorsqu’on est loin, ils restent plantés sans bouger alors qu’on peut les voir. C’est tout naturellement que j’ai utilisé la stratégie suivante : me mettre à 30 mètres pour désactiver le pathfinding du clicker car le headshot y était plus facile qu’à 5 mètres. Logique…
Et pour terminer ma petite liste désobligeante, je mettrais bien entendu la manie qu’a Ellie, notre sidekick complètement invisible aux ennemis, de détecter magiquement le fait que Joel vient de tuer le dernier zombie du pack. Celle-ci a beau être bloquée dans un endroit improbable ne lui offrant aucune vue sur le gunfight, elle saura toujours que l’ultime ennemi vient de mourir. Evidemment, je sais qu’il s’agit là d’une mécanique récurrente depuis des lustres dans le jeu vidéo : un effet qui nous indique que le combat est terminé. Mais, comme je l’ai déjà dit plus haut, The Last of Us fait spécialement le pari du réalisme. Ceci entraînant un contraste encore plus violent qu’ailleurs quand des mécaniques de ce type apparaissent comme trop évidentes.
Impossible de ne pas repenser à l’un de mes plus gros sursauts de trouille devant un jeu vidéo. Il s’agissait de F.E.A.R sur PC. Cela n’est arrivé ni lors d’une apparition d’Alma, ni à cause d’une de ces fameuses hallucinations du héros. Tout simplement car je pensais avoir nettoyé une zone. Je loote, peinard, les « restes » de mes adversaires. Au détour d’un container, un soldat resté dans l’ombre me tire dessus avant que je n’aie le temps de le voir. La frousse ultime. Tu crois avoir nettoyé la zone, tu relâches l’attention. Aucune règle ne te confirme que le combat est terminé, ce qui t’oblige à être attentif en permanence. Arrête, Ellie, arrête d’user de ton septième sens (oui , je rappelle que le sixième est le pouvoir d’invisibilté spontanée de la petite)! Laisse-moi avoir peur, je t’en prie!
Il est très probable que cette formule hybride « survival/TPS-action » puisse convenir à des personnes capables de faire osciller en temps réel leur degré personnel de cette fameuse « suspension consentie de l’incrédulité », au gré du déroulement du jeu. Moi, j’en suis incapable. Comment craindre pour Ellie quand je sais qu’elle est invincible pendant les phases les plus « dangereuses » au final (les instants de jeu donc)? Que je le veuille ou non, c’est le scénario qui se chargera d’elle (ou pas).
Cette aventure aurait pu être l’oeuvre d’immersion la plus folle jamais créée. Je suis persuadé que si Naughty Dog avait travaillé de manière plus précise certains détails liés à l’immersion et au réalisme, The Last of Us serait l’oeuvre culturelle du millénaire. Au lieu d’osciller sans arrêt entre la narration psychologico-réaliste et un squelette de jeu d’action lambda. Je n’ai pas arrêté, durant mon run, de pester contre ce que le jeu aurait PU être. Un détail qui va une fois de plus dans ce sens, est la gestion des munitions. Le visage « survival » du soft fait que l’on trouve toujours très peu de munitions sur les ennemis abattus (je parle des humains armés bien sûr): à peine quelques cartouches et pas de manière systématique en plus! Voilà pourquoi je me suis dit, tout naturellement, que je pouvais peut être jouer la montre et attendre que ces mercenaires post-apo se retrouvent en manque de munitions. Peine perdue, puisque le visage « action » du jeu fait que les mobs, quand ils sont en vie, ont des munitions infinies. Ou comment la cohabitation entre survival et uncharted-like dynamite l’immersion de celui qui se prend vraiment au jeu en poussant les règles dans leurs derniers retranchements.
Imaginez deux secondes une version de The Last of Us dans laquelle Ellie ne nous préviendrait pas qu’on a tué le dernier ennemi et où les ennemis auraient, eux aussi, des munitions limitées (après tout Metal Gear Solid 3: Snake Eater prévoyait déjà cette éventualité, je ne suis donc pas en train de parler de quelque chose de révolutionnaire ou d’impossible à mettre au point). L’immersion absolue, le survival ultime à deux décision de gamedesign près. Quelle dommage!
Je dois quand même modérer mes propos. Toutes les mécaniques que je souligne plus haut et qui ont gravement nuit à mon immersion, sont largement plus maîtrisées dans le dernier tiers du jeu. J’ai trouvé ce contraste carrément impressionnant. La partie de The Last of Us qui débute avec l’hiver propose un équilibre de haut niveau, largement au-dessus de celui des 10 premières heures. Terminée l’impression d’enchaîner de manière trop systématique un combo cinématique/ arène/ script/ cinématique. Le jeu nous emporte à partir de là à travers une expérience organique à l’immersion qui prend enfin un goût très spécial. Si je devais faire un bilan de mon expérience sur cet opus de Naughty Dog, je dirais que sur les 16-18h qu’aura duré mon aventure, j’aurais bien mis à la poubelle les 10 premières. Cette succession d’arènes assez artificielles qui mettent trop en évidence des features de jeu d’action, à côté du propos. Il m’est arrivé plusieurs fois de râler contre une architecture inadaptée. A de nombreuses reprises, je n’ai pas osé aller par ici ou par là de peur de déclencher trop tôt un script qui me ferait passer à la séquence suivante, quand mon sac vide nécessitait que j’explore un peu ce qui semblait être une zone ouverte afin d’accumuler des matières premières. C’est quand même un comble dans un jeu qui mise autant sur l’immersion. Et je ne parle pas des cinématiques clés dans lesquelles on repère les blocs et les items déjà disposés qui nous annoncent bien en avance un gunfight qui prend Joel et les autres totalement par surprise!
On m’aura bien compris, The Last of Us a fonctionné au 1/3 seulement sur moi. Ce qui ne m’empêche pas non plus de le conseiller ni de trouver qu’il vaut la peine d’être fait. Car des instants très réussis comme la contemplation des animaux en liberté par Ellie qui se laisse aller à ses pensées, ou l’exploration du campus à cheval sur de la super musique… Ce jeu se permet le luxe de créer des minutes poétiques dans un univers de « morts qui marchent » et de villes dévastées.Le jeu de Naughty Dog parvient, au bout du compte, à définir de manière assez unique dans un jeu vidéo une psychologie détaillée et très convaincante de ses protagonistes. Il est assez rare de ressentir une telle empathie de « proximité » pour des personnages de synthèse. Ce qui constitue une prouesse.
Prouesse matérialisée par la dernière partie du jeu. Lorsqu’on prend le contrôle d’Ellie ou encore dans cette superbe séquence de fin où l’on joue Joel qui se bat comme un fauve pour récupérer, finalement, la jeune fille. Cet ultime segment scelle une narration maîtrisée, sensible, qui touche des sommets lors des dernières heures. Je dirais même sans honte que le studio réalise les doigts dans le nez le jeu vidéo/narratif parfait dont rêve David Cage depuis des lustres sans y parvenir, lui qui se vautre dans ses théories erronées. La boîte californienne responsable de Crash Bandicoot possède tout le talent nécessaire, et le prouve par cette portion de l’aventure. Ce qui rajoute à ma frustration de ne pas avoir eu entre les mains l’opus parfait. Tous les ingrédients y sont, pourtant.
Quant à la fin, je persiste à la considérer d’excellent niveau et complètement dans le ton du jeu. Il faut cependant faire attention à ne pas considérer immédiatement qu’une fin cynique, « une fois n’est pas coutume », relève, par défaut, du génie. J’aime suffisamment le jeu vidéo pour considérer qu’une bonne fin, qu’un bon storytelling, vont de soi. Dès lors que l’on bondit en hurlant au « jamais vu » lorsqu’on est en présence de bonne qualité, j’ai tendance à penser que cela signifie que l’on méprise le reste de la production. Finalement, c’est peut être parce que j’aime trop le jeu vidéo que j’ai eu du mal à vivre The Last of Us comme un chef d’œuvre absolu. Il ne l’est qu’au tiers, à mon grand désespoir.
Nota: si je pouvais ne pas mettre de notes à cet avis, je le ferai. La note de 3/5 vient du fait que mon ressenti sanctionne une première partie de la campagne que je juge faible, alors que la dernière séquence est géniale. Disons qu’il s’agit d’une moyenne entre un 2/5 pour les 12 premières heures et un bon 4,5/5 pour les 6 dernières.