Silent Hill Downpour

Véritable alternative à la série des Resident Evil, Silent Hill a su marquer les esprits grâce à un univers et une ambiance encore jamais vus auparavant sur console. Un univers parfaitement restitué dans les volets Playstation 2 qui se sont révélés être les cadors de la série. Malheureusement, Konami, comme beaucoup d’autres studios japonais, a eu du mal à franchir le cap des consoles HD et, de peur d’échouer devant la concurrence occidentale, s’est remise à des développeurs américains et européens. Climax, dans un premier temps, au travers de Silent Hill Origins, puis Shattered Memories, et Double Helix pour l’épisode Homecoming, premier volet sur support HD. Décevant à plus d’un titre en raison notamment de non-sens et d’une orientation action bien mal venue, il a semé un froid sur une grande partie de la communauté. Pour redorer le blason de sa série, plutôt que reprendre son développement en interne, Konami confie le volet suivant au jeune studio tchèque Vatra Games. Avec une telle pression sur les épaules, le pari était risqué, mais pas impossible à relever…

A l’image des premiers épisodes, vous vous retrouvez dans la peau d’un héros pour le moins ordinaire, Murphy Pendleton. Parfaitement ordinaire ? Pas tout à fait puisqu’il séjourne depuis quelque temps en prison. Au cours d’un transfert réalisé sous un puissant orage et une pluie battante, le fourgon sort de la route et s’échoue en forêt, près d’un cours d’eau. Murphy se réveille, peu de temps après, seul. Pas de l’ombre d’une trace des autres prisonniers et encore moins d’Anne-Marie Cunningham, le garde. L’aventure de Murphy ne débute donc pas à Silent Hill, et il faut attendre quelques heures de jeu avant de pouvoir s’y rendre. Les premiers pas se font en extérieur, dans un coin que n’auraient pas renié les gars de Remedy pour Alan Wake. Les similitudes pointées par les premières photos diffusées pouvaient nous faire craindre un hommage un peu trop appuyé. Pourtant les lieux prennent très vite une identité propre, d’ailleurs plus proche de celles des trois premiers volets de la série que de celle de Homecoming. Un visuel relativement simple mais extrêmement dérangeant. Le brouillard est de retour ; et contrairement au honteux Silent Hill HD Collection, celui-ci est suffisamment opaque pour ne pas afficher l’envers du décor. Murphy visitera une forêt, des grottes, et autres stations services pouvant se trouver sur son chemin, mais surtout la ville de Silent Hill. Son étouffante atmosphère est bel et bien de retour : routes ravagées, maisons condamnées et ruelles austères répondent présent. D’ailleurs, les développeurs ne se sont pas contentés de reprendre la carte de la ville et de vous y imposer un parcours. Désormais, la ville est pour ainsi dire complètement ouverte. C’en est d’ailleurs pour le moins troublant au départ puisque le chemin n’est nullement indiqué et les bifurcations nombreuses.

La principale différence entre ce Downpour et les précédents tient en effet dans son impressionnante liberté lors de l’arrivée à Silent Hill. La traditionnelle carte de la série est heureusement là, carte sur laquelle l’intégralité des énigmes laissées en suspens, portes (ouvertes comme fermées), et objectifs sont automatiquement inscrits au fil de l’eau. Et des énigmes, ce volet n’en manque pas puisqu’elles sont non seulement présentes au cours de l’intrigue principale mais également dans les très nombreuses quêtes annexes qui parsèment la ville. Pour motiver les joueurs à visiter le moindre recoin de Silent Hill, Vatra a eu la bonne idée d’y créer des trésors valables (munitions en masse, médikits voire armes spéciales) et de proposer des énigmes supplémentaires qui vous demandent pour la plupart un minimum de jugeote. Rien d’aussi mémorable que celle du piano de Silent Hill premier du nom – quoique le niveau de difficulté des énigmes peut être régulé au démarrage de l’aventure, facile, normal ou difficile – mais tout de même capable de freiner l’avancée le temps de quelques minutes, voire dizaines de minutes pour les plus ardues. Certaines quêtes annexes amènent qui plus est vers de véritables nouveaux décors et mini-aventures au sein même du jeu principal. Cerise sur le gâteau : les nombreuses références aux précédents volets se débloquent en farfouillant un peu partout, telle une copie de l’appartement de Henry Townshend (Silent Hill 4 : The Room), des tableaux de Sheperd’s Glend (Silent Hill : Homecoming) ou encore des apparitions de fauteuils roulants (Silent Hill). Contrairement à celles disséminées dans Homecoming, les références de Downpour ne dénaturent pas le sens des éléments. Pas de Pyramid Head sans l’ombre d’une explication.

