Quel émoi autour du dernier bébé de thatgamecompany ! Il y a tellement peu de personnes autour de moi qui ne l’ont pas terminé, que je me demande bien si ce jeu ne figurera pas parmi les meilleures ventes 2012 en France ! Même moi j’ai pu me procurer une Playstation 3 pour pouvoir toucher la bête. Car les visuels et différentes vidéos que l’on avait pu voir ces derniers mois ont eu un effet extrêmement puissant sur quiconque possède un semblant de sensibilité artistique. La beauté de Journey n’a jamais fait l’ombre d’un doute. Ne restait plus qu’à vivre l’expérience. Et là….
Pour être honnête, mon avis sera probablement le dernier à être publié en ce lieu. Alors ne nous appesantissons pas sur les grandes lignes que tout le monde connaît. L’idée ici est de parler des qualités et des problèmes du jeu. Car je ne fais pas partie, hélas, des adorateurs de Journey. Je m’en vais donc expliquer quelles sont mes énormes réserves quant au jeu. Et ce, sans tabous ni occulter ce qu’on y trouve. Je m’adresse donc avant tout aux personnes l’ayant terminé.
Un jeu vidéo ? Assurément !
Et pourtant les gens de thatgamecompany avaient fait le plus dur… L’idée de nous faire jouer un personnage solitaire qui n’a que son apparence, son animation et un son unique comme moyen d’expression était brillante. Celle de nous faire découvrir les traces d’une civilisation perdue sous la forme d’un voyage, d’un pèlerinage dans un désert immense, l’était encore plus. La direction artistique, la mise en scène, les angles de caméras, le sound design. Du point de vue esthétique Journey est un bijou.
Et contrairement à ce que beaucoup affirment, que ce soient les détracteurs du jeu comme ses adorateurs, je l’ai trouvé plutôt ludique. Je sais bien que la frontière entre le ludique ou non paraît très nette pour beaucoup de monde. Or moi j’y ai vu des chapitres structurés, avec un objectif à atteindre, parsemé de sous-objectifs, d’interactions via le son avec un certain nombres d’éléments qui permettent de progresser. A aucun moment je n’ai ressenti l’envie de remettre en cause le potentiel ludique de Journey. Je pense même qu’il réussit là où d’autres productions indépendantes jouent un peu trop la carte de…. « l’indépendant » en misant excessivement sur le contemplatif pour s’éxonérer de mécaniques vidéoludiques sans doute plus fastidieuses à mettre en place.
Malheureusement pour Journey, ses allures d’ovni suscitent un peu de manière automatique l’opposition stéréotypée entre « jeu vidéo standard à gameplay » et « œuvre contemplative au potentiel ludique limité ». Et cela de la part des gens qui le détestent, comme des gens qui l’ont apprécié. Même si je vais y revenir dans la partie suivante, la réputation de Journey à ce niveau est très intéressante à mes yeux, dans le sens où elle est très symptomatique des courants de pensées qui s’opposent depuis quelques années dans le jeu vidéo, entre les définitions très pragmatiques et précises de ce qui est ludique et ce qui ne l’est pas. Ceci conditionnant d’emblée la réputation d’un jeu. Jeu dont le statut de soft indépendant ou AAA bénéficiera d’un à priori et d’une indulgence différents selon le joueur.
Bref ! Journey est bel et bien un jeu vidéo, et il faudrait bien me démontrer en quoi son potentiel ludique est limité. S’amuser, prendre du plaisir, est amplement suffisant pour qu’on puisse ranger une expérience sur l’étagère à jeux vidéos. Il y a tant de titres qui répondent à tous les critères du jeu et du gameplay classiques et qui sont chiants à mourir ! On ne va quand même pas mettre à part un opus qui parvient à nous amuser, nous émouvoir sous prétexte que la nature de son game design soit diluée et difficilement identifiable à travers une direction artistique un tant soit peu originale.
