Film Dragon Ball Super : Pourquoi Broly revient-il ?

[infobox style=’error’ static=’1′]Cet article peut comporter des révélations sur les événements se tenant dans Dragon Ball Z et Dragon Ball Super. [/infobox]

9 Juillet 2018, 15 heures, heure de Paris, l’affiche du film Dragon Ball Super devant paraître le 14 Décembre 2018 au Japon aurait fuité. Nous y apercevons les désormais traditionnels Son Goku et Vegeta en Super Saiyans Blue, en arrière-plan un personnage aux traits proches de ceux de Yamcha – en raison notamment de la balafre sur la joue gauche – en bas de l’affiche les yeux et une aura verte rappelant immanquablement le personnage de Broly, ce que souligne le titre du film : Broly. Tout simplement. Après 25 ans, la Toei décide de rendre Broly canon à la série Dragon Ball Z. Arrêtons-nous quelques lignes sur cet événement et tentons de comprendre ce qu’il signifie.

Rappelons tout d’abord qui est Broly. Désireuse de surfer sur l’engouement du manga et de l’anime, la Toei se lance dans la production de films liés à l’univers Dragon Ball et Dragon Ball Z. Ces OAV – Original Animation Videos – permettent de donner un peu d’air aux créatifs de la série animée jusque-là cantonnés soit à la reprise de l’histoire d’Akira Toriyama soit à de l’épisode bouche-trou en attendant que le manga rattrape l’anime. Ainsi naissent des personnages tels que Thalès, longtemps présenté comme un second frère de Son Goku – merci à la première VF – Slug, le namek maléfique, ou encore Cooler, le frère de Freezer. Ces méchants désormais emblématiques, même si certains ont été dessinés ou validés par Toriyama, ne trouveront jamais leur place dans la chronologie de Dragon Ball, en raison soit d’incohérences scénaristiques soit du refus pur et simple du créateur de la série. Et si cela convient plutôt bien à tout le monde, en 1993, apparaît sur grand écran “Broly le Légendaire Super-Guerrier”. Son existence s’appuie sur la mythologie du Super-Guerrier introduite par Toriyama à la fin de l’arc Freezer : tous les 1000 ans, un saiyan naît doté d’une force considérable. Elle devait initialement représenter Goku et l’obtention des cheveux dorés, mais l’arc des cyborgs montre que n’importe quel Saiyan peut atteindre ce stade. Ainsi, Takao Koyama, scénariste sur l’anime et Shigeyasu Yamauchi, réalisateur de l’OAV, en profitent pour imaginer et donner vie au personnage de Broly, surpuissant, le temps d’un film, antagoniste dessiné et validé par Akira Toriyama – même s’il ne s’en souvient plus en 2018.

Pour créer cet OAV, l’équipe décide de l’intégrer dans l’arc des cyborgs. La meilleure incrustation se fait au niveau de la semaine précédant le Cell Game, pendant laquelle nos héros s’entraînent normalement tous de leur côté. L’OAV s’inspire également du début de l’arc où l’affrontement face aux cyborgs cache en réalité l’arrivée du véritable ennemi, Cell. L’OAV débute donc sur un mystère : qui est réellement ce guerrier légendaire soi-disant aperçu sur différentes planètes ? Le spectateur sait, mais il suit avec assiduité l’enquête de Son Goku, Krilin et Son Gohan. Et cette progression vers la vérité trouve pour point culminant la transformation de Broly en guerrier légendaire. Malgré la faible durée du film – en comparaison d’un arc de la série, on s’entend, car c’était le film le plus long à sa sortie – Shigeyasu Yamauchi et son équipe réussissent tout de même à insuffler une véritable personnalité au personnage. Introverti et effacé au début, il devient particulièrement bavard passé le tiers du film, au point de nous révéler toute sa cruauté et sa folie. Pulvérisant une planète en une fraction de seconde, n’hésitant pas tuer son père et sûr de sa force, la personnalité et le charisme du personnage – fier d’un design il faut l’avouer brillant, nous y reviendrons – trouve vite les faveurs du public et s’inscrit très vite dans la liste des plus grands méchants de la série, sans souci, aux côtés, à l’époque, d’un Freezer ou d’un Cell. Les équipes en sont conscientes et ne tardent d’ailleurs pas à produire deux suites dès l’année suivante, Le Retour de Broly et Bio-Broly, qui ne trouveront pas du tout le même écho. Évidemment : la personnalité si marqué du personnage disparaît complètement au profit de “simples” combats. C’est oublier tout ce qui fait le sel du personnage. Car Broly est avant tout un personnage avant d’être un adversaire.

