Dear Esther

Cher Archaïc,

Il y a bien longtemps que je voulais écrire ce papier. Le manque de temps et surtout l’envie presque maladive de vouloir proposer une prose agréable et consistante m’ont empêché de mener à bien ce petit projet. Mais allez, on se lance. Tant pis des qu’en-dira-t-on quant à la longueur, probablement courte, et la teneur du dit texte. Aujourd’hui, je viens donc te parler d’un des titres qui m’a indéniablement le plus marqué à la fin de l’hiver 2012, et qui restera finalement un de mes favoris pour cette année là. Tout cela dans l’espoir que tu partages les présents paragraphes avec tes attentifs lecteurs, mais cela, je te fais confiance. Allez, discutons un peu, cher Archaïc, de Dear Esther.

Autant débuter par le véritable commencement. Dear Esther était à l’origine un mod gratuit, basé sur le Source Engine, le moteur graphique animant notamment Half Life 2 et les populaires séries que sont les Left 4 Dead et Portal. Fort d’un important accueil de la part de la communauté, les humbles créateurs que sont les imaginatives personnes du studio The Chinese Room, se sont lancés dans une refonte complète du titre pour proposer une version commerciale bien plus aboutie, et ceci avec l’aide de Robert Briscoe, qui avait participé par le passé à la conception de certains niveaux de Mirror’s Edge, ainsi qu’un coup de main (et de cœur) de l’Indie Fund, le projet de remake s’étant légèrement enlisé financièrement. Il me semble d’ailleurs qu’il s’agit du premier titre indépendant soutenu par l’organisme.

Dear Esther donc, c’est l’histoire d’un homme. D’une île, perdue au fin fond de l’Écosse profonde. D’un événement tragique. Nous incarnons cet homme, et commençons à errer avec lui sur ce caillou planté au milieu de l’océan. Puis cette personne commence à discourir. D’Esther. A Esther. Pour Esther. Il continuera, tout au long de son périple, de se parler à lui même, des légendes locales, et d’autres connaissances personnelles. Mais pas question d’en dire plus, car point n’est là le but de la présente feuille de choux. Toujours est-il que ce prenant et touchant récit est narré avec justesse et toujours de manière subjective, invitant le joueur à bien écouter, ainsi qu’à scruter les environnements qui fourmillent de détails qui ne sautent pas forcément aux yeux dès le premier passage. Pas question pour cette œuvre numérique de prendre l’utilisateur par la main, quitte à troubler un peu les habitudes de ce dernier.

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Car finalement, Dear Esther raconte d’avantage des histoires qu’il propose une once de gameplay bien définie, même si ce dernier est bien là, sous la forme de la contemplation et de la réflexion. Pas de flingues, pas de HUD, pas d’action intense? Et alors? Qu’on me trouve un cahier des charges de la manière de concevoir un jeu vidéo que je le balance dans une cheminée crépitante. Le propre du jeu vidéo, c’est de divertir, à travers une interface visuelle et sonore, puis les interactions du joueur. Ici, on se déplace, on regarde, et puis voilà : divertissement. Amusement. Satisfaction. Je ne dis pas que ce genre de soft est cadré pour tout le monde, mais par exemple, nul n’est obligé d’adorer les J-RPG ou les jeux de sport, mais qu’on arrête de coller des codes et des étiquettes sur un média qui veut sans cesse évoluer et proposer une manière de divertir autre qu’à l’accoutumée, et pourquoi pas créer une réflexion plus qu’une montée d’adrénaline ou une performance statistique. Dear Esther n’est pas un jeu? Certes, peut être, mais ne nous attaquons pas au débat au travers de ces lignes.

Puisque le titre de The Chinese Room aime bien faire son cinéma en étant un poil original pour le média, comment cela se passe au niveau visuel et sonore, me diras tu? Car il faut bien accompagner le récit d’une manière ou d’une autre, ce que j’admets volontiers. Et bien autant dire que malgré le poids des années, le développeur a réussi à repousser les limites du Source Engine à un point inimaginable. Le résultat est tout simplement magnifique de beauté. Un pléonasme, assurément, mais bien nécessaire pour décrire le dernier retranchement auquel se situe le moteur de Valve: textures détaillées, effets visuels multiples et émerveillants… Nous avons devant nos yeux une superbe carte postale, remplie de couleurs et de teintes justement choisies, qui dépeignent des décors, partagés entre des grottes et des falaises escarpées, non pas joyeux, mais immensément mélancoliques. Car oui, Dear Esther n’est pas un titre qui donne la pêche, mais s’inscrit plutôt comme le compagnon idéal d’une journée pluvieuse.

Que dire de la partie sonore quand on peut compter sur les indispensables et admirables compositions de Jessica Curry pour accompagner nos cafardeuses balades, avec ces compositions aux instruments à cordes et au piano, qui, même en dehors d’une session, donne encore et toujours des frissons. C’est d’ailleurs génial que l’on retrouve cette talentueuse musicienne dans les bandes originales du nouveau et terrifiant Amnesia : A Machine for Pigs, puis, prochainement, d’Everybody’s Gone to the Rapture, suite spirituelle du présent Dear Esther, prévue exclusivement pour la Playstation 4. Mais je m’égare… Pour note, nous pourrons, en sus, profiter de l’excellente et prenante voix en la personne anglophone du narrateur, bien heureusement sous titrée en français par une équipe de passionnés.

Bien. Pour résumer, Dear Esther constitue, en tout cas pour moi, une triste mais magnifique expérience. Partant avec le parti pris de proposer un gameplay des plus « aériens », le titre écrit par The Chinese Room se focalise d’avantage sur le superbe récit et l’exploration proposés plutôt que de s’enquiller à tenter de proposer un semblant de « jeu » pompé ici ou là. L’histoire est certes courte, mais mérite une grande attention, voir une seconde lecture, rien que pour admirer à nouveau ce caillou dans ses moindres recoins. Reste, enfin, que Dear Esther constitue un des plus pertinent et populaires ambassadeurs d’un courant naissant et encore très (et trop) flou : l’art-game. Mais après, moi, personnellement, je kiffe ce genre de came, si tu veux bien me pardonner l’expression. Ensuite, à chacun de se faire son idée sur la question. A bientôt, en tout cas.

Mizakido

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  1. Ah ah, le qu’en-dira-t-on te dit zut ^^. Sinon, tu as abordé le jeu sous un angle intéressant je trouve. Je dois l’avoir en stock sans avoir trop eu l’occasion d’essayer (comme tant d’autres), mais après m’être rendu compte que j’avais fait une vraie année de fanboy Sony sur PS3 et sur Vita en établissant mon bilan pour 2013, je vais essayer de me forcer à jouer un peu plus sur PC cette année. Ce sera peut-être l’occasion.

    Sinon, tout à fait d’accord avec toi sur le non-débat « jeu vidéo, pas jeu vidéo ? » : au feu !

  2. Alors c’est une très belle déclaration de ce que le jeu a pu te faire ressentir, Miza, et il est vraiment très bien écrit (pour le coup, ton envie de départ devrait être récompensée!)
    Une petite critique de lecteur chiant néanmoins : le fait que tu t’adresses non au jeu, non au lecteur, mais à Archaïc est un brin perturbant (j’avais jamais vu un rédacteur s’adresser à son mag!) Au moins l’originalité de l’article est en accord avec celle du jeu!

    En tout cas bravo!

    1. Oh merci beaucoup 😳
      On dirait que mon objectif est atteint! J’ai voulu en effet expérimenter un truc, quitte à ce que ça soit un peu perturbant (mais en rapport avec le titre du jeu en fait), car je fais des trucs plus conventionnels sinon :mrgreen:

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