Puppeteer

En abordant cette critique, je vais aussi vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent (littéralement) pas avoir connu. Si les jeux de tir de tout poil et à toutes personnes constituent aujourd’hui le genre de référence de la génération PS360, dans les années 1990s cette niche était fermement occupée par les jeux de plates-formes. On ne faisait bien sûr pas encore à l’époque la distinction entre 2D, 3D ou 2,5D, entre action ou aventure, et des notions comme le metroidvania ou le Die & Retry étaient encore en pleine conceptualisation. Exemple récent d’un revival de la plate-forme à l’ancienne qui depuis quelques années fait autant dans l’innovation ingénieuse que dans le recyclage des vieilles gloires, Puppeteer joue à fond la carte du théâtre de marionnettes pour mettre en scène ce que les aspects classiques et modernes du genre proposent de meilleur.

Hallowee Ville

On ne va pas se mentir, l’histoire de Puppeteer est archi-classique : rien ne va plus sur la Lune, la déesse locale ayant été trahie par un ours au dents longues. Mégalomane, ce dernier se sacre Roi Ours de la Lune et fait ce que tous les autres méchants un poil en manque d’inspiration se plaisent à faire : faire régner la terreur, séparer un artefact sacré en plusieurs morceaux confiés à autant de généraux et enlever les âmes d’enfants terriens dans leur sommeil pour les enfermer dans des marionnettes. Le jeune Kutaro subit ce sort peu enviable et se fait décapiter avant même d’être confié aux mains expertes du joueur. Une rencontre avec une sorcière déjantée et un vol de ciseaux magiques plus tard, le voilà parti en quête des morceaux d’artefact sus-nommés pour remettre un peu d’ordre dans tout ce boxon.

Servi par la représentation virtuelle d’un théâtre de marionnettes qui s’inscrit entre les quatre côtés de la télé du salon, Puppeteer met en scène des décors enchanteurs ainsi qu’une trame souvent très imprégnée de merveilleux et de conte de fées. Il n’en aura pas fallu plus pour que certains commentateurs à l’esprit étriqué enferment le jeu dans la case lapidaire « réservé aux tout petits ». Autant le dire tout net : ils ne sauraient avoir plus tord. Et pourtant, réussir à rater le second degré qui imprègne en permanence la narration du jeu, il faut le faire exprès…

Puppeteer Screenshot 1

Certes, le jeu peut évidemment se savourer au premier degré à tout âge, mais un débordement de jeux de mots facétieux et de références à la pop-culture fait émerger un autre niveau de lecture uniquement accessible à un public un peu plus âgé que ce que la caricature voudrait nous faire croire. Les scènes chantées façon Disney finissent par déraper dans la violence et le lancer de lapins innocents. Des personnages qui semblent simplement fantasques au premier abord finissent parfois par révéler un profil aux frontières de la psychopathie. Et le jeu déborde d’allusions à la dynamique interne du théâtre : qu’il s’agisse du narrateur ou du sidekick de Kutaro, on parle en toute simplicité des mauvais acteurs qui surjouent ou des petits problèmes de gestion de personnel, le tout traversant allègrement le quatrième mur. Puppeteer se moque ouvertement du genre enfantin dans lequel on voudrait le contenir et vaut aussi (et surtout) comme une parodie teintée d’affection de ce qu’un joueur aguerri aura connu dans sa jeunesse, un regard pétillant de malice et un peu nostalgique porté sur une époque révolue.

Cet attachement au passé, on le retrouve d’une certaine manière dans la narration de Puppeteer. Même si le titre de Sony est un jeu tout ce qu’il y a de plus moderne, il développe aussi son récit selon une méthode qui présente pas mal d’éléments communs avec les codes de ces jeux de plates-formes d’antan évoqués un peu plus haut dans cette critique. Bien sûr, cette narration d’époque était le plus souvent très sommaire, voire inexistante – l’ancêtre Mario en étant le témoin privilégié. Le plus souvent, mais pas tout le temps : certains jeux plus ambitieux que d’autres ont réussi à l’époque à faire émerger une écriture presque exclusivement vidéoludique qui a pleinement utilisé les rares outils disponibles à l’époque pré-cinématiques : la vue de profil et les mécaniques de gameplay.