Le fan sera donc heureux de naviguer en terrain à la fois connu et inédit. Downpour donne par ailleurs l’impression d’avoir été réalisé par une troupe de passionnés de la série tant l’esprit de celle-ci est présente. Que ce soit les intérieurs rappelant fortement ceux de Silent Hill 2, l’épaisseur fort bien respectée du brouillard ou l’arrivée inopinée de PNJ tous plus louches les uns que les autres, … difficile de reprocher quoique ce soit à l’ambiance du jeu, à la fois triste, inquiétante voire horrifique et sacrément sale dès l’entrée dans le monde alternatif. Ce dernier s’ouvre sans prévenir et de manière similaire à celle du film de Christophe Gans, en améliorant tout de même l’effet en passant, donnant l’impression d’une déchirure du décor. Effet aussi impressionnant que réussi qui chamboule totalement la charte graphique du jeu. Dans le monde dit normal, la couleur dominante est sans conteste le bleu, symbole de l’eau, [tooltip content= »Downpour signifie « forte averse » ou « Déluge » en anglais » type= »help »]élément central du jeu[/tooltip]. L’alternatif est versé dans un rouge sale, faisant penser sur la fin à celui de Silent Hill 3. Basé sur des machineries et des environnements carcéraux, il vous mettra souvent aux prises avec une étrange lumière rouge, invincible et persécutrice, demandant alors de fuir à vitesse grand V au beau milieu de dédales fort lugubres. Référence ici à Silent Hill Shattered Memories dont le gameplay nécessitait de prendre la fuite à chaque arrivée dans le monde alternatif, faisant fi de tout combat. Downpour requiert tout de même d’affronter certains ennemis. Malheureusement.

Murphy n’est pas un combattant. Il a beau avoir fait des progrès grâce à ses colocataires du moment, il n’en demeure pas moins un homme assez peu enclin à se battre, c’est pourquoi les affrontements se veulent à la fois simples et gauches. Un bouton pour frapper, un bouton pour se protéger, avec la possibilité de voir sa garde franchie à tout moment, ou son arme détruite sous l’avalanche de coups. Des armes, vous en trouverez absolument partout. Loin d’être avares en la matière, les développeurs ont disséminé une pléthore d’objets en tout genre au travers des décors, du long morceau de bois en passant par la clé à molette sans oublier des bouteilles ou des chaises. En fin d’aventure, les armes à feu feront réellement leur apparition mais leurs munitions limitées n’en feront pas vos armes de prédilection. Les ennemis n’ont donc qu’à bien se tenir. Sauf qu’ils sont extrêmement agressifs et souvent plusieurs à se ruer sur vous en même temps. Intervient alors probablement le plus gros point noir de Downpour : ses combats. Approximatifs et peu passionnants, ils se révèlent souvent très difficiles à gérer. Entre les monstres capables de passer outre votre défense, les bugs de collision, le placement pas toujours judicieux de la caméra et les réactions pataudes de Murphy, les affrontements virent très vite au cauchemar, remplaçant l’éventuelle peur par du stress voire de la colère. Ajoutez à cela des ennemis très peu variés et au design complètement raté, et vous obtenez un système bancal et nuisant quelque peu à l’expérience de jeu. Certes peu nombreux (un trophée propose même d’achever le jeu sans en tuer un seul), les ennemis, à défaut de faire peur, ennuient. L’essentiel du jeu n’est pas là.

