Sing Yesterday For Me

Les séries les plus marquantes ne sont pas souvent les plus longues. Certaines arrivent en très peu de volumes à vous posséder et ne daignent vous relâcher de leur étreinte qu’à la toute dernière scène de l’histoire. C’est étrange de voir également que ces séries ont quelque chose de commun avec nous. Un personnage, un événement, un contexte, une pensée. A croire que les auteurs nous connaissent tous personnellement et organisent leurs séries en condensant leurs informations. Bien évidemment, ceci est dû aux clichés et stéréotypes ; pourtant, après la lecture des premiers tomes de Sing Yesterday For Me, il est difficile de penser que Kei Toume ait été assez machiavélique pour établir des personnages communs afin de plaire au plus grand nombre et remporter un succès plus grand. L’impression est tout autre.

Comme toujours, il est intéressant de vous exposer l’histoire pour que vous sachiez à quoi vous attendre.
Le héros, Uozumi. Jeune diplômé, il n’a malheureusement pas réellement réussi son insertion professionnelle, ou plutôt il ne l’a pas réalisée comme il l’espérait. Il travaille dans un convini et ne roule absolument pas sur l’or, ce qui l’obligera à prendre un autre job plus tard. A première vue, il s’agit d’un garçon tout à fait ordinaire. Il ne demande plus grand chose à la vie depuis que sa meilleure amie est partie pour Tokyo. Secrètement amoureux de cette dernière, Uozumi n’a jamais pu réellement avouer ses sentiments. Ils étaient inséparables, s’entendaient à la perfection mais il était tombé dans la case « ami », celle qu’il détestait le plus mais qui lui permettait de la côtoyer quotidiennement. Cela appartenait au passé, depuis 6 mois maintenant. Sa nouvelle petite vie tranquille va pourtant être chamboulée par l’arrivée d’un être pour le moins spécial : Haru.

En nourrissant son corbeau Kansuke, Uozumi va faire la connaissance d’une jeune fille, apparemment lycéenne ou étudiante, et accessoirement propriétaire du dit corbeau. Elle va alors, pour une raison qui restera longtemps inconnue seulement de notre protagoniste, revenir tous les jours à la boutique. De nature expansive, elle est sans cesse en train de rire, de prendre la vie à la légère tout en restant particulièrement mystérieuse quant à sa position sociale et ses activités en dehors du convini. Cet élément perturbateur va alors enfin apporter du rythme dans la vie d’Uozumi. Nul besoin de dire qu’elle en avait rudement besoin puisqu’il restait sur le souvenir de sa meilleure amie. Loin de lui, mais omniprésente dans le cœur. Malgré la distance qu’elle avait mise entre eux, il ne pouvait se permettre de regarder d’autres femmes ou même filles. Son statut de récent diplômé lui permettait de draguer également les étudiantes… mais l’idée ne lui était même pas venue à l’esprit.

Cependant, Shinako va réapparaître dans sa vie. Oui, cette même meilleure amie à qui il n’a jamais pu avouer son amour refait surface. Elle habite non loin de la boutique, depuis 2 mois. En raison de divers événements survenus à Tokyo, elle a décidé de revenir et n’avait encore prévenu personne. Elle était devenue professeur depuis leur dernière rencontre et sévissait dans un lycée de la ville.
Etait-ce le destin qui avait voulu les réunir une fois encore ? Etait-ce le fruit du hasard ? En tout cas, une chose était certaine : une nouvelle chance s’offrait à lui.

L’information suivante est guère surprenante : il se lance enfin. Pour cette femme qu’il n’a jamais appris à aimer puisque l’utopique coup de foudre avait sonné à sa porte. Il se heurta à un mur malheureusement. La question devient alors simple : doit-il rester ami avec elle ou tout simplement l’oublier ? Elle avoue qu’elle espérait reprendre la relation qu’ils avaient avant. Celle qui était si simple, sans question où tout se faisait naturellement entre eux, de manière fusionnelle. Pour Uozumi, même si ces beaux souvenirs le hantaient, leur relation n’était évidemment pas suffisamment fusionnelle. L’épopée de ce triangle amoureux va perdurer pendant au moins les sept premiers tomes. Chaque volume est solidement chargé et découvrir les péripéties de la vie de notre jeune garçon si « ordinaire » est primordial. Nous ne parlerons pas de bonheur, car ce n’est pas ce que l’on ressent à la lecture de Sing Yesterday for Me. Ni de tristesse (sauf à quelques moments réellement « trippants ») mais on ne peut s’empêcher de rattacher tous les éléments décrits par Kei Toume à ses propres expériences personnelles.

Il n’y aura en effet pas seulement ces trois personnages à gérer. Ce sera toute une panoplie d’intervenants qui occuperont le rôle principal durant quelques chapitres. Nous verrons les fantômes de Shinako ressurgir ainsi que ses doutes et ses prises de conscience ; la passion de Haru resplendir et être dévorée aussitôt ou encore les certitudes d’Uozumi transparaître à travers chaque page que vous lirez. Il faut bien voir que Sing Yesterday For Me ne donne aucune leçon et ne transporte aucun réel message. Tout l’intérêt de la série repose en cette absence de morale. L’auteur ne vient pas dispenser la bonne parole. Il ne tente pas de nous convaincre que la vie est belle pour tout le monde et qu’il n’y aura pas de pots cassés. Ne vous attendez pas non plus à lire une comédie romantique inspirée de Love Hina ou Vidéo Gril Aï puisqu’ici vous n’assisterez qu’à des évènements réalistes. Toutes les situations sont crédibles, ancrées dans des environnements quasi réels et l’enchaînement d’évènements ne se déroule pas de manière nécessairement rapprochée.

Nous suivons nos « héros » à travers les semaines et les mois. Ils mènent tous une vie que l’on qualifierait de normale si tant est qu’elle était réelle. Kei Toume s’est donc efforcé de garder un contexte hautement réaliste tout au long de sa série.

Ce côté si proche de nous fait que l’empathie que l’on ressent vis-à-vis d’Uozumi se fait naturellement. Les traits fins et recherchés appliqués aux pages du récit nous confortent dans l’idée que Sing Yesterday For Me n’est pas qu’une « simple » série de plus. En apparence banale, elle recèle un noyau de sentiments que l’on rencontre au moins une fois dans vie. Qu’ils s’agissent des peines d’Haru, de la passion cachée de Minato ou du voile que s’applique Shinako, autant de situations diverses que l’on rattache si facilement à ses propres expériences.

Toute la force du manga, et des œuvres de Toume en général, est de pouvoir s’adresser au commun des mortels. Non grâce à des situations aisées à comprendre ou à un langage peu soutenu et enfantin, tout simplement par son approche des sentiments humains. Si dans la plupart des livres, ils sont présentés via la vision de l’auteur, celui-ci tentant d’orienter le récit, les dialogues ou l’image de façon à orienter les choix du lecteur, ici, rien n’est tenté. Sans non plus toucher du doigt la notion d’objectivité, ce manga nous laisse juger les évènements et réactions, sans aucune influence. Chaque personnage a un vécu, a vu des éléments plus ou moins tragiques (ou heureux) lui arriver. Ils n’abordent donc pas la vie de la même manière. Même si l’histoire garde Uozumi en tant que fil directeur, elle offre la part belle aux autres protagonistes dans le but de les exposer de la meilleure des manières. Le lecteur a alors tous les éléments en main pour prendre partie pour un individu plus qu’un autre. La guerre des gentils et des méchants est bien loin de l’univers décrit et aucun personnage n’a davantage d’arguments qu’un autre. Tous ont leur légitimité et tous les sentiments exposés le sont de manière franche. La plus grande réussite de l’auteur aura été de créer des héros ô combien proches de nous. Ils vivent de petits boulots, ils connaissent des moments de déprime auxquels succèdent certains de bonheur, ils prennent sur eux comme ils peuvent craquer par instant. Rien ne leur semble facile et tous cravachent dur pour mener à bien leur quête du bien-être.



Les chapitres défilent et on se passionne toujours plus pour ces destins à la fois hors du commun mais si proches de nous. Troublante, Sing Yesterday For Me l’est incontestablement. On ne ressort pas cette lecture grandi, ni même satisfait. On est soufflé par la série. On aimerait continuer à suivre ces histoires qui s’entrecroisent. On aimerait connaître l’aboutissement de tous ces efforts et une fin à tous ces pleurs. La série, en cours de publication aussi bien en France qu’au Japon, continue de nous réserver des surprises.
Pour l’heure, et ce sûrement jusqu’au bout, Kei Toume ne porte pas de jugement à ses histoires. Elle les raconte et c’est à nous de réfléchir pour découvrir la meilleure façon de s’en sortir. Le traquenard amoureux auquel on assiste est tout simplement palpitant, si tant est que la description lente et contemplative ne soit pas un frein. Lire la première bulle signifie enchaîner les suivantes jusqu’à la dernière. Je ne peux que vous recommander de vous procurer au plus vite les tomes disponibles. Sing Yesterday For Me est destinée à être une série courte, c’est une évidence mais elle se suffit tellement à elle-même que lui reprocher devient futile. A lire et suivre absolument.

  1. Excellent article. Je ne connaissais pas du tout la série mais tu me donnes une énorme envie de la lire.
    Combien de tomes y a t il en tout?
    La série est terminée?

    1. Heureux de te l’avoir fait découvrir. La série est en cours aussi bien au France (7 tomes) qu’au Japon (8 tomes). Le rythme de parution est très lent puisqu’elle a débuté en 1999 au Japon. L’auteur prend réellement son temps, comme elle le fait déjà dans le récit – l’un des principaux sujets de discorde parmi les lecteurs. ^^

  2. Si prendre son temps est gage de qualité. Je suis preneur. Il faut juste qu’elle puisse terminer son oeuvre avant de mourir. ^^
    Je vais tenter l’experience en tout cas.

  3. Un excellent seinen dont la lecture apprend à être patient avec la publication aléatoire de Madame Toume (on attend patiemment le quatrième tome des Mystères de Taisho depuis quoi, deux ans?). Cela me fait penser que je n’ai pas encore pris le dernier tome! Mais rien ne presse 😀

    Je n’ai pas découvert l’auteur via ce manga mais par « Les Lamentations de l’Agneau », dont l’ambiance et le sujet sont aussi passionnants que dérangeants, et où l’on retrouve ce dessin si caractéristique de la dessinatrice. Un superbe manga, terminé lui par contre, en 7 tomes. A dévorer.

    Pour moi Kei Toume est une actrice incontournable du seinen aux côtés de Naoki Urasawa que je n’ai découvert que récemment avec « Pluto » et Inio Asano dont je suis avec ferveur « Bonne nuit Punpun ».

  4. C’est pas du tout le style de manga qui me tente d’habitude, mais j’essayerai peut-être à l’occasion ne serait-ce que pour découvrir l’auteur dont le nom me dit quelque chose. Merci pour la découverte Vidok ^^.

    1. A ton service. Garde cependant à l’esprit que l’auteur ne fait pas l’unanimité. A l’inverse de Naoki Urasawa que recommande Mizakido… quoique non plus puisque je n’accroche pas au trait de Pluto. :o:

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