Of Orcs and Men

Après un Game of Thrones aux avis plus que mitigés, Cyanide remet le couvert avec Of Orcs and Men, bien décidé à corriger ses erreurs. Mais comme Sylvain Sechi nous l’a révélé cette semaine, faute de temps et de ressources, le développement du jeu a été confié au jeune et petit studio parisien Spiders, le tout appuyé par l’éditeur Focus. Une association franco-française dans le but de démontrer tout le savoir-faire de notre cher pays en matière de RPG ? Une entreprise à la fois ambitieuse et risquée dont nous allons nous empresser de décortiquer le résultat.

Le monde est en guerre depuis plus de dix ans. Les Humains ont décidé de prendre l’ascendant sur les peuples du Sud, à savoir les Orcs et les Gobelins, également surnommés les Peaux Vertes. Grâce à une organisation hors pair et une redoutable armée de l’inquisition, les Humains ont pris le dessus, mais cet avantage reste fragile, la résistance gronde. C’est pourquoi l’empereur Humain décide d’organiser une rencontre avec les représentants Elfes et Nains pour sceller une alliance et mettre un terme à cette guerre. La tribu des Bloodjaws, la plus féroce et la plus redoutable des tribus Orcs, réputée pour accueillir en son sein les plus redoutables guerriers du pays, ne l’entend pas de la même façon. Elle monte un commando dont l’objectif est d’éliminer l’empereur avant la ratification de toute entente. Parmi cette troupe d’élite, se tient Arkaïl, le « Boucher de Bay Harbor », le plus connu et probablement le plus puissant de sa race. Il sera le héros de notre aventure, très vite rejoint par le Gobelin Styx, devant lui servir de guide. Tous deux devront au cours de cinq chapitres mettre un terme au joug de l’empereur, ce qui les amènera à devoir traverser le Mur isolant les Terres du sud du reste du continent Isérien… Le pitch d’Of Orcs and Men se veut relativement classique à l’immense détail près : nous incarnons un Orc et un Gobelin. Ces deux êtres, peu loquaces mais ici réunis pour le bien du portefeuille de Styx, constituent réellement le cœur du jeu.

Of Orcs and Men étonne très vite par ses personnages profondément marqués. Arkaïl, sous ses airs de grosse brute, est très loin d’être demeuré, bien au contraire. Il s’exprime de manière sensée, connaît très bien ses limites et est profondément ancré dans ses traditions Orcs. En face, Styx a beau avoir toujours le mot pour rire, en alignant vulgarité et bon mot, il n’en demeure pas moins un personnage aux réactions logiques et Humaines, serions-nous tentés de dire. Les Orcs et les Gobelins n’étant pas vraiment en odeur de sainteté, les deux comparses ne s’entendront que rarement sur la bonne décision à prendre, que ce soit sur la réalisation d’une quête annexe ou d’une réponse à un personnage important. Interviendra alors le joueur qui pourra choisir quel interlocuteur doit répondre, ce qui amènera vers des réactions de PNJ différentes, voire à l’abandon de quêtes, mais jamais à un embranchement scénaristique ou à une fin différente. Le récit d’Of Orcs and Men est cloisonné et narré, grâce à un Styx narrateur entre chacun des cinq chapitres que recèle le jeu. C’est en cela que l’avancée dans Of Orcs and Men se rapproche de celle d’un bon bouquin : le joueur/lecteur est totalement pris par la main du début à la fin afin de bien lui présenter chaque pan scénaristique de la façon voulue. Pas au travers du niveau de difficulté – présence de quatre niveaux de difficulté, facile, normal, difficile, extrême, amenant un réel challenge en ce qui concerne les deux derniers – mais une progression en couloirs. Les détracteurs de Final Fantasy XIII peuvent d’ores et déjà détourner leur regard : Of Orcs and Men est un couloir, du début à la fin. Il est impossible de s’en détourner ou d’aller explorer des environnements connexes. La seule « liberté » tient dans l’acceptation de quêtes annexes depuis les Hubs – lieux de repos dans les premiers chapitres servant de point de ralliement entre diverses missions, au principe similaire à celui du Normandy de Mass Effect – qui nous emmènent vers d’autres couloirs, ici impasses dont l’extrémité est systématiquement tenue par un boss. Mis à part l’ouverture des rares coffres offrant des morceaux d’équipements, notre activité principale sera l’affrontement. Of Orcs and Men se devait donc d’assurer sur ce point essentiel à tout bon RPG.