Sa prodigieuse force fut révélée dès sa naissance, écrasant celle de Son Goku son pleurnichard voisin de couvée mais également celle du prince Vegeta, pourtant précoce. Poignardé par le roi Vegeta – l’une des scènes les plus violentes de Dragon Ball, mine de rien – Broly réussit tout de même à se sauver, alors qu’âgé de quelques mois, en emmenant son père, de la planète Vegeta détruite par Freezer. Conscient de sa force, et forcément légèrement esquinté par ce passé, Broly a du mal à se canaliser et aime se laisser envahir par sa haine en éradiquant des peuples entiers. Son père, Paragus, heureusement, réussit à le canaliser via un serre-tête, commandé à distance, afin d’éviter ses accès de colère. Broly est donc la majorité du temps très calme, au service de son père ; jusqu’à ce qu’il recroise Goku pour qui il voue désormais une haine bien gravée. Pas de coup bas à la Freezer, pas de fair-play à la Cell, Broly est une boule de nerf : il détruit la planète des esclaves de son père pour leur priver tout espoir, il s’en prend à Son Gohan pour atteindre psychologiquement Goku, il n’hésite pas à tuer Paragus qui s’enfuit, effrayé par ce qu’est devenu son fils. “Je suis un vrai démon”. C’est un combat désespéré qui s’enclenche sous nos yeux, où le sang pur de Végéta le met à genou avant même d’avoir essayer de porter un coup : il ne peut pas le battre.

Monstrueux. Et c’est bien là que toute la crainte se situe. Comment la nouvelle philosophie de Super va-t-elle pouvoir restituer celle de Broly ? Dragon Ball Super nous a montré que le traitement des personnages était loin d’être aussi dur dans Super que dans Z. La Toei s’est fortement adoucie au fil des années. Comparez le Goku face à Cell ou lorsqu’il apprend la (fausse) mort de Gohan à celui de Super, comparez Majin Végéta à celui de Super, comparez le Gohan face à Cell ou Buu et celui de Super. L’intégralité des personnages ont évolué pour être plus lisses, plus à même de plaire à un jeune public ; même l’arc de Trunks du futur façon Super, probablement le meilleur de Super, n’atteint jamais l’intensité de son équivalent dans Z. Telle est la nouvelle orientation donnée à Dragon Ball. Cette orientation sera-t-elle à même d’offrir autant de sérieux ? Rien n’est moins sûr. En 131 épisodes, seul Zamasu a su s’approcher du statut de méchant, tandis que les plus costauds bad guys du passé deviennent les amis de demain. Ce lissage se ressent également dans les difficultés pour atteindre telle ou telle transformation ou le design des personnages, beaucoup moins marqués que par le passé. Les transformations fusent tel le remède miracle pour symboliser une montée en puissance. Quel que soit le héros, le trait se veut plus simple, comme si les équipes tentaient de rajeunir un peu toute l’équipe et faire oublier que les darons du groupe ont dépassé la quarantaine.

Alors qu’en face, la production de l’OAV Broly originel s’était permis une musculature et une taille écrasant n’importe quel autre saiyan, à tel point qu’il est capable de tenir la tête de Son Goku dans sa main droite sans problème. Chevelure verte écarlate, ornements dorés, traits très fins, yeux sans pupilles, Broly en impose, et est le seul détenteur de l’aura verte, singularité du guerrier légendaire. Les fans auront tout de même remarqué un petit air entre Broly et la transformation de Trunks en Super Sayajin 2 – c’en est presque à se demander qui a inspiré qui. Profitant de la dimension animée, les responsables-son se sont, qui plus est, permis de lui attribuer une liste de bruitages parfaitement distinctifs, que ce soit ses pas ou ses boules d’énergie qu’ils ne réutiliseront jamais dans le reste des OAV ou la série, finissant d’entériner le statut unique et marquant de Broly. Tandis qu’un être aussi important que Jiren paraissait si simple ? Tandis que les autres antagonistes de Super ne sont que des vestiges du passé : un Black Goku par définition identique à Son Goku à la couleur de cheveux près et Freezer doré. Comment pareil personnage saura tirer son épingle de la série ? Le trailer de la Comic-con nous dévoile un saiyan de la taille de Goku et Végéta, tous deux Blue, capable de leur tenir tête non transformé. Et dès ce trailer nous pouvons nous rendre compte que la Toei semble le rendre plus moins imposant que sa version originelle. Est-ce pour les mêmes raisons que les transformations God et Blue ? Rappelons-le : ces flemmardes transformations ne sont là que pour faciliter le travail des dessinateurs, celle du Super Sayajin 3 étant considérée comme trop chronophage et il n’était pas question de s’orienter vers celles du vilain petit canard GT.

Pourquoi ramener un personnage et en changer sa psychologie et son histoire ? Pour participer à la course à la puissance requise dans Dragon Ball Super. Il faut bien voir qu’au sortir du tournoi des univers, il était difficile d’imaginer encore plus de puissance chez nos Saiyans, mis à part peut-être un Ultra Instinct enfin maîtrisé. Il fallait donc un ennemi d’une puissance infinie, qui intrigue et capable d’amener les héros à se surpasser une fois encore. Le nombre de débats sur la toile sur la réelle puissance de Broly a dû mettre la puce à l’oreille de l’équipe qu’il y avait un boulevard à le récupérer. Dès l’OAV de 1993, et confirmé pendant celui de la Comic Con, la montée en puissance permanente de Broly – véritable singularité de la série puisque chacun évolue par palier – va permettre de jouer au yoyo assez facilement. En un seul film ? Oh non, plutôt un arc à part entière juste derrière.

Modifier l’histoire de Broly n’est pas un acte anodin : en l’intégrant définitivement dans la série et en le rapprochant de personnages tels que Freezer, c’est tout un pan de l’Histoire Dragon Ball que la Toei s’ouvre. Les origines des saiyans et de leurs pouvoirs, leur disparition et leurs ambitions. Rappelons que nous apprenons par Radditz, au début de Dragon Ball Z, que de très nombreux enfants Saiyans étaient envoyés aux quarts coins de l’univers pour y détruire des planètes et/ou asservir leurs populations. Nous découvrons des personnages pourtant clés tels que le Roi Végéta. Bardock, présent dans le film du même nom, sera rendu canon plus tard – le seul film à l’être – par Akira Toriyama et un très court chapitre final dans le manga Jaco. Toujours pendant cet arc, nous apprenons l’existence du Super Saiyan légendaire, qui nait tous les mille ans. Il paraît désormais évident que le prochain arc de Dragon Ball Super va s’appesantir sur les origines Saiyans et mettre en Némésis le seul Saiyan à la puissance en perpétuelle augmentation semble être un choix de raison.

Et puis, ne cachons pas l’argument du fan service. Des passionnés ont d’ores et déjà planché sur les similitudes et les différences entre ce nouveau Broly et l’ancien dès le lendemain de la diffusion du trailer de la Comic-Con. Ce n’est pas pour rien, non plus, que le personnage de Broly ait été repris tant de fois dans des jeux vidéo adaptés de la série, à chaque fois soucieux de faire plaisir aux fans. Les développeurs se sont même régulièrement amusés à le proposer en personnage caché ou, désormais, DLC, voire à lui offrir des pouvoirs supplémentaires : Super Saiyajin 3 dans Dragon Ball Z Raging Blast 2 et Super Sayajin 4 dans Dragon Ball Heroes. Une façon de faire vivre le personnage au même titre que les autres, et ne pas le laisser ancrer dans sa première aventure. La Toei se propose donc d’assoir le personnage une première fois le 14 décembre sur un format court et très certainement dans un second temps au travers de plusieurs épisodes comme cela a été déjà été fait pour les 2 premiers arcs de Super. Reste que si la Toei pense pouvoir s’éloigner du mythe originel afin de le sanctifier, elle ne doit pas oublier qu’elle devra justifier l’introvertie Kale, de l’univers 6, qui disposait peu ou prou de la même transformation que Broly version 1993. Mêmes techniques, mêmes bruitages et quelques plans séquences en commun, tout le champ lexical de Broly est revenu lors de la découverte de ce personnage, animant les forums et remettant sur le tapis la question de la canonisation de Broly. Pour la première fois, la mythologie de l’OAV apparaît dans l’anime, un anime reconnu par Akira Toriyama (enfin pour l’instant, nous ne sommes pas à l’abri d’un Dragon Ball GT bis), tel un sondage pour savoir s’il n’y avait pas moyen de relancer le sujet.

Le défi ne sera pas simple. Moins impressionnant visuellement, mais plus crédible, ce nouveau Broly aura la difficile tâche de concilier les fans d’antan et les nouveaux venus, les amoureux de Broly 1993 et ses détracteurs – car il y en a, bien évidemment, mais ce n’est pas le cas de votre serviteur, vous l’aurez compris. Autant dire que ce parcours de funambule ne semble pas taillé pour un tel gabarit. Qui sait, peut-être sommes nous à l’orée d’une nouvelle légende…