Et ça je le dis de manière générale, puisque pour Journey, c’est vraiment très clair. Je n’ai pas peur de dire devant ses détracteurs comme ses adorateurs (qui souhaitent souvent maintenir une mystique un peu niaise en ayant peur de dire qu’il s’agit d’un jeu vidéo) que je l’ai trouvée très convaincante, moi, cette construction sous forme d’aventure/plateforme avec beaucoup de séquences aériennes et d’exploration. La bonne idée, même si peu originale, étant que la récompense de fin de chapitre est la découverte d’informations à propos de la civilisation éteinte sur les traces de laquelle on marche. Voilà donc tout le bien que je pense de Journey : sa dimension jeu vidéo est réussie. Ce n’est pas là qu’il faillit. Et c’est pour ça que je lui en veux à mort.
Quand l’œuvre se perd…
Je le dis tout net : le titre de thatgamecompany m’a déçu. Malgré ses premiers chapitres extraordinaires en terme d’ambiance et d’esthétique. Cette construction en niveaux de plateforme mais avec des échelles et des dynamiques différentes, dévoilant une nouvelle manière de progresser, à chaque fois est très réussie. Les quatre premiers segments sont absolument sublimes, tant au niveau esthétique qu’au niveau du rythme des séquences. Jusque-là tout allait bien. Je trouvais là une émotion, un mystère, un concept et un vocabulaire articulés grâce à un « corps » convaincant et légitime.
Mais revenons au début du périple. Je suis seul dans ce désert, j’ignore tout du pourquoi de ma présence et je découvre peu à peu l’histoire de cette civilisation perdue. La chaleur, la difficulté de marcher dans le sable, le soulagement de pouvoir voler… Ces cerfs-volants de tissus qui se comportent tel un banc de dauphins en haute mer ! Jusqu’au chapitre 4 la suggestion d’un désert qui devient un océan sur lequel on surfe, dans lequel on « nage » quand le vol n’est pas disponible, est vraiment bien vue. Le voyage prenait forme, je pouvais faire encore des heures comme ça. J’allais en apprendre plus sur cette population qui s’est éteinte pour des raisons que j’ignore encore.
Et là tout flanche, et le jeu se noie. Plutôt que de tenir à leur idée de base, d’aller au bout et de nous éprouver par un pèlerinage et ses heures de solitudes parmi ces dunes et ces ruines, la tournure que prend le jeu me sort de son ambiance comme un seau d’eau glacée en pleine tronche. Après quatre chapitres, le délire commence.
Là où Shadow of the Colossus tint son postulat de départ envers et contre toute tentation de dévier pour paraître plus « ludique » ou plus « stylé », quitte à laisser tomber une partie des joueurs en chemin, Journey craque à mi-parcours. La civilisation dont on est sensé découvrir l’histoire ? Poubelle. Le scénario finit par nous jouer le coup de la boucle continuelle, immuable et la mise en abyme : la vraie histoire ce n’est pas celle que l’on découvre à travers le pèlerinage qui avait si bien commencé. L’histoire EST votre voyage. Supeeer ! Encore ?
En fait Journey cède de manière enfantine aux sirènes de l’œuvre vélléitaire qui finit par se plier aux partis pris éculés. Ceux qui protègent ses créateurs du volontariat et du fait d’assumer des choix qui peuvent être discutés. Vous voulez me faire vivre un voyage dans le désert pour découvrir ce qui est arrivé à une civilisation perdue ? Alors faites-moi vivre un voyage dans le désert pour découvrir ce qui est arrivé à cette civilisation perdue. Nom d’un chien ! Restons simples, développons l’idée de départ et le potentiel extraordinaire que cela offre jusqu’au bout. Franchement…
Ma main à couper que si on met l’ami Ueda aux commandes d’une vision de départ qui est celle de Journey, il ne s’attarderait pas à moraliser ou à symboliser sur des thèmes aussi éculés que « le cycle », « la boucle » perpétuelle de la vie ou autre. On aurait plutôt eu droit à une histoire simple, racontée avec un minimum d’éléments et une focalisation sur le ressenti du joueur quant à la vision de départ qui est à la base de l’idée du jeu. Et il nous aurait fait pleurer par l’histoire touchante de cette civilisation perdue. Non par un plot twist qui se veut ambitieux et stylé.