Brothers ced (3)

Voilà de nouveau un jeu que j’ai fait par accident. Un « truc » de dimanche après-midi flemmard. De ceux lors desquels on lance un indé réputé pour être court car on a même la paresse de débuter quelque chose de trop long. 3 heures plus tard j’en tremblais encore. Il m’est donc apparu impossible de ne pas prendre le clavier pour hurler l’intensité de mon dernier amour.

Nous dirons que les lignes qui vont suivre ne constitueront pas, à proprement parler, une review comme j’ai l’habitude de les livrer. Je ne m’attendais pas à devoir rédiger ce billet car je ne pouvais pas prévoir l’effet qu’allait me faire ce Brothers : A Tale of Two Sons. Plus que le plaisir d’avoir bouclé un jeu d’exception, ce voyage m’a laissé sans voix. La qualité de cette quête restera vraiment comme l’une des expériences les plus marquantes qu’il m’ait été donné de vivre, tous médias mélangés.

Une histoire de famille peu chanceuse. Dans ce Monde qui n’a pas de nom, deux enfants ayant déjà perdu leur mère vont se mettre en quête d’un remède pour soigner le père mourant. Grand et petit frère, le fort et l’agile. La main gauche et la main droite, le stick Ouest et le stick Est. Toutes ces couches, échos multiples de cette dissymétrie fraternelle, se mettront en branle de concert afin de sauver ce qu’il reste de la famille. Du plomb au ventre et la gorge serrée, c’est ainsi que nous et nos deux mains accompagnons les rejetons dans leur quête de survie. Car s’il est bien une chose qui ne s’extirpera jamais de notre esprit au cours de ce voyage, c’est que ces fils sans nom, eux non plus, vont courir des contrées impossibles dans le but de ne pas perdre le parent qu’il leur reste.

L’ode aux rencontres touchantes qui nous est jouée à travers l’écran du joueur, cette symphonie aux ambiances tantôt merveilleuses, tantôt sombres ou encore morbides, est exécutée avec un audace, une précision, une simplicité, une originalité…(respire) Et, vous l’aurez compris, un génie paradoxalement terre-à-terre suintant la sincérité. Aucune séquence, aucune manipulation ne se détache de manière grossière au sein de ce récital à la fraternité infantile. Un bouton unique pour chaque frère assigné aux intéractions, à la manière de Limbo, et le level design fait le reste. La maladresse des premiers instants dûe à l’ambidextrie requise par le binding intelligent et symbolique à la fois, oscille comme une résonance directe de l’enjeu de ce sonnet vidéoludique : les frères devront apprendre à s’entraider, d’abord novices en la tâche puis mieux rôdés, l’épopée allant.

Brothers ced (1)

Je vais vous dire : une poésie et une émotion émanent tellement de ce jeu, que même des termes comme « level design », « énigmes » ou  « cinématiques » sonnent encore comme des termes impropres dans mon esprit au sortir de l’aventure. L’intelligence des narrateurs, et du coupable de l’entreprise Josef Fares, est d’avoