[dropcaps style=’2′]C’est un fait : au cours des années 2000, le point’n click avait clairement perdu en vitesse par rapport à la décennie précédente, considérée par beaucoup comme son âge d’or. Après, certes, il y avait toujours des sorties mais il fallait admettre que le genre était davantage considéré comme « de niche ». En même temps, c’était une période riche en bouleversement : ses éditeurs dorés tels LucasArts (comprenant donc Ron Gilbert et Tim Schafer dans son sillon) et Sierra brillaient respectivement par leur absence et perte de vitesse. Ou bien une série aussi majeure telle que Broken Sword perdait en mordant qualitatif et gagnait en controverse. Et pourtant, malgré tout, cette décennie un peu creuse a quand même vu quelques candidats importants comme la doublogie des The Longest Journey, In Memoriam et son concept novateur d’utiliser le web, la série des Myst continuait à s’étoffer d’épisodes sympathiques, les Runaway qui marquaient un retour aux sources de l’âge d’or avec des moyens plus modernes ou encore Syberia de Benoît Sokal et son univers véritablement fascinant et magnétique. En revanche, et provenant du même éditeur de ce dernier, Microïds, on parle beaucoup moins de la trilogie Still Life.[/dropcaps]
Prélude post-mortem
Même si l’intitulé ne le laisse pas présager, Post Mortem se place comme un prologue à Still Life. On y suit les pérégrinations de Gus McPherson, que l’on retrouvera également dans l’opus suivant, ancien détective privé new-yorkais, fraîchement exilé à Paris durant les années 1920 en quête de reconversion afin de devenir artiste. Les raisons de cette décision restent plutôt troubles mais semblent aller bien au-delà d’une simple petite lubie passagère. Malheureusement, traverser l’Atlantique afin de changer radicalement de vie n’est pas chose aisée pour Gus qui peine à obtenir reconnaissance et argent de son art. C’est pourquoi, lorsqu’une mystérieuse New-Yorkaise vient frapper à sa porte afin de lui demander son aide en tant que détective afin de trouver l’assassin responsable des meurtre troublants et sauvages par décapitation de sa sœur et son beau-frère, le pauvre Gus ne peut se permettre de refuser. Quand bien même il voulait effacer sa carrière passée de sa vie. De fil en aiguille, ce meurtre sordide s’avère bien plus complexe qu’il n’y paraît, de même que les différents protagonistes ne s’avèrent pas être ceux qu’ils prétendaient être et les enjeux très différents de ce qu’il semblait initialement, l’enquête prenant peu à peu une tournure complètement surnaturelle. On trouve donc là des composantes scénaristiques matures, sombres, plutôt violentes, empruntes de fantastique avec une bonne dose de complotisme, dans une veine rappelant un peu la série des Gabriel Knight. Avec bien moins de panache, de mordant et de charisme malheureusement. Car si en terme d’ambiance entremêlant charme retro des années folles avec une certaine tension un brin oppressante, Post Mortem s’en tire fort bien, on ne peut pas en dire autant de sa beauté, se contentant de présenter des images floues et vides, avec son bon nombre d’écrans de déplacements transitoires totalement inutiles desquelles on a incrusté grossièrement des modèles 3D d’objets et de personnages. Ce qui facilite grandement la lisibilité des éléments interactifs d’un côté mais décevant toutefois lorsqu’on sait que le premier Syberia, le dépassant graphiquement des pieds à la tête même si les deux ne jouent pas sur les mêmes points de vue (Post Mortem étant en vue subjective sur les phases d’exploration), est sorti chez le même éditeur six mois plus tôt.
