Xenosaga Episode 3 – Also Sprach Zarathustra

Xenosaga 3 Screenshot 07Quitte à faire injure à Final Fantasy XII, Xenosaga 3 est sans doute aussi un des plus beaux jeux de la ludothèque PlayStation 2. Peut-être pas d’un point de vue technique (quoique…), mais assurément d’un point de vue esthétique. Les personnages ont de la gueule. Les méchas et vaisseaux aux lignes futuristes sont designés avec bon goût. Les nombreuses cinématiques d’action (eh, c’est un Xenosaga) sont mises en scène avec un souffle épique qui ne se dément jamais, qu’il s’agisse d’une bataille spatiale ou d’une course-poursuite en milieu futuriste (quitte à parfois faire cracher quelques-unes de ses tripes à la console). Mais ce sont surtout les décors qui impressionnent.



Les décors, et aussi – surtout – un génie de la présentation. J’ai toujours ressenti que le passage du RPG à la full 3D avait fortement amoindri l’impact des univers en laissant le contrôle de la caméra entre les mains du joueur. Il n’y a plus « d’œil » qui mette en valeur un panorama ou qui souligne l’importance d’une structure. Pas de ça avec Xenosaga. Monolith cadre et tire le meilleur de ses angles de vue. C’est sans doute Also Sprach Zarathustra qui a pleinement développé les jeux d’échelles et de perspectives sur lesquels se basera Xenoblade Chronicles.

Il faut dire que l’équipe de Takahashi joue avec les échelles depuis Xenogears. L’apparition d’un contraste entre une échelle micro et une échelle macro doit venir assez naturellement quand on inclue des robots géants à ses jeux. La plupart des donjons se visite à deux niveaux différents, à mesure que l’on quitte ou que l’on réintègre son mécha, et abuse des effets de plongée pour souligner encore le gigantisme des lieux. Cette alternance sert aussi la richesse du gameplay des phases d’exploration en proposant des puzzles qui entremêlent les interventions des humains et celles des châssis de combat. On retrouve aussi ce jeu d’échelles dès qu’on entre dans une ville : les maps fourmillent de détails qui reproduisent avec une minutie pointilliste les lieux que l’on va visiter ou que l’on a visité à l’échelle humaine, parfois un ou deux épisodes plus tôt. Ce travail de construction d’un cadre général, qui remet en contexte des lieux qui sont autant de pièces éparses d’un grand puzzle, permet à Monolith de bâtir la cohérence et la vraisemblance de son univers.

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Et Monolith présente cet univers avec un amour et un souci du détail presque palpables. Also Sprach Zarathustra, c’est l’immersion totale dans un univers de space-opéra avec tout ce que cela suggère de villes immenses, de profondeurs spatiales et d’installations technologiques. Dès que notre groupe de personnages arrive dans un décor futuriste, on pourrait même parler de technopornographie tant la débauche de machines de pointe qui s’activent et s’assemblent a quelque chose de presque indécent. A noter que dans certains beaux passages, Xenosaga 3 n’hésite pas non plus à offrir la variété rafraichissante d’une forêt luxuriante ou d’un complexe de ruines mystérieuses. Cette profusion de détails contribue également à la narration : Monolith nous raconte son univers plus ou moins directement à l’aide de mille et un petits éléments de décor, que ces derniers soient interactifs ou non. C’est aussi ici que les jeux de perspectives cités un peu plus haut interviennent.

