Les Fils de l’Homme – Children of Men

Parmi les réalisateurs/producteurs mexicains qui se sont faits une renommée au cours des années 90 (Del Toro, Inarritu et consorts), Alfonso Cuarón a très vite été considéré comme l’un des plus prometteurs. Récompensé en 2001 pour  Y tu mamá también il s’est vu confier la réalisation de Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban. Pour ce qui reste probablement le film le plus abouti de la saga artistiquement parlant, bien que n’ayant pas fait l’unanimité auprès des fans en quête de fidélité de tous les instants quand il s’agit d’adaptations de romans.

En 2006, Cuarón nous propose donc Les Fils de l’Homme. Il s’agit de l’adaptation d’un roman-essai de Phyllis Dorothy James, The Children of Men, publié en 1992. Cette baronne romancière avait livré cette réflexion intéressante et très romancée sur l’avenir de la condition humaine du point de vue de la démographie, alors que l’essentiel de son œuvre sont des romans policiers reconnus.


2021, l’extinction de l’Humanité
L’adaptation de Cuarón de cette vision très pessimiste et pas si lointaine (l’action se déroule en 2021) constitue l’un des univers dystopiques les plus trippants qu’il m’ait été donné de voir. Le scénario est très simple, voire simpliste.

En 2021, l’Humanité a entamé sa phase d’extinction. La faute a une infertilité totale des individus : la population va en diminuant au gré des décès, sans aucun renouvellement démographique. Dans ce Royaume-Uni extrêmement tendu au niveau social, différentes milices, courants idéologiques et partis politiques radicaux se disputent sur le plan des solutions à envisager pour l’avenir, si tant est qu’il y en ait un. Parallèlement, le terrorisme, les guerres et les pandémies sont décrits comme des facteurs déterminants parmi les paramètres ayant conduit à l’extinction inexorable des êtres humains.

Le personnage principal,Theo Faron (Clive Owen) , se trouve dans un café au moment où on annonce la mort de « bébé Diego » à la télévision, le plus jeune être humain connu. La disparition de ce symbole vivant, synonyme d’espoir pour une population dépressive qui a fini par accepter son extinction, est le point de départ du scénario.

Theo, ancien activiste désormais rangé, se fait enlever par les « fishes ». Ce groupe terroriste qui défend les droits des immigrés est dirigé par l’ex-femme de Theo, Julian (Julianne Moore). Les Fishes  proposent à Theo 5000 livres en échange de l’obtention d’un laissez-passer pour Kee (Claire-Hope Ashitey), une jeune africaine. Faisant fonctionner ses relations hautement placées politiquement, Theo parvient à obtenir les documents. Il se voit obligé d’accompagner la jeune fille au premier refuge de l’organisation des « Poissons ». C’est à ce moment-là que Theo apprend que Kee, n’est pas simplement une immigrée et celle-ci lui dévoile pourquoi la milice cherche à la protéger absolument : Kee est la première femme enceinte depuis 18 ans.

Elle lui demande de la protéger et de l’escorter jusqu’à « Renouveau planétaire » un groupe de recherche scientifique qui tente de soigner l’infertilité, secrètement basé aux Açores.  Theo doit accompagner Kee de façon discrète afin d’éviter que personne ne se dispute pour sa coopération, ni les milices, ni le gouvernement. Car il est évident que Kee représenterait un symbole de poids que les différentes idéologies voudront s’approprier pour faire entendre leur discours.

Theo s’enfuit donc de la ferme des « Fishes » avec Kee, et se réfugie chez son ami Jasper, un ancien dessinateur qui vit dans un havre au milieu de la fôret. Ce hippie (campé par un Michael Caine excellent) vit en autarcie avec sa femme et propose à abri à Theo et Kee, le temps d’élaborer une stratégie pour infiltrer un camp de réfugiés afin de pouvoir entrer en contact avec « Renouveau Planétaire. »

De l’art du King shot et de la simplicité

Soyons clairs, de la dimension réflexive de l’essai et des thèmes anthropologiques ou sociologiques potentiels qu’offre le pitch, Alfonso Cuarón n’en fait rien, ou si peu. Et il est impossible de lui en vouloir pour ce choix. Car le film excelle véritablement dans la posture modeste qu’il adopte : proposer un œil réaliste et poignant sur la cavale de Theo et Kee. Et quel œil !

Entre austérité visuelle, environnements dévastés et dépouillés dans une ambiance de guerre civile, photographie cradingue de laquelle émerge de temps en temps une lumière très soignée… On s’y croit vraiment. La prouesse du film réside dans le fait qu’il comporte un certain nombre de séquences filmées à la manière d’un docu-fiction, avec une caméra épaulée et des plans séquences de folies atteignant une intensité qui serrent les tripes et prennent au cœur. S’il y a bien un film qui justifie la méthode d’élaboration de séquences « king shot », c’est bien Les Fils de l’Homme. Ici, ces plans séquences exagérément longs (qui n’en sont pas en réalité, les raccords sont cachés numériquement) servent à décrire la précarité des situations et à donner une illusion de vérité absolument poignante. Et il se trouve ici que l’équilibre entre ces séquences qui sont de véritables prouesses techniques et des plans fixes parfaitement composés, est vraiment parfait.


L’humanité des personnages trouve un réel écho dans le fait qu’ils ne sont jamais dans une situation idéale de cinéma. Par exemple, Theo se retrouve à marcher en tongues dans la boue et sur les débris de guerre car il prend la fuite alors qu’il est encore pieds nus dans sa chambre. L’excellent Michael Caine, lui, radote jusqu’à la fin la vieille blague du « Tire sur mon doigt, s’il te plait ». Cela faisait bien longtemps que je n’étais pas tombé sur un film dans lequel le dispositif ne semble plus vraiment être une évocation de situations et de personnages idéaux, mais dans lequel le tout paraît aussi convaincant. Dès une certaine séquence qui arrive au bout de 25 minutes environ, on est scotché par la « véracité » de ce qui va arriver.

On pourrait reprocher au film une fin un peu vendangée qui laisse un goût d’inachevé. Mais sur l’ensemble, un tel concentré d’intelligence cinématographique, de sensibilité (la scène d’accouchement la mieux filmée et la plus « sensible » que j’ai vue de ma vie !), de minutie dans les « reconstitutions » et d’ironie, mérite un respect absolu. On rajoute à cela le fait que certaines séquences sont accompagnées de morceaux de musique des années 70 comme King Crimson, ce qui va avec l’attitude hippie du personnage le plus attachant du film (joué par Michael Caine), et voilà un film pour lequel j’ai eu besoin de quelques heures avant de revenir à moi.

Parce que de temps en temps, on ne fait pas attention, et on tombe sur une perle de la sorte, sans grande prétention scénaristique ni idéologique, mais qui vient d’un vrai désir de cinéaste poussé à l’extrême. Les Fils de l’Homme ne pose pas de grandes questions, et n’essaye pas non plus d’apporter de grandes réponses. On pourra lui reprocher cela. Mais surtout pas le reste.