Et voilà un fait qui illustre toute la problématique qui ressort de ce prélude : il s’agit d’un jeu présentant de très bonnes idées, parfois extrêmement novatrices d’ailleurs, mais qui se retrouve continuellement entaché par une exécution maladroite, si ce n’est carrément mauvaise. D’où le fait qu’on se retrouve toujours le cul entre deux chaises sur les bonnes ou mauvaises grâces que l’on veut bien lui accorder. Parmi ces bonnes idées, on pourra lui reconnaître ce parti-pris d’un cheminement non-linéaire où l’on peut mener les différents axes de l’enquête de Gus plus ou moins dans l’ordre voulu, chacun pouvant par ailleurs être résolus de plusieurs manières différentes. Ce qui semble plutôt intéressant sur le papier, d’autant plus qu’il a été annoncé que le jeu comportait trois fins différentes. En pratique, cela aurait pu mieux fonctionner à merveille si ces trois fins ne se faisaient pas que sur un choix mené sur un unique embranchement, et non sur la façon globale à laquelle on a pu mener son enquête. De la même manière, Post Mortem ne parvient pas à bien mener son parti-pris : il n’arrive pas à adapter de manière adroite sa narration selon l’ordre et la manière où l’on exécutera les choses, ce qui rendra par moment le propos plutôt confus. D’autant plus lorsque le jeu présente de nombreux bugs sur les éléments qu’il présente, omettant des choses non menées et/ou nous présentant de nouveau des indices sur des axes déjà terminés, sans compter un carnet d’enquête répertoriant les différents documents trouvés complètement à la masse lorsqu’on veut le consulter. Les dialogues représentent une autre particularité notable du soft où le choix ne se fait pas forcément pas nature de réplique mais par le ton et tournure que l’on décide de leur donner, l’interlocuteur pouvant aussi apprécier l’approche et se montrer loquace ou au contraire se braquer et se replier comme une huître. Là encore, une excellente idée, bien en avance sur son temps, qui se retrouve plombée par un doublage manquant cruellement d’âme, ainsi qu’une modélisation faciale complètement figée faisant que l’on a bien du mal à déterminer ce qui pourrait s’avérer judicieux ou non, ne pouvant pas spécialement sonder les caractères respectifs de chaque protagoniste rencontré. Au final, Post Mortem s’avère bien moins solide que ne laisse présager ses bonnes intentions et fera qu’on finira, au fur-et-à-mesure des tâtonnements à déchanter, voire décrocher alors que l’on aurait pourtant apprécié s’y impliquer davantage, l’ambiance et le scénario global étant clairement intéressants.
Résurrection miraculeuse
Au vu des tares et de l’accueil plutôt mitigé reçu avec Post Mortem, cela semble bien saugrenu que son développeur, MC2 France, se soit décidé à prolonger l’expérience. Non pas en faisant un simple numéro 2 mais par le biais d’un autre titre mettant en lumière une toute nouvelle héroïne, Victoria McPherson, tout en enchevêtrant parallèlement une autre histoire mettant en scène son aïeul qui n’est autre que le personnage central de Post Mortem. Heureusement, nouveau titre rime également avec une toute nouvelle appréhension du sujet ainsi qu’une technologie héritée de l’autre succès de son éditeur Microïds, Syberia. Exit la vue subjective pas folichonne des débuts pour un jeu à la troisième personne qui se révèle tout aussi efficace que dans sa première application au sein de la série de Benoît Sokal. On s’arrêtera ici avec la comparaison, les deux prétendants ne jouant pas sur les mêmes thématiques. Still Life s’appuie en effet toujours sur son approche mature, sombre et sordide que l’on trouvait déjà chez son prédécesseur, avec un bon coup de modernité bienvenue en bonus. De la même manière, les grandes ambitions mal maîtrisées sont mises au placard afin de se contenter de l’essentiel : une histoire linéaire et bien écrite où les objectifs de jeu et d’énigmes sont clairs, nets et sans bavure. Plus classique certes mais autrement plus efficace pour apprécier le scénario et l’ambiance servis par le biais d’une narration plus profonde et aboutie. A ce niveau, on ne se plaindra pas du déroulement convenu en terme de phases de jeu et prise en main : Still Life n’a pas besoin d’en faire des tonnes de ce côté-là pour se démarquer de la concurrence tant les point’n click aux thématiques adultes et gores ne couraient pas les rues en 2005.
On suit donc une enquête de Victoria McPherson, un agent du FBI, dans notre présent, qui se retrouve confrontée à un tueur en série qui n’a cesse de commettre des meurtres de plus en plus violents, chaque victime à son actif ne le rendant que plus confiant vis-à-vis de son mode opératoire et de son rapport avec les forces de l’ordre complètement démunies face à cette menace qu’ils n’arrivent pas à identifier et à arrêter. Outre son enquête, on suivra également Victoria dans son intimité où elle trouvera des notes de son grand-père, Gus, fraîchement débarqué à Pragues après avoir tenté de percer à Paris en tant qu’artiste de manière infructueuse – plus ou moins juste après les événements de Post Mortem donc – à propos d’une enquête sordide sur un tueur en série qui s’attaquait à des prostituées. Des phases que l’on joue également en parallèle à l’histoire de Victoria qui se révèlent fort intéressantes car liées l’une à l’autre par le biais d’une narration très adroite alors que les lieux et la temporalité sont clairement différents. Des grandes évolutions de narration par rapport au prélude, on pourra reconnaître d’ailleurs un plus grand soin apporté sur la personnalité des protagonistes, autrement plus substantielle et charismatique, tant dans leurs répliques que leur développement. Ce qui fait qu’on plonge sans difficulté dans ce Still Life d’un bout à l’autre passionnant, que ce soit avec les outils du parfait agent secret avec Victoria ou du côté plus cérébral de Gus, avec une progression cohérente et rythmée, au point qu’on regrette d’en voir le dénouement si rapidement (environ 7 ou 8h). En bref, un virage aussi inattendu que bien négocié.