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Ce troisième épisode arrive à exploiter et à mettre en valeur les décors, horizons et arrière-plans comme rarement, allant jusqu’à en faire des composantes actives et indispensables de la narration. Il suffit au jeu d’un changement d’angle de vue ou d’un traveling pour inspirer des émotions au joueur, installer une atmosphère ou révéler une information capitale. Sur ce point, le troisième épisode s’appuie beaucoup sur les lieux présentés dans les deux jeux qui l’ont précédé et renforce encore un peu plus la continuité de la saga en construisant un lexique architectural qui s’auto-référence sans cesse, chaque lieu majeur ayant acquis au fil des épisodes un sens et une résonance. Il suffit par exemple qu’un bâtiment au traits connus apparaisse au détour d’un angle de caméra dans un arrière-plan pour qu’on découvre sur quelle planète inconnue notre groupe a été projeté. Et il n’est d’ailleurs pas rare qu’un lieu redécouvert sous un nouvel angle révèle par la même occasion son lot de nouveaux secrets. De la même manière, quand un lieu qu’on visité et revisité dans les deux premiers épisodes devient un champ de bataille, c’est la familiarité née de plusieurs dizaines d’heures de jeu qui donne autant de poids à l’horreur des événements. Ces petits moments de grâce sont fréquents dans Also Sprach Zarathustra.

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L’Episode 3 permettra aussi à Yuki Kajiura de prendre son envol après avoir été cantonnée aux scènes cinématiques dans l’Episode 2. Sa musique est véritablement magistrale, multipliant les styles (jazzy, électronique, symphonique) comme les ambiances (mystique, épique, sentimentale). La compositrice semble douée dans tous les domaines, avec une dimension vocale primordiale et omniprésente en guise de fil directeur éthéré. Là encore, le travail sur la continuité est total : des « fils musicaux » tissés au gré des épisodes renvoient à des événements-clés du passé, chaque nouvelle variation d’une piste apportant ses nuances particulières en termes d’ambiance ou d’émotion. Ainsi, des touches de Song of Nephilim (hérité de la partition de Yasunori Mitsuda pour le premier épisode) parsemées çà et là peuvent rappeler la menace Gnosis aux bons souvenirs du joueur, comme une nouvelle version ambiante d’Assault (issue de l’OST de Jenseits Von Gut und Böse) souligne avec talent l’inexorabilité d’un conflit dans lequel les personnages sont plongés bien malgré eux.

Alors que j’écris ces lignes, nous sommes en 2015. Aujourd’hui, le paysage du RPG nippon évoque un champ de ruines stérile et dévasté d’où émergent quelques Tales of sans grande profondeur. Les gros éditeurs d’antan se sont définitivement perdus, naviguant à vue entre ouverture à l’Occident et tapinage du côté des smartphones. Quelques trop rares perles continuent à sortir, mais on peut se demander où est passé cet espace d’expression et d’évasion d’une vivacité incroyable qu’a été le RPG japonais. Une partie se retrouve sans doute chez les indés. En rejouant à Xenosaga 3 presque dix ans (déjà…) après sa sortie, je ne peux m’empêcher de me dire que notre média manque cruellement d’une voix japonaise qui évoquerait elle aussi la politique, la religion et la philosophie ou qui nous ferait partager le destin et les interrogations de personnages d’une grande humanité. Et tout ça en proposant un gameplay de qualité pour ne rien gâcher. Toutes ces choses, Xenosaga 3 nous les offre avec générosité. Je vous le disais : ce jeu est un monument, d’autant plus précieux pour notre patrimoine vidéoludique qu’on semble en avoir définitivement perdu le moule.

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  1. Très bonne critique cher Hyades! Ce jeu est vraiment un monument.. Et c’est vrai que cela se fait de plus en plus rare dans le RPG nippon..
    Quasiment 10 ans déjà depuis la sortie.. Et dans son genre, il est loin d’être surpassé!

  2. Je partage totalement l’avis de cette critique, Xenosaga 3 est un des meilleurs JRPG de la ps2 si ce n’est le meilleur, je l’ai fini il y a moins de 15 jours et même si je suis resté sur ma faim, la saga de Takahashi est un des délires les plus fou, cohérent que j’ai pu lire niveau ! Le background est phénoménal, les persos tous intéressants et Dieu sait que j’aimerais une suite qui pourrait répondre à toutes les questions en suspens.

    Bref il y a tant à dire sur Xenosaga 3.

    D’ailleurs pour faire simple, après avoir fait tout les jeux du bonhomme, il est à mes la personne la plus intéressante du JV Japonais et Xenoblade Chronicles X est le jeu que j’attends le plus cette année.

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