Interview Jehanne Rousseau – Camille Bachmann

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Archaïc : Est-ce que vous continuez les missions de prestation chez les autres entreprises ?

J.R. : Eh bien, le dernier Sherlock Holmes… Remarquez, il est sorti donc on n’en parle plus. Le prochain sera à priori réalisé par leur soin. On est toujours en contact avec différentes boîtes pour de la presta ponctuelle mais pour l’instant, on n’en a plus.

Archaic : Il est vrai qu’avant, ce n’était presque que ça. Désormais, vous proposez vos propres créations…

J.R. : Ça n’a jamais été que ça. On a toujours eu des créas, seulement ça ne se voyait pas spécialement… Les portages nous ont permis de manger et financer la boîte.

Archaic : Et dernier projet, le projet de Recherche et Développement abordé en conférences, aux Utopiales.

J.R. : Qui est vraiment juste de la R/D. Pour le coup, on ne sait même pas ce que ça va devenir. Est-ce que ce sera un jeu un jour ou ce sera juste pour nous un labo dont le résultat sera utilisé dans d’autres jeux…

Archaic : C’était de la narration interactive, non?

J.R. : Oui. Il y a eu un univers. Camille a fait plein de dessins.

Archaic : Ça en fait des projets en même temps (rires).

C.B. : Oh oui (rires).

J.R. : Même si les dessins datent un petit peu…

C.B. : Ceux-là ont été faits assez vite.

J.R : On a effectivement monté une sorte de micro-jeu. Enfin, pour l’instant, car il pourrait devenir assez énorme en termes de possibilités. C’est un projet qu’on fait un peu en tâche de fond qui tient vraiment de la recherche. On ne sait pas encore trop où ça va aller. C’est un projet qu’on espère voir aboutir, encore faut-il que nos recherches fournissent un truc intéressant et qui soit bien évidemment fun… Pour le coup, c’est plus un jeu d’aventure, même si c’est un peu réducteur de dire ça.

C.B. : En tout cas, il nous a amené d’autres possibilités pour les autres projets comme la technologie. Ça a été développé pour ce projet-là mais c’est déjà réutilisé…

Archaïc : Et ça se présente comme un nouveau moteur ou comme un add-on à votre moteur, le Silk Engine ?

J.R. : Ce sont des modules que l’on rajoute au Silk, en termes de multimédia, d’extension, d’outils de scénarisation, de cut-scenes… En fait, au départ, c’est surtout un concept en termes d’écriture. Et à partir de ce concept, on s’est demandé ce que nous pouvions réaliser. Techniquement, c’est un chantier énorme. C’est un chantier qui est vraiment ultra, ultra complexe et c’est quelque chose qui est vraiment peu abordé dans le jeu vidéo. En général, dans le jeu vidéo, c’est 98, voire 99% de scripts. Là, l’idée, c’est vraiment d’avoir des comportements qui soient complexes mais pas systématiques puisqu’ils sont basés sur de la psycho. Le but est d’avoir des personnages qui peuvent réagir de manière cohérente par rapport à leur mentalité, leur passé, leur histoire, leurs peurs, ou au contraire leurs joies, leurs plaisirs dans la vie, leurs liens avec d’autres personnages. Par contre, c’est un huis-clôt, le principe, c’est de mettre un certain nombre de personnages dans un même endroit et les regarder interagir pour voir ce qu’il se passe, comment chacun va participer à l’histoire, comment ça va réagir, qu’est-ce qui se passe, ce qu’on peut en déduire. Il y a vraiment l’idée de : « si on balance quinze balles rebondissantes dans un cube, qu’est-ce qu’elles vont faire ? ». C’est vraiment super intéressant pour nous car même sur du RPG, l’idée est vraiment de nous servir de toutes ces recherches-là pour développer des comportements sympas, que ce soit des PNJ importants ou pas… L’objectif est donc vraiment d’avoir des personnages qui vont pouvoir agir, réagir et même provoquer des événements d’eux-mêmes, en fonction de leur profil psychologique. Le jeu en tant que tel peut vraiment apporter une expérience sympa, enfin si on arrive à en faire quelque chose de bien en tant qu’ « expérience de jeu ». Pour l’heure, ça risque surtout de finir en une sorte de murder party (rires). A partir du moment où on met des gens avec des profils psychologiques très travaillés, qui sont tous un peu chargés, ils se mettent dans le placard…

C.B. : Et ils sont forcés de rester ensemble (rires)…

J.R. : Il y a des chances que ça tourne mal. Le joueur peut faire en sorte s’il joue très très mais alors très bien que tout le monde survive. Ils se seront pris des coups de poing dans le nez mais ils auront survécu, c’est déjà pas mal.

C.B. : Ce serait dur pour leur première partie. Je pense même que ce serait quasiment impossible.

