Seul contre tous

Premier long métrage du réalisateur, Seul contre tous fut récompensé par le prix de la semaine de la critique lors du 51éme festival de Cannes. Le film a fait le tour de différentes manifestations cinématographiques en laissant derrière lui une forte impression au vue du nombre de prix raflés, huit au total.

Après six ans de dur labeur où il vit les différentes chaines de télévisions lui refuser les fonds nécessaires au financement du projet, seul Canal + a fourni une participation, Gaspar Noé voit donc ses efforts récompensés en 1999.

Considéré comme le prolongement de son moyen-métrage Carne, Seul contre tous transpire d’une énergie singulière et peu commune dans le cinéma français.

 

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Avec son pitch de drame social classique, Gaspar Noé aurait pu livrer un film conformiste où l’apparent pessimisme de départ se dissiperait peu à peu afin de se conclure sur un happy-end dégoulinant de bons sentiments écœurants. Fort heureusement, l’auteur n’est pas homme à respecter les conventions établies et cela est évident dès les premières scènes.

Optant pour une économie de dialogues, l’ensemble du récit se positionne du point de vue du boucher et privilégie les monologues de ce protagoniste plutôt que les interactions avec les autres personnages. L’adoption de ce point de vue interne permet de mieux comprendre la psyché de cet homme au bout du rouleau et les dualités qu’il rencontre à différents moments du récit.

 

Loin de faire de son anti-héros quelqu’un dénué de morale, Gaspar Noé préfère choisir un être d’apparence banal ayant des principes mais dont la descente aux enfers qu’il va vivre va venir les remettre en cause. Tirailler entre sa conscience, son instinct de survie et son honneur, le boucher sombre peu à peu dans un processus de mauvais choix dont rien ne semble pouvoir l’arrêter.

Afin de mieux souligner ce parcours marginal, le réalisateur opte pour un grain d’images conférant un aspect proche du documentaire avec une prédominance des couleurs rouge et orange. Le réalisme est ainsi décuplé et confère au spectateur les rôles de voyeur et de confident. Nombreux sont les moments où le personnage principal déambule ou est plongé dans ses pensées. Heureusement, notre rôle consistant à être à son écoute nous évite de longs moments silencieux. Pour autant, les personnes allergiques aux monologues d’un être aigri et colérique risquent de ne pas apprécier les choix narratifs du réalisateur.

 

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Niveau casting, Philippe Nahon porte à lui seul le film grâce à sa prestation parfaite de ce boucher torturé. Avec plus d’une centaine de rôles dans le milieu cinématographique, l’acteur est pourtant injustement méconnu. Ainsi, le voir endosser le rôle principal est un choix judicieux et payant. Le fait d’attribuer le reste des personnages à des acteurs peu ou pas connus renforce le réalisme de l’œuvre et permet de la rendre d’autant plus crédible.

 

Maîtrisé de bout en bout, on est complètement hypnotisé par les événements se déroulant sous nos yeux. Il nous est impossible de prévoir comment va se comporter le protagoniste ce qui nous met dans une tension constante, craignant qu’à chaque instant la situation vire au drame.

Un parti pris important du réalisateur est sa volonté de miser sur une violence plus psychologique que physique. D’une part pour installer un malaise constant et d’une autre pour décupler l’impact de la violence graphique lorsqu’elle intervient. Pour autant, l’auteur ne cherche pas à épargner son auditoire bien au contraire, malgré le peu d’hémoglobines déversées, Gaspar Noé n’a de cesse de provoquer le spectateur via des effets de mise en scène brut ayant pour but de capter l’attention voire de provoquer son public.

 

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Au final, Seul contre tous est un électron libre au sein d’une industrie cinématographique française trop frileuse pour oser suivre ce genre de voie. Pour autant, le réalisateur continue de suivre sa voix, refusant de se plier aux règles établies et est conforté par les réactions divisées que provoquent chacune de ses œuvres. En résulte Irréversible et Enter the void, deux œuvres singulières et puissantes.

Des hommes qui ont des couilles et qui vont jusqu’au bout de leurs concepts voilà ce qu’à besoin le cinéma français. Gaspar Noé fait partie de cette catégorie et cela depuis le début !

 

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  1. Bonjour,
    Bof, la fin est ambigüe : Était-il vraiment nécessaire d’intégrer l’inceste dans le scénario ? Un prolétaire au chômage devient-il nécessairement incestueux ? Est-ce une apologie de l’inceste ?
    J’ai lu quelque part que ce film avait pour ambition de choquer la morale bourgeoise, bon, certes, admettons, moi j’avoue sans honte que ce film m’a profondément écœuré, je le trouve particulièrement immonde, et pourtant je suis enfant d’ouvriers. De là à ce qu’on me rétorque que je ne comprends rien à l’art… que la bienséance n’entre pas en ligne de compte… soit, mais l’auteur a revendiqué une intention morale pour son film, il me semble, sauf erreur de ma part, donc la nature de ma « critique » sur ce point me paraît justifiée. (J’ai aimé « Bernie » pourtant très violent, voilà, évidemment certains pourraient dire que Dupontel et Noé ne jouent pas dans la même cour du point de vue technique cinématographique…)
    Merci pour ce site.

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