Entre la vie et la mort : un jeu dangereux
Sans aller trop spoiler, le premier Still Life se terminait sur une pléiade de questions sans qu’on n’ait pu obtenir la moindre réponse. A n’en point douter, un nouvel opus était mis sur les rails niveau développement afin d’obtenir le fin mot de l’histoire. Il a fallu attendre quatre ans pour voir arriver ce numéro 2 qui clôt ainsi cette trilogie. Microïds s’étant même amusé à faire monter d’autant plus la hype dans les derniers moments de communication avant la sortie dudit jeu. Plutôt pas mal niveau marketing, on n’en dira pourtant pas autant du résultat final lorsqu’on le voit tourner devant nous. Parce qu’en toute honnêteté, difficile de dire si Still Life 2 est juste une suite paresseuse qui se fout de la gueule du monde ou si Gameco Studios qui a hérité du projet est tombé de nouveau dans les travers de ses prédécesseurs d’idées ambitieuses qu’il ne parvient pas à mettre en pratique comme c’était le cas avec Post Mortem. Il appartiendra peut-être à chacun d’en juger mais toujours est-il que cela ne change en rien que ce dernier opus est une véritable déception qui vient plomber un nom qui avait pourtant le potentiel de s’établir davantage. Et c’est dommage car, une fois encore, le propos tendait à se moderniser davantage. Outre les réponses attendues, Victoria se retrouve en proie à un nouveau tueur en série à l’inspiration Jigsaw de Saw plus qu’évidente qu’elle peine à arrêter. Fortement marquée par les événements de l’opus précédent, elle ne cesse de se consacrer de manière obsessionnelle à ce vieux dossier pourtant considéré comme clos. Tandis que son enquête actuelle et officielle patauge dangereusement dans la semoule, ne rendant son psyché que plus fragile et frustré. Jusqu’au moment où une journaliste zélée nommée Paloma Hernandez, qui n’a eu de cesse que de la harceler depuis le début de cette nouvelle affaire, se retrouve enlevée par ledit tueur en série. Un peu de la même manière que son grand frère, l’on mènera cette aventure via deux différents axes intimement liés : celui de Victoria qui mènera l’enquête avec un équipement qui ferait rougir Les Experts afin de sauver Paloma, et cette dernière qui devra survivre aux différents « jeux » que son agresseur lui imposera.
Honnêtement, même si les influences sont plus que mal digérées et évidentes, il faut reconnaître que les premiers moments en imposent. Still Life 2 conserve son esprit mature et violent et ne l’a même sans doute jamais autant été. Il faut également se remettre dans le contexte de 2009 où le côté scénaristique et narratif n’était pas aussi abouti que l’on peut le voir dans le jeu vidéo moderne actuel – Heavy Rain qui apportera énormément en terme d’influence à ce niveau ne sortira qu’un an plus tard, rappelons-le – histoire d’éviter de souligner trop durement ce petit pompage. C’est qu’au final, le développeur avait peut-être en tête de dynamiser le style point’n click. En revanche, là où l’on ne lui pardonnera pas si facilement, c’est sûrement sur son côté technique totalement en berne : on sent toutes les limites du moteur graphique qui avait servi pour son prédécesseur et les deux volets de Syberia et cela fait peine de voir un rendu aussi vieillissant après 4 ans de développement. Mais le must revient surtout à diverses mauvaises optimisations rendant certains passages d’exploration et la navigation dans les menus à peine jouable car ramant du cul. Et lorsqu’on te met une gestion d’inventaire qui passe obligatoirement par ces-dits menus car voulant s’inspirer d’autres styles comme le survival horror – avec espace limité en prime, ce qui ne fonctionne clairement pas pour du point’n click – ou des phases à rebours, ces soucis techniques font office de véritable purge, d’autant plus que les déplacements dans l’ensemble se révèlent assez rigides. Les moins patients abandonneront. Les autres acharnés plus courageux reconnaîtront sans doute les qualités de background niveau scénario, narration et ambiance par ailleurs réussies, fortement entachées par ces soucis techniques et idées de gameplay peu convaincantes et cohérentes, tant dans la théorie que dans la pratique. Et vraiment, il y a de quoi rester amer devant cet arrière-goût frustrant de gâchis.
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