Archaïc : Du coup, on verrait plus un jeu d’aventure ou d’action, si ça venait à aboutir.

J.R. : Ce serait entre l’enquête et… un genre qui n’existe pas. Il y a plein de points qui s’inspirent du jeu d’aventure style L.A. Noire : enquête, recherche, discussion avec des personnages, etc… Et en même temps, un jeu en sandbox, on se balade, on peut aussi décider de passer tout le huis-clôt à dormir dans sa tente… Ce ne serait pas très constructif, c’est sûr, mais faisable (rires). Il y a vraiment une gestion du temps qui passe… Donc l’idée est de laisser le joueur agir, ou ne pas agir, discuter ou ne pas discuter, se faire des amis, ou des ennemis, etc… C’est donc plutôt inclassable. Quand j’ai parlé du concept aux codeurs…

C.B. : … Ils ont blêmi.

J.R. : Non mais vraiment ! La première fois, ils ont dit « Non, ce n’est pas possible ! ». Et là, je leur ai répondu : « Si, si, réfléchissez : je pense que, vous voyez… » (rires). A part faire des sortes de petits « gribouillis », je n’ai jamais fait de code de ma vie.

C.B. : Il faut créer une IA qui réfléchit et imite un cerveau…

J.R. : Il faut également des bases de données énormes pour stocker chaque profil, chaque personnage, …

Archaic : On imagine qu’il faut ensuite pouvoir croiser toutes ces données…

J.R. : Oui. En sachant qu’on gère les perceptions sensorielles des personnages.

Archaic : Ainsi que les mots ?

J.R. : Oui : ils ont une mémoire. C’est pour ça aussi qu’on a fait un huis-clôt. A mettre trop de bonshommes, on compliquerait encore la chose ! (rires). En tout cas, c’est un super laboratoire : le projet est très excitant. On s’amuse beaucoup avec. On verra ce que ça va donner. Pour le coup, on ne le présente même pas en l’état : on n’en est pas du tout là et on n’est même pas sûr d’avoir envie de le faire à long terme parce que de toute façon, 80% des éditeurs vont nous dire « mais c’est quoi ce projet ? » (rires). On le présentera peut-être en distribution Steam ou d’autres plateformes de ce genre. Peut-être qu’on le distribuera un jour à petit prix…

Archaïc : Comme le Silk Engine ?

J.R. : Nous ne proposons le Silk qu’à des développeurs que nous connaissons et pour le moment aucun autre studio ne l’utilise. Nous ne voulons pas nous retrouver à gérer une distribution : ce ne serait pas tenable et ce n’est pas notre métier. On ne peut pas le distribuer au grand public pour la simple et bonne raison qu’il y a des éléments dans le Silk qui sont liés à des SDK PS3 et 360. Il est de toute façon difficile de distribuer des moteurs car nous sommes assez bornés par les constructeurs à des rôles précis.

Archaïc : Dernière question : est-ce qu’on se retrouve aux Utopiales 2013 ?

J.R. : Eh bien, je n’en sais rien du tout. Je dois avouer que j’aimerais bien que le pôle jeu vidéo décolle. Je suis prête à participer mais ce serait bien que les organisateurs nous aident un peu plus… Pour l’instant, le jeu vidéo ne les intéresse pas. S’il n’y avait pas Florent et Fleur qui se démènent à tout organiser – c’est-à-dire à monter les Game Jam, à faire venir des bornes, présenter des expos, à faire des conférences avec David Calvo, etc… – il ne se passerait rien. C’est vraiment eux qui sont moteur du pôle jeu vidéo. Autant dire qu’ils sont épuisés au sortir des quatre jours de salon, déjà que cela fait des mois qu’ils sont dessus malgré leur boulot à côté. De plus, les utopiales n’ont pas de budget pour le jeu vidéo… Pour l’instant, ils ne sont pas super motivés, ils n’aident pour ainsi dire pas… C’est vrai qu’on a pour projet de voir le nouveau directeur et essayer de vendre le fait qu’il faudrait un peu plus de jeu vidéo, que ce domaine a sa place ici. Maintenant, je dois avouer que s’il n’y a pas plus d’écho et que comme cette année, on ne me prévient même pas un mois avant pour organiser une exposition, des workshops et des conférences… eh bien, non (rires) ! Mine de rien, il faut imprimer les trucs, faire préparer les toiles par Camille, … Certes, l’organisation de l’expo est amusante mais la préparation des workshops demande un minimum de taff. Autant j’aime cette manifestation, autant l’accueil cette année était un peu « mesquin » dirons-nous (rires). En espérant qu’il y ait une véritable envie d’évolution en 2013…

Archaic : Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez alloué.

J.R : Merci à vous… Bon, on va boire des bières (rires) ?