L’intérêt principal se situe bien évidemment dans l’ambiance et le scénario du jeu. Et là, le constat est bien plus positif. Du point de vue visuel, comme abordé précédemment, Silent Hill, mais aussi les premiers décors du jeu, sont très bien modélisés. Les effets d’ombre et de lumière sont soignés – avec le rayonnement de la lampe comme barre de vie, appuyée par l’état des habits de Murphy. Downpour propose un graphisme complexe et réussi qui semble fortement pénalisé l’animation, souvent saccadée voire interrompue lors de la sauvegarde automatique ou le chargement de certaines salles passé la première moitié de l’aventure. Un défaut plus que gênant en présence d’adversaires, montrant une maîtrise toute relative de l’Unreal Engine, moteur aisément reconnaissable par le temps d’affichage des textures d’un nouvel environnement. Rien de rédhibitoire mais la jeunesse du studio et peut-être l’inexpérience des développeurs semble ici les rattraper. A l’inverse, le professionnalisme et le talent de Daniel Licht – responsable de la bande son de la série télé Dexter – font plaisir à entendre. Lourde responsabilité que de remplacer l’emblématique Akira Yamaoka, dont la musique était l’une des pièces maitresses de la série des Silent Hill. S’inspirant des travaux du maître tout en y intégrant sa petite touche, Daniel Licht offre un travail tout à fait singulier et troublant. Deux petits regrets sont à noter : l’absence de folie dans les compositions du monde alternatif ne lui permet d’atteindre l’horreur de celui des précédents et la présence de thèmes finaux totalement hors de propos. Mis à part cela, c’est un premier essai concluant pour, vraisemblablement, le nouveau compositeur de la série.

L’esprit Silent Hill est donc bel et bien présent dans ce volet tchèque mais les bons côtés côtoient les moins bons, et ce même au sein de l’histoire : celle-ci s’ouvrant sur une scène pour le moins rare dans un jeu vidéo, elle vous pousse à progresser pour en savoir plus sur Murphy. Qu’a-t-il fait pour en arriver là ? En quoi est-il lié à Silent Hill ? Qui sont réellement les différents PNJ ? Quel est le rapport avec Silent Hill ? Autant de questions qui mettront du temps à trouver des réponses, voire qui n’en trouveront pas même une fois l’aventure bouclée – un peu moins d’une dizaine d’heures de jeu pour l’aventure principale et sûrement le double avec toutes les quêtes annexes, le tout en difficulté normale. Et ce ne sont pas les quelques choix moraux (maladroitement) intégrés au jeu, et repris de Silent Hill Homecoming, qui ajouteront de l’épaisseur à un script certes sympathique mais bien en deçà de celui des précédents. Le dénouement, pourtant présenté au travers de six fins (voire sept si l’on compte l’échec lors de la séquence finale), ne résout jamais réellement tous les mystères, laissant planer suffisamment de doutes pour enflammer quelques débats sur les forums du monde entier. En tout cas, devant ce script pour le moins prometteur, il faut reconnaître une certaine faiblesse des PNJ, à l’impact finalement assez mineur pour certains. Ils ne resteront pas gravés dans les mémoires, mis à part peut-être le facteur, Howard Blackwood, dont la présence est confirmée dans Book of Memories, l’épisode Vita. Tout ceci contribue à diminuer le facteur peur qui est davantage remplacé par le stress à l’approche des combats ou par quelques bruits annonçant un script dans les pas qui suivent, et que vous soyez, seul(e), plongé(e) dans l’obscurité la plus totale ou en charmante compagnie. Downpour n’atteint jamais l’horreur qui a fait connaître la série.

Finalement, Vatra games n’aura pas réussi à se hisser au niveau de la Silent Team, mais propose tout de même un véritable jeu de passionnés au travers de ce Silent Hill Downpour. Les références sont nombreuses et agréablement amenées, l’histoire, sans être parfaite, se laisse suivre et reste dans le haut du panier des derniers Survival Horror sortis sur consoles HD, et l’ambiance reprend tout de même en grande partie ce qui a fait le succès de la série. A côté de cela, la jeunesse de Vatra résonne dans l’irrégularité technique, l’écriture un ton en dessous de celle de la série et ses monstres à côté de la plaque. Le blason de la série est redoré, en attendant un prochain épisode qui corrigerait ces défauts ramenant alors la série sur les rails des épisodes PS2.