Baroque

Les remakes ont la côte auprès des développeurs. A l’heure où le développement d’un jeu coûte des sommes folles, il est de coutume de ressortir ses anciens succès pour les remettre au goût du jour. Grâce aux routines et background déjà existants, les sociétés gagnent énormément de temps. Et comme il est de bon ton de dire que le temps, c’est de l’argent, leurs banquiers se félicitent de ces choix. Pourtant, certaines semblent tout aussi concernées par le plaisir des joueurs, notamment Sting. Responsable Riviera et de Yggdra Union, cette charmante compagnie a décidé de ressortir l’un de ses titres les plus obscurs : Baroque.

Paru en 1996 sur Saturn, et plus tard sur Playstation, Baroque fait figure d’ovni dans le monde du RPG. Il se catalogue d’ailleurs plutôt dans le registre du Dungeon-RPG à la Torneko ou Furai no Shiren. Nous incarnions un jeune homme totalement amnésique et ayant perdu la faculté de parler dans un monde apocalyptique. Un gigantesque désastre a eu lieu le 14 Mai 2032 : une vague de chaleur, apparemment naturelle, a tout dévasté, sur Terre ne laissant qu’amas de ruines et êtres difformes. Le Blaze, comme nous l’appelons désormais, a amené les habitants de la planète à se transformer petit à petit, oubliant la plupart des faits passés. Baroque nous propose de prendre les commandes du fameux jeune homme au sein d’une ville habitée par ces dits êtres. Toutefois, très vite, un personnage, se faisant passer pour un archange, apparaît à l’orée de la cité et nous confie la mission de purifier Dieu. Si le monde est dans cet état, ce serait entièrement la faute du Dieu enfermé au dernier sous-sol de la tour Neuro. Armé de l’angelic – un fusil pouvant purifier n’importe quelle entité –, nous voilà fonçant en direction de cette tour. Tel était le script de départ de Baroque et tel est toujours le script de Baroque. Les développeurs n’ont rien changé à cette histoire qui laisse la part belle à l’interprétation et à l’imagination. Le scénario ne nous donne jamais la vérité sur les multiples événements survenant dans le jeu, seulement des clés. A nous de nous faire notre propre histoire, notre propre version des faits. Ce concept est soutenu par une réalisation et un gameplay tout aussi déroutants que lui, qui font la réelle spécificité de Baroque.

A l’image des Dungeon-RPG old school, le titre de Sting se jouait en vue subjective, dans le but d’accroître l’immersion. Douze ans plus tard, celle-ci est toujours présente mais partage la scène avec une vue à la troisième personne plus encline à attirer de nouveaux joueurs. C’est à chacun d’opter pour la vision qu’il préfère. Les deux sont tout à fait jouables et il est évident que nous suons davantage situés dans les yeux du héros. Ce n’est pas pour rien que ce titre peut être considéré comme un Survival RPG. Chaque seconde passée dans le monde de Baroque nous coûte des VT (points de vitalité) qui, une fois à zéro, laissent la barre de vie se gangréner. Il faut donc faire très attention aux deux jauges en haut à gauche de l’écran sous peine de mourir sans l’aide de personne. Ce qui n’est, par ailleurs, pas si simple tellement la tour Neuro regorge d’ennemis en tout genre. Les Meta-Beings, de leur petit nom. Ces êtres abjects sont ce qu’il reste de certaines formes de vie suite au Blaze. Horribles, répugnants, au design parfois absurde, ils n’ont de cesse de nous poursuivre dans les étages de la tour à partir du moment où ils nous ont repérés. De multiples espèces existent et toutes ont leur particularité et leurs rituels. Il est donc important de connaître leur manière d’attaquer pour éviter d’inutiles dégâts. D’autant plus que le système de jeu est plus que rigide. Toujours dans le souci d’offrir aux joueurs une aventure intense, Sting s’est arrangé pour restituer le gameplay d’antan. Quelque soit la vue choisie, le personnage garde sa rigueur, et ce, dans chacun de ses mouvements. Appuyer ou maintenir B permet de frapper plus ou moins fort et, en faisant tourner la wiimote, nous pouvons exécuter une attaque spéciale. Aucune autre technique ne vient se greffer aux commandes au cours de l’aventure. Seuls certains objets peuvent occasionner davantage de dégâts aux adversaires. Le héros n’est pas une machine de guerre, par conséquent, ses coups restent relativement lents, d’où l’importance de connaître les schémas d’attaque de l’ennemi pour économiser nos HP (points de vie).

Le dégoût que peut occasionner Baroque chez certains tient dans son principe de jeu. Tout d’abord, il s’agit, comme nous le disions plus haut, d’un Dungeon-RPG avec tout ce que cela implique : décors et actions redondants, niveaux générés aléatoirement, ambiance assez sombre et une gestion d’inventaire très exigeante (pas plus de 20 objets stockés en même temps). Là où Baroque se veut encore plus déstabilisant, c’est qu’il est impossible de quitter la tour Neuro une fois que nous y sommes entrés. La seule façon de revenir en ville est soit de mourir, soit de purifier Dieu. Eh oui, dans Baroque, la mort n’est pas synonyme de Game Over, bien au contraire. La mort fait avancer l’histoire, mais redémarrer au level 1 en perdant donc tous nos objets et notre expérience. Le seul moyen de conserver certains artefacts – au maximum cinq – est de les envoyer au collectionneur en ville, via des orbes disséminés dans la tour. Mais, alors que vous revivez, de nouvelles scènes se débloquent, de nouveaux personnages arrivent et le scénario s’éclaircit petit à petit. A défaut de tout nous révéler, l’histoire nous donne des indices pour tous les mystères qui parsèment le jeu, y compris sur notre faculté de revenir à la vie. Et c’est en cela que Baroque est fascinant : il offre une façon de jouer très personnelle. Aucun joueur ne découvrira les scènes dans le même ordre, aucun joueur ne fera les mêmes niveaux (puisque générés aléatoirement à chaque entrée dans la tour), aucun ne vivra l’aventure de la même manière et presqu’aucun joueur n’aura forcément la même vision du scénario. Le titre du jeu n’a pas été choisi au hasard : il permet une liberté d’action rarement atteinte dans un soft du genre, à tel point que les premières minutes, voire heures, de jeu, sont effrayantes. Sans savoir réellement quoi faire, nous errons dans la cité puis dans la tour, fatalement perdus, tandis que les jauges de santé se vident inexorablement. Et puis, après quelques morts, le concept commence à prendre forme et, au fil des rencontres et découvertes, le scénario s’épaissit. Le background de Baroque devient incroyablement riche si tant est que l’on s’y intéresse.

En regardant les images qui arpentent cette page, il est évident que des souvenirs de Silent Hill, Project Zero ou Rule of Rose vous reviennent. Ce petit grain tout à fait caractéristique de ces jeux se retrouve dans Baroque et sert admirablement l’ambiance du jeu, appuyée par des couleurs tout à fait en adéquation avec l’univers. La ville paraît crier à l’aide au beau milieu de ces volutes de poussière rouillée. La tour, quant à elle, présente aussi bien un côté organique très dérangeant dans certains étages pour s’orienter vers un aspect métallique dans d’autres. Il est évident que Baroque n’est pas le summum de la beauté technique sur Wii. La console de Nintendo a vu passer bien mieux, même dans le genre grâce à Chocobo’s Dungeon. Les textures sont très simples, les ennemis ne regorgent pas de millions de polygones et les personnages arborent des habits et modélisations finalement assez sommaires. Mais Baroque pourrait être le fer de lance d’un des slogans de la Wii : « il n’y a pas que les graphismes qui comptent ». En effet, ici, ce n’est pas la performance technique qui importe, mais bel et bien la performance esthétique. Le design, très particulier du jeu, constitue une véritable curiosité à lui tout seul. Les Meta-beings nous étonneront souvent, en bien comme en mal, en raison de leur physique pour le moins inhabituel. En sus, la bande son accompagne à merveille chacun de nos pas. Qu’il était osé de remplacer Masaharu Iwata, compositeur des musiques de Baroque sur Saturn et Playstation. Pourtant, Shigeki Hayashi réussit à réactualiser certaines pistes tout en en apportant de son cru. En résulte une ambiance sonore parfaitement unique. Ce qui est certain, c’est que l’atmosphère de Baroque, à la fois mystérieuse et vicieusement oppressante, ne laisse personne indifférent. Il s’agit d’une des caractéristiques qui peut nous dire si Baroque est fait pour nous ou non. Car c’est une évidence, le soft de Sting ne peut pas faire l’unanimité et ne peut plaire qu’à une minorité de joueurs. Sans compter que le genre du D-RPG est loin d’être au goût de tout le monde en Europe. Bien que des titres fleurissent de plus en plus sous nos latitudes, leur succès commercial est assez mitigé. Autant dire que le pari d’Atlus, éditeur du jeu, est risqué. C’est aux joueurs de récompenser, ou non, ce genre d’initiative.

Sting a réussi à redonner vie à un de ses titres les plus atypiques. Baroque a su marquer une génération de joueurs l’ayant découvert sur consoles 32 bits et sait aujourd’hui leur offrir une aventure tout simplement inoubliable. Malheureusement, malgré les ajustements de maniabilité et de gameplay, le jeu restera très certainement hermétique à la plupart des joueurs. De par sa difficulté absurde, son univers dérangeant et son principe plus que déroutant, il ne se laisse pas dompter par le premier venu. Difficile donc de le conseiller aux amoureux de RPG n’ayant actuellement pas grand-chose à se mettre sous la dent sur Wii. Baroque doit être un coup de cœur. Soit on accroche, soit on déteste. Il n’y a pas de juste milieu. Et le seul moyen de savoir dans quelle catégorie vous vous situez est de repenser à tout ce qui a été écrit plus haut et à bien regarder les photos voire à re-visionner les vidéos. Et si l’univers vous attire, si vous désirez réellement vous plonger dans ce monde de fous, alors tentez le coup. Vous ne devriez pas le regretter, mais ce n’est à faire qu’à cette sine qua non raison.

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