Fahrenheit – Avis de LCed

Un développement tumultueux très médiatisé, un changement d’éditeur, une confirmation attendue après un The Nomad Soul qui avait fait son petit effet. Fahrenheit bénéficiait donc de bonnes conditions pour s’imposer, portant avec lui un bon lot de concepts proposés par un David Cage déjà très prolixe à cette époque. Les teasers, vidéos et autres images de communication promettaient une ambiance intrigante, immersive. Plus que ça : la trame de départ avait tout pour plaire. Je dis ça parce qu’hélas, Quantic Dream commençait déjà l’accumulation de travers qui n’ont jamais été vraiment gommés dans leurs jeux depuis, ce qui est vraiment dommage. Entrons dans le vif du sujet, le froid de l’ambiance et l’étrangeté de cette aventure.

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L’histoire commence sur les chapeaux de roues. Enfin… Juste après un tutoriel de triste mémoire dans lequel David Cage lui-même est modélisé. Il s’adresse au joueur pour lui expliquer qu’une caméra sert à voir, qu’il faut la manipuler avec le stick droit (ou la souris pour un joueur PC). Mais, et ce n’est pas tout ! Car dans Fahrenheit, je cite, « Vous n’allez pas faire que regarder, mais vous allez aussi agir ». Oui en 2005, il fallait bien un caméo du Lead Designer de Quantic Dream pour nous apprendre cela. Pardonnez mon sarcasme, mais le sérieux de cette séquence, d’emblée, crée une impression assez étrange en préambule de cette aventure.

Nous voilà donc aux commandes de Lucas Kane, un américain lambda qui doit se dépatouiller d’une situation plus qu’embarrassante : il se réveille en découvrant qu’il vient de commettre un meurtre, après avoir perdu connaissance et le contrôle de son corps. Le voilà dans les toilettes d’un bar avec un cadavre sur les bras, quelques litres de sang un peu encombrants. Dans la salle principale, un flic sirote au zinc. Sans réfléchir, il faut cacher les preuves et s’enfuir, le représentant de l’ordre ne tardant pas à montrer des signes de besoins biologiques  à satisfaire. Une fois cette séquence résolue, entrent en scène Carla et Tyler, un couple d’inspecteurs qui vont devoir enquêter sur ce meurtre. De fils en aiguilles, sur les traces du principal suspect Lucas Kane, leurs investigations vont les amener sur des pistes ainsi que vers des complots bien plus amples qu’un simple crime dans les toilettes de ce restaurant.

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Scène après scène, le joueur va incarner Lucas – ses questions, sa quête de vérité – Carla ou Tyler, quant à eux, cherchant à coffrer leur suspect. Le tout dans une ambiance diablement réussie, dans un premier temps. L’idée de cette grande ville qui essuie un hiver très rude, donne un vrai cachet et une véritable consistance à l’atmosphère. L’état d’esprit des protagonistes, leurs expressions sont plutôt bien soulignées par cette évocation basse température. Atmosphère qui profite beaucoup du savoir-faire de Quantic Dream pour nous plonger dans des lieux banals (un bar, un appartement, un commissariat) vraiment crédibles grâce aux détails au sein de l’agencement d’ensemble. L’ennui c’est que cette ambiance va fondre comme neige au soleil à cause d’un scénario doublé d’une écriture qui n’arriveront jamais à concilier leurs ambitions et leur potentiel. Réussissant à noyer par la même occasion l’immersion du début de partie dans une toute petite flaque : ce qu’il va rester du givre prometteur réellement ridiculisé par une somme d’élements, disons-le, carrément fatals. Nom de Dieu, quel gâchis !

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J’ai toujours appelé Fahrenheit le jeu « 50/50 », en référence à l’aspect bancal très symétrique de son scénario. Parce que la première partie du jeu est très immersive, comme dit précédemment. L’espace de quelques heures l’aventure fonctionne très bien grâce à son ambiance de ville caressée par un hiver opaque. Bon, même si la couche vaguement vaudou  s’introduit d’emblée et un peu bizarrement dans cette histoire qui commence par être assez crédible, pendant un bon moment, ça marche.  Je dois même dire que le début de l’épopée est marquant. Pour ma part il s’agissait de la première fois qu’on me mettait dans une situation double : devoir maquiller un meurtre alors que dans une deuxième fenêtre je vois le flic s’approcher de la pièce dans laquelle je suis en train d’essayer de faire disparaître mon merdier. Des moments de tension tel que celui-là mis en scène à la manière de certaines séquences de feu la série 24, font partie des très bonnes idées du titre. Surtout de celles qui sont bien utilisées.

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Mais passée la moitié du jeu, débarque en grande pompe la partie scénaristique la plus fumée, grotesque et absurde de toute l’histoire de Quantic Dream. Dieu sait que David Cage sait nous pondre des agglomérats de couches narratives, de thèmes ou d’idées émotionnelles capables d’aboutir à des cocktails très louches presque malsains. Or dans ce domaine, Fahrenheit est champion. Autant le trip vaudou apparaît plus ou moins crédible dans un premier temps, autant la suite dépasse les sommets du kitsch pompeux des plus nanardesques. Mais contrairement à Beyond Two SoulsFarhenheit vaut le détour pour la rigolade. Involontairement, ce deuxième jeu Quantic Dream finit même par effleurer, bien malgré lui (c’est ce qui rend la chose drôle) des thèmes comme la nécrophilie ou d’autres résultantes improbables issues de mauvais enchaînements scénaristiques agglomérés sans aucune lucidité ni remise en perspective de chaque « plot ». Je laisse aux courageux le plaisir de la découverte car, sérieusement, cela vaut le détour.

Car il y a des idées dans Fahrenheit qui, bonnes sur le papier et trouvant un écho dans l’ambiance générale, amènent des moments bizarres. Celles-ci peuvent vraiment laisser le joueur dans une incompréhension totale. Je parle bien sûr du thème de la folie. Souvent, on ne meurt pas, on devient fou. Enfin, la plupart du temps. L’ennui, c’est qu’on ne perd pas à cause de cette folie uniquement lors des phases d’action ou des moments d’aventure : les dialogues, aussi, influent sur cette jauge de « santé mentale ». En fonction de tel choix lors d’un interrogatoire du héros par un flic, par exemple, selon l’agressivité de l’inspecteur ou bien la tension créée par une question voire une « mauvaise réponse », la jauge de santé mentale peut descendre ou remonter. Sauf que dans certains cas, le bon « cheminement » dans les dialogues va nécessiter de passer par des réponses qui vont engendrer des pertes ou des gains de points de folie, sans qu’il ne soit possible de le prévoir. Sauf qu’on peut commencer cette scène en ayant un capital de santé mentale insuffisamment élevé pour pouvoir résoudre correctement le dialogue. C’est comme ça que je me suis retrouvé à réussir une scène, croyant être bloqué, en ne répondant rien ou en devant prendre les plus mauvaises réponses possibles pour profiter d’une espèce de « clémence » sortie de nulle part du système de jauge, afin de m’en sortir.

On retrouve bien là la patte de l’oncle David : des bonnes idées ici et là, mais pouvant créer des situations absurdes, la faute à un problème de mise en œuvre et d’équilibre. C’est en écrivant ce paragraphe que je me rappelle d’une porte verouillée qui, ne me demandez pas pourquoi, comptait comme une action faisant perdre des points de santé mentale à mon personnage. Vous avez bien lu. Certaines actions complètement anodines peuvent rendre votre personnage fou, ou en tout cas faire s’amenuiser sa jauge de folie. Mon héros a donc sombré dans la folie à cause d’une porte qui ne voulait pas s’ouvrir. Doux souvenir d’un grand moment de gamedesign dont Quantic Dream a le secret. Et encore, Indigo Prophecy (titre américain du sofr) ne constituait que les prémices des méandres d’absurdités vidéoludiques dans lesquels David Cage a l’art de s’empêtrer à coup d’idées toutes plus mal utilisées les unes que les autres.

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Que dire aussi de ce code couleur qui, après quelques heures, peut finir par filer un vrai mal au crâne ? Ces premiers essais de QTE ne relevaient pas d’une mauvaise idée en soi. En revanche, il y a vraiment des moments où le jeu nous demande d’effectuer des actions alors que rien à l’écran ne justifie une quelconque manipulation de la part du joueur (séquence avec la médium). Déjà en 2005 le parti pris de David Cage concernant les actions contextuelles montrait ses limites. Surtout quand les icônes d’indications sont aussi flashy et si peu agréables pour les yeux. Comment ont-il pu définitivement opter pour cette solution ? C’est aussi fatigant pour les yeux que choquant par rapport à l’ambiance graphique de Farenheit. Pour la version Playstation 2 je ne sais pas, mais sur PC ces pastilles lumineuses pouvaient même donner la flemme de lancer le jeu pour poursuivre la partie, c’est dire…

Enfin, la dernière fausse bonne idée est celle de nous faire incarner trois personnages aux motivations si opposées qu’elles s’avèrent incompatibles pour un parti pris aussi tourné vers la participation du spectateur à l’histoire. En effet, quand on joue tour à tour un homme accusé de meurtre cherchant à prouver son innocence et l’inspecteur de police lancé à ses trousses, on a un problème évident d’implication du joueur. Admettons que je m’attache plus à Tyler, le flic. Qu’est ce qui m’empêche de faire foirer tout ce qu’entreprend Lucas quand il essaye de maquiller sa culpabilité ? J’ai essayé ce genre de comportements improbables et le jeu les résoud toujours de manière… disons que c’est du grand n’importe quoi. Je suis d’accord pour dire qu’il faut être vicieux pour tenter ce genre de choses. Mais  la problématique de l’intéractivité a ceci de passionnant que l’enjeu même d’un univers de jeu vidéo réside dans les propriétés de l’ensemble à réagir pour signifier quelque chose au joueur. Peine perdue ici.

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Je me souviens avoir beaucoup espéré de ce Fahrenheit, mais la médiocrité de la deuxième moitié de son scénario plombe avec une maestria déconcertante ce magnifique début très atmosphérique. On avait déjà là les prémices du savoir-faire de Quantic Dream pour sous-exploiter les qualités potentielles d’un jeu. Cette fougue incroyable quand il s’agit d’ aller à fond dans des délires hors de propos qui achèvent l’ensemble avec style et brio. C’est bien là le problème des projets de ce studio, puisque je les ai tous terminé. Une trop grande propension à compter sur cette espèce d’innocence de la découverte du public, sans étudier de manière satisfaisante le potentiel des idées qu’ils proposent. Ils me donnent vraiment l’impression de nier le revers de la médaille ou l’incompatibilité de deux idées bonnes sur le papier, mais complètement foireuses mises ensemble en pratique. Leurs jeux suivants mettrons en évidence, à mes yeux, cette grande faiblesse du studio français au niveau de la conception,disons, des objets qu’ils nous proposent. Sur la voie du progrès de volets en volets, Fahrenheit aurait pu être l’incident mal dosé, celui de l’adolescence un peu bancale et maladroite. Sauf que huit ans plus tard et deux jeux après (Heavy Rain et Beyond Two Souls), force est de constater que ce studio n’est jamais parvenu à combler ses lacunes. Si la technique avance, la conception et l’exécution, elles, demeurent vraiment faibles.

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