Les ennemis sont visibles sur le terrain de jeu et, pour la plupart, vous rechercheront suite à la mise à prix de votre tête en début de partie. La confrontation débute au moindre repérage, amenant l’intégralité des ennemis de la zone sur vous. Heureusement, pour empêcher cela, ou du moins le limiter au maximum, Styx, en tant que roublard et expert en furtivité, est capable d’assassiner furtivement des cibles. Pratique indispensable pour espérer remporter certaines batailles insurmontables sans aucune épuration préalable. Une fois le combat engagé, nous avons le contrôle d’un des deux personnages, la possibilité de switcher étant positionnée sur le bouton Y / Δ. Arkaïl, du haut de ses 2m40 et de ses 450kg, est la brute du tandem, fort et robuste, expert du corps à corps. A l’inverse, Styx est plutôt du genre vicieux, spécialisé dans les attaques fourbes et à distance. Chacun accepte quatre « slots », à programmer en combat pour indiquer leurs actions futures. Celles-ci sont piochées dans trois roues de compétences, cela peut aller de l’attaque circulaire, à l’empoisonnement de lames à l’envoi de points de vie au compagnon. Ces trois roues reflètent deux orientations de combat, appelées postures dans le jeu, et les techniques spéciales. Arkaïl peut être positionné soit en Attaque, soit en Défense, tandis que Styx en Corps à Corps ou en Distance. Elles servent non seulement à classer les compétences mais également à indiquer au personnage contrôlé par l’IA quelles réactions à adopter pendant que nous nous dirigeons l’autre compagnon. Un principe similaire aux ordres que nous retrouvons déjà dans pas mal de jeux du genre. Toutefois, la posture ne fait qu’inciter le héros sélectionné à utiliser l’action de base de ladite posture. Il est vital d’alterner entre les personnages pour leur indiquer clairement des actions à réaliser. Que les joueurs aimant prendre leur temps se rassurent, le choix des attaques se fait au travers d’une sorte de pause active, durant laquelle le jeu est fortement ralenti, vous laissant toute latitude dans vos choix. A l’image du système déjà employé dans Game of Thrones. Ce n’est d’ailleurs pas un luxe vu le nombre souvent faramineux d’ennemis à affronter en simultané – d’où l’importance de l’épuration à la Styx abordée précédemment. L’IA des adversaires a beau être aux fraises, le surnombre peut très vite vous surprendre. Attention aussi à la jauge de furie d’Arkaïl. Notre ami Orc a en effet tendance, au fil des coups encaissés et donnés, à devenir incontrôlable, le libérant de notre emprise et l’amenant à négliger sa défense au profit d’attaques surpuissantes. Intéressant sur le papier mais à bien maîtriser sous peine de le voir entrer trop tôt dans cet état qui peut très vite l’amener à passer de vie à trépas.