Puppeteer Screenshot 2

En marge des tendances narratives actuelles, Puppeteer structure ainsi son aventure à l’ancienne, façon parc à thèmes. La carte globale qui offre au joueur une position de surplomb et qui lui présente le programme des épreuves à venir en miniature, on connaît ça depuis très longtemps. Chacun citera ses coups de cœur rétrospectifs, pour ma part il s’agira des antédiluviens Fire & Ice et Toki. Que cette structuration permette la division de la progression en mondes thématiques, on connaît aussi. Alors que bien des séries de platformers d’antan, de Mario à Demon’s Crest, se plaisaient à décliner les éternels mondes de glace / de feu / souterrain / aquatique / forestier, Puppeteer aime aussi changer radicalement d’atmosphère une fois par acte, brodant des références culturelles très japonaises à des terrains de jeu inspirés d’archétypes de la culture occidentale comme le western, le cinéma comico-horrifique à la Tim Burton ou le film de pirates. C’est toujours curieux de croiser un kraken qui prépare des sushis après avoir rencontré un roi des mers digne de La Petite Sirène de Disney (avec passage chanté à la clé), mais Gavin Moore semble avoir voulu faire de Puppeteer la synthèse de ses influences occidentales et japonaises en une grande œuvre syncrétique débordante d’humour et de bonne humeur. Ce grand écart audacieux ne peut que parler aux trentenaires qui auront grandi et vécu leur jeunesse entre l’animation traditionnelle made in Disney et l’émergence du manga en France dans les années 1990s. On pourrait craindre qu’un tel mélange des genres engendre une sorte de dissonance cognitive, mais miraculeusement il n’en est rien.

Puppeteer Screenshot 3

On retrouve aussi cette structure à l’ancienne à l’échelle des niveaux : chaque acte compte trois « rideaux », chacun constituant une sous-thématique cohérente avec son imagerie propre, ses moments de bravoure, et bien souvent son boss (à l’ancienne, on vous dit). C’est d’ailleurs l’occasion pour le jeu de mettre à profit ses spécificités de gameplay. Puppeteer ne restera pas dans les annales du jeu de plates-formes pour ses sauts calibrés au millimètre, et là n’est pas son but. La mécanique du jeu repose sur l’utilisation des ciseaux magiques de Kutaro qui lui permettent de découper certains éléments du décors et de rester en l’air tant qu’il a quelque chose à tailler en pièces pour le soutenir. Cette base est d’une simplicité enfantine, mais Puppeteer la décline avec tant d’originalité et d’inspiration qu’il prend en permanence le joueur par surprise. Le jeu permet à Kutaro de couper en petits morceaux une sélection improbable d’objets qui permet de confectionner une large variété de niveaux à grand spectacle et de mettre à l’honneur des bossfights impressionnants et imaginatifs.

Puppeteer Screenshot 4

Le jeu jongle également en permanence avec les points de vue et les angles de caméra. Fidèle à la philosophie du théâtre de marionnettes, Puppeteer n’hésite pas à mettre à profit des astuces de mise en scène, à l’image de ces niveaux qui confondent allègrement les limites entre vue de côté et vue de dessus. Les engrenages et les éléments de décor de la machine théâtrale s’animent en permanence et revisitent à leur façon les arrières-plans et les effets de profondeur qu’un Sonic 3 ou un Sonic & Knuckles de la grande époque mettait à l’honneur en usant et en abusant de scrollings différentiels. A l’heure du photoréalisme, Puppeteer va clairement à contre-courant et on pourrait presque imaginer que le jeu exulte à l’idée de se faire le moins réaliste possible en présentant son aventure à travers un filtre théâtral sans concession.

En résulte un univers riche et vivant dont les décors foisonnent de détails avec lesquels le joueur peut interagir par le biais du compagnon de Kutaro. Le stick droit de la manette, plus habitué au contrôle de la caméra de nos jours, permet ici de balader ce dernier librement à l’écran et de farfouiller à l’envi dans les éléments du décor. Ces innombrables petites interactions déclenchent de courtes animations, souvent comiques, qui mettent au jour de nouvelles têtes qui serviront de points de vie en remplaçant celle que Kutaro a perdu au début de l’aventure ou des cristaux qui, une fois amassés par paquets de cent, font gagner au joueur des vies supplémentaires. Ce travail d’exploration des décors pose également les bases d’un très bon multijoueur asymétrique en local dans lequel le premier joueur incarne Kutaro et le deuxième joueur doit en permanence tripoter virtuellement l’écran pour ouvrir le chemin à son compère et découvrir des bonus. A chaque nouvelle tête que collecte Kutaro correspond également un endroit dans un niveau précis où utiliser l’action spéciale qui lui est liée débloque un événement spécial ou la découverte d’un niveau bonus. Il y a toujours quelque chose à découvrir à l’écran et il résulte de cette mécanique une jubilation primaire et tactile quand on joue à Puppeteer, la joie presque enfantine d’expérimenter et de jouer avec un univers qui n’attend que le joueur.

Puppeteer Screenshot 5

Le tout est mis en valeur de belle manière par une réalisation et une esthétique irréprochables. Le petit théâtre de Puppeteer déborde de lumières, d’effets spéciaux et de couleurs et invite au dépaysement. Mais c’est la dimension sonore qui s’illustre tout particulièrement. La bande-son épique du jeu souligne à merveille ses grands moments et le doublage est d’une qualité exceptionnelle, que ce soit en version anglaise ou française. L’histoire est servie par un narrateur truculent aux anecdotes toujours délicieusement à côté de la plaque et une petite équipe d’acteurs qui interprètent avec une réjouissance palpable une galerie de personnages hauts en couleur. Bien loin du côté verbeux d’un Duck Tales Remastered, Puppeteer propose des dialogues qui font mouche (et bien souvent rire).

Finalement, quelques jeux plus ou moins anciens auront été cités au fil de cette critique. Loin d’en être une resucée, ou même une synthèse, Puppeteer est sans doute davantage une sorte d’hommage à l’époque qui les a vu naître, une époque où le jeu vidéo était plus simple et plus immédiat, où on ne parlait pas de cibles rangées par classes d’âge et où le marketing avait une place sans doute bien plus raisonnable. En toute logique le jeu aura fait un four commercial, signe que le monde du jeu vidéo a depuis bien changé. Chacun pourra décider en son âme et conscience si ce changement s’est opéré pour le meilleur, pour le pire, ou tout simplement pour quelque chose de différent. Toujours est-il que Puppeteer offre en plus de son univers foisonnant de vie et de génie une expérience « à l’ancienne ». Aux nostalgiques de l’époque bien sûr, mais également à la génération qui n’a pas connu cette grande époque et qui se voient offrir l’opportunité de goûter à une madeleine de Proust dépourvue des petits archaïsmes désagréables typiques des jeux de l’époque. Et quoiqu’on puisse penser du « c’était mieux avant », on ne m’enlèvera pas de l’idée qu’en cela, le jeu de Gavin Moore et de son équipe aura servi à sa manière l’intérêt général.
collection de tête

  1. Un avis bien passionné d’un jeu que je n’ai pas (encore) pris le temps de finir… Il est bien dommage que Sony n’ait pas davantage marqueté ce jeu qui est totalement sorti en catimini (comme Tereaway), alors qu’ils se sont bien plus appliqués à marteler des pubs pour des titres bien moins pertinents – et qui partagent la même bannière bleue sur leur boite. Surtout qu’un titre comme ça s’adresse à un très très large public… M’enfin, comme pour beaucoup de jeux sur NES ou PlayStation 1/2 (en autres), le titre gagnera une aura culte d’ici quelques années, et figura comme un jeu bien trop sous-estimé.

    1. A l’occasion, je le ramènerai avec ma manettes PS3 quand je passerai par Nantes. D’après ce que j’ai pu tester, le mode deux joueurs est vraiment bien foutu ^^.

      Pour l’aura culte dans quelques années, j’ai comme un doute vu que le jeu a l’air d’être passé totalement inaperçu. Ce qui est dommage, c’est qu’avec les petits soucis financiers de Sony en ce moment, ça ne va pas les encourager à continuer à faire des petits jeux originaux comme ça… Il me semble que c’est Yoshida qui disait que les middle games n’étaient pas assez rentables pour la société. Tout un pan du monde vidéoludique qui a l’air de disparaître de manière lente mais inexorable, malheureusement…

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