Pour votre voyage, vous êtes plutôt désert ou plutôt mer ?
La symbolique de la mer fabuleusement suggérée au début du jeu est assassinée par quelques chapitres qui nous « plongent » vraiment en plein océan. Et voilà que ça surenchérit avec des algues, des méduses, des requins, des baleines. Ceux qui ont fait le jeu savent très bien à quel point tout cela devient premier degré et annihile toute la puissance suggestive de la première partie du jeu.
C’est une chose de suggérer subtilement des dauphins par quelques morceaux de tissus qui volent en plein désert. C’en est une autre de tenter de créer un écosystème marin dans une ambiance bleue où tout n’est que tissu animé. De la référence géniale, sensible et paradoxale on passe à l’évocation balourde et peu convaincante. Une évocation de bancs de dauphins au milieu de la mer de sable, cela fonctionne. En revanche, vouloir à ce point recréer des fonds et de la faune sous-marine en animant des morceaux de tissus cela revient à se tirer une balle de .45 sur le petit orteil. On perd la puissance de l’évocation tout en n’arrivant pas au degré de crédibilité d’une vraie modélisation des animaux eux-mêmes. Etrange.
Même le mode multijoueur souffre de cette seconde partie peu inspirée. Autant la mystique due aux limitations de la manière de communiquer peut créer un sentiment d’implicite plutôt bienvenu, couplé à la découverte et la contemplation des premiers chapitres. Autant dès qu’on est dans un jeu de plateforme mou, à sauter de méduses-bumpers en baleines plateformes, la dynamique ne colle plus du tout. Et alors dès que commence l’infiltration avec les requins-colosses du passé, puis la montée et les difficultés de la fin du périple, on oublie un peu la présence des autres joueurs. Quelque chose finit par clocher.
Comme si la première partie de Journey était la plus équilibrée et la plus magique, car il s’agit alors encore de la vision la plus instinctive né du désir premier de ses créateurs. Comme si le désir de renouvellement ou de proposer un nombre aussi varié que possible d’environnements et d’ambiances avait, une fois de plus dans notre cher média, pris le pas sur l’intention première, viscérale, pure des gens qui ont imaginé l’objet. Peut être qu’en fouillant, on pourrait trouver que la deuxième partie est la vraie vision des développeurs, en fait. Mais cela m’étonnerait fort.
Quand puissance rime avec modestie
J’avoue que je suis très sévère envers Journey. Non pas parce qu’il est mauvais. Simplement parce qu’il gâche totalement, à mes yeux, ce que je voyais comme l’une des baffes de la décennie pendant la première heure de jeu. Il aurait dû rester aussi pur que le chef d’œuvre absolu que représente Shadow of the Colossus en terme de voyage, de dépaysement et de la petitesse de l’individu qui flirte avec les vestiges d’une culture antérieure à son propre présent.
Et non aller se perdre en une imbrication de plusieurs couches pompeuses qui ne servent qu’à donner à sa fin une allure de délire « new age » assez zarbi : l’envolée vers la montagne enneigée avec la lumière, la faune océanique en tissu qui nous accompagne. Et pour surenchérir, histoire qu’on comprenne que c’est plus une affaire d’océan que de désert au final, on insiste bien avec des vrais chants de baleine. Sérieusement ?
Il serait grand temps que certains développeurs arrêtent de croire que la puissance d’une oeuvre réside dans une surenchère de couches symbolico-métaphysiques. Comme si pour eux le coeur des joueurs ne battait que pour des plot-twist remettant systématiquement en question le « délire » de base du jeu. Le jeu vidéo possède cette capacité à nulle autre pareil de nous immerger dans un univers. De proposer une imprégnation et une émotivité intéractive dont le rythme peut fluctuer au bon vouloir du joueur. L’idée d’un voyage dans le désert et de la découverte d’une civilisation éteinte, mais en jeu vidéo, présente tout un tas de potentialités uniques que Journey effleure le temps des quatre premiers chapitres. Mais il les laisse tomber presque complètement au profit d’une symbolique ou d’une morale générique, déjà vue des dizaines et des dizaines de fois dans d’autres médias. La puissance qu’il aurait pu trouver aurait résidé dans la crédibilité de l’immersion dans cette extraordinaire représentation du sable, de la chaleur et du vent. Et aussi dans l’écriture véritable de l’Histoire de cette civilisation perdue qui, du coup, ne devient qu’un élément mineur parmi d’autres sur lequel s’appuie cette métaphysique éculée. Cette dernière rend le tout affreusement générique, au fond. Quel gâchis !
Faites-le quand même, hein !
Parce que les trois premiers chapitres sont sublimissimes, parce que la montée dans la neige avec ce personnage qui tombe de fatigue est un moment d’émotion fabuleux, Journey mérite qu’on le fasse. J’ai simplement une haine envers lui : j’en voudrai à jamais à thatgamecompany d’avoir cédé à tout un tas de compromis et d’idées bizarres qui ont complètement corrompu la vision si puissante que représente le jeu durant sa première partie. J’aurais voulu pouvoir le considérer beaucoup plus qu’une expérience magique chargée d’émotions et d’instants esthétiques chiadés plombée par des choix faciles et stéréotypés en plein milieu qui, paradoxalement, amenuisent la puissance de l’œuvre.
Car l’idée de la boucle inexorable, par exemple, si elle parvient systématiquement à faire son petit effet stylé, diminue toujours l’ampleur de l’épopée. J’aurais tant préféré que Journey m’aspire et qu’il me porte beaucoup plus loin que son écran-titre, en somme. Si astucieuse que puisse paraître la pirouette. Le jeu avait tout : une pincée de simplicité aurait suffit.