Peu intuitif au démarrage, le système de combat révèle son intérêt et sa fraicheur au fil de l’aventure et des compétences débloquées. A chaque niveau gagné, les héros peuvent allouer des points à quatre caractéristiques – Force, Agilité, Endurance et Esprit – et à leurs compétences. Chacune des trois roues proposent un certain nombre d’actions à débloquer puis à améliorer une fois. Mais cette amélioration propose cependant un choix cornélien puisque pour chaque compétence, deux améliorations sont proposées : à nous de choisir celle que nous préférons, en sachant que ce sera irrémédiable. Allons-nous ajouter +50% de force ou +100% d’étourdissement à cette attaque. Ceci amenant à réfléchir à notre façon d’aborder les combats et à ne pas nous précipiter. En effet, le niveau de difficulté restant relativement élevé, les erreurs de jugement en combat peuvent vite amener au Game Over, autrement dit à la mort des deux personnages, chacun pouvant ressusciter son compère à loisir, mais avec un faible taux de points de vie. Obligation donc de ne pas négliger les compétences rapportant de la vitalité sous peine de passer son temps sur le fil du rasoir, ou plutôt de la mort. Le système d’objets se repose uniquement sur de l’équipement, donc pas question de soigner au travers d’un inventaire. Ce dernier est par ailleurs des plus limités et n’est pas du tout au cœur du jeu. Les armes et armures se récupèrent au sein de coffres, en terminant des quêtes optionnelles ou auprès d’un forgeron. Les achats, ventes et amélioration de matériel reposent sur un système de troc : en vendant des objets ou en rendant service aux pnjs, vous obtenez des points de troc échangeables contre du nouveau matériel. Mais le vrai intérêt est d’améliorer son équipement, tant les bienfaits dépassent amplement le remplacement par du matos nouveau. Cela combiné aux compétences préalablement augmentées et nous obtenons le système de progression du jeu.

La progression narrative n’est, quant à elle, pas en reste puisque si le postulat de départ est intéressant, les faits suivants le sont d’autant plus. Of Orcs and Men se reposant sur un propos dur, les scènes chocs se succèdent. Exécution, esclavagisme, mutilation, tortures, emprisonnements, « viols psychiques » sont au programme de cette aventure qui nous emmène dans un peu plus d’une demi-douzaine de lieux différents. Certains évènements risquent de glacer le sang à certains – comme brûler vif tout un contingent de disciples de l’Inquisition ou choisir ou non des assassinats préventifs. Of Orcs and Men n’est clairement pas un jeu « sympa », il raconte une guerre et ne se prive de rien pour en montrer la dureté. Heureusement, les deux personnages et notamment Styx et son fabuleux doublage, apportent un peu de légèreté à tout cela. Le talent d’écriture de Cyanide et Spiders éclate de nouveau au grand jour avec des dialogues percutants, très bien tournés et parfaitement cohérents. Même les PNJ bénéficient d’un réel travail de doublage. Nous déplorerons peut-être quelques enchaînements malheureux mais rien ne pouvant ternir notre enthousiasme devant une aussi bonne narration. Il est d’ailleurs important de ne pas snober les quêtes annexes – liées au chapitre en cours et perdues en cas d’avancée un peu trop rapide –qui amènent de réels éléments de scénario, étoffant encore davantage l’intrigue et le passé – tourmenté il va sans dire – de nos héros. Of Orcs and Men dévoile au fur et à mesure un travail de création d’univers, de recherche d’originalité et de précision qui fait plaisir, poussant sans cesse à progresser pour en découvrir toute la richesse. La fin, arrivant après une douzaine d’heures en ligne droite ou un peu plus d’une quinzaine en comptant les quêtes annexes (en difficulté « Normal »), laisse augurer un monde encore plus grand à découvrir.

Malheureusement, ce qui fait la force du jeu amène également ses faiblesses, à savoir une linéarité juste parfaite. Comme précisé au début, Of Orcs and Men est un couloir. Les quêtes annexes ne servent qu’à visiter une impasse le temps de quelques foulées avant de reprendre le chemin principal, lui-même constitué uniquement de donjons. Même les hubs des premiers chapitres ne sauraient représenter des carrefours puisqu’une seule sortie permet de continuer l’aventure. Ce qui sera rageant aux yeux de nombreux joueurs est pourtant justifié par le scénario de deux êtres devant se frayer un chemin au plus vite vers leur cible, sans s’arrêter ou regarder derrière. Le parcours n’est jonché que de combats, pouvant entraîner une certaine lassitude chez certains. En effet, un récit maîtrisé et omniprésent induit une linéarité, plus ou moins profonde selon l’importance de la narration. Il faut en être conscient. Autre aspect pouvant à amener à critique : l’aspect technique. Le Silk Engine, moteur maison de Spiders Game, propose de très beaux rendus, capables de supporter la comparaison avec bien des productions Triple A. Il semble d’ailleurs expert dans les éclairages et le portage des ombres. Les catacombes ou l’île des Complaintes offrent de très beaux moments, avec un chargement totalement transparent des textures, une gageure pour l’Unreal Engine 3, par exemple. Toutefois, ce moteur semble tout de même un cran en-dessous de la concurrence quand il s’agit d’animation. Quelques ralentissements par-ci, quelques étapes d’animation manquantes par-là et des mouvements un peu rigides lors des cinématiques feront tiquer les yeux des joueurs avertis. A cela ajoutons une IA ennemie assez faible et une gestion des collisions plus que douteuse en combats – l’impression de puissance d’Arkaïl n’étant finalement pas réellement retranscrite – et nous obtenons une technique tout de même imparfaite.

A l’inverse, esthétiquement, Of Orcs and Men tient davantage de la réussite que de resucée de la concurrence. Spiders et Camille Bachmann ont fait un réel travail de personnalisation de l’univers, apposant un cachet unique à l’ensemble. Avec son univers fantasy, nous aurions pu craindre un design vu et revu. Mais pas du tout, à l’image de l’univers et des personnages, l’esthétique et le coup de crayon sont uniques, offrant un design marquant à la race Orc. Puissante et occupant tout l’écran. Nous serons cependant un peu moins enthousiastes concernant celles des Humains, qui, à l’exception des uniformes des inquisiteurs, se révèle bien moins inspiré. Heureusement, Olivier Derivière n’en a pas manqué, lui, d’inspiration, puisque si le scénario arrive si bien à communiquer ses scènes chocs c’est aussi et surtout grâce à une bande de son de qualité. Et si nous pouvions redouter des musiques typiques de ce genre de production, force est de reconnaître que le compositeur nous prend à revers avec l’appel au Boston Cello Quartet et les sonorités à la fois tribales et majestueuses, rappelant l’ambivalence des deux héros. Oui, des deux. A noter un « main theme » alliant étonnamment épique et mélancolie, qui termine de placer cette bande son dans le bac des BO de jeux vidéo réussies.

Ces derniers points parachevant quant à lui le constat qu’Of Orcs and Men est que, malgré ses tares évidentes de finition, de jeu à budget restreint et de linéarité complète, est le fruit de passionnés qui ont mis un point d’honneur à offrir un jeu tranché et marqué. Avec son esthétique unique et sa bande son composée de violoncelles inédite, Of Orcs and Men attire l’œil. Spiders, du haut de sa petite vingtaine d’employés, a réussi à offrir un cachet qui n’a pas à rougir face aux superproductions du marché ; tandis que Cyanide fait encore une fois montre de son talent d’écriture offrant aux fans de bonnes histoires et dialogues savoureux une nouvelle aventure. Un scénario à découvrir, s’appréciant de plus en plus au fil des heures, tel un bon bouquin, et qui saura tenir en haleine plus d’un joueur. En espérant que ce n’est bien que le début d’une trilogie qui nous amènerait à parcourir plus ouvertement les terres Isériennes…

[accordion style= »2″ initial= »2″]
[accordion_item title= »Version PS3 : Qu’en est-il ? »]

Si la version critiquée est la version Xbox 360, nous avons pu également nous attaquer à la version Playstation 3 du titre. Il n’y a pas de minor version : les deux se ressemblent énormément. Les seules différences notables sont en faveur de la Xbox 360 puisqu’un aliasing un peu plus insistant se fait présent sur PS3 et les textures affichent un temps d’affichage un chouïa plus long. En revanche, aucune différence en matière de contenu ou de bonus : le jeu se suffisant à lui-même et n’étant pas suffisamment médiatisé pour avoir une réelle politique de DLC exclusifs, et même de DLC tout court. Les deux versions console se valent donc réellement.

[/accordion_item]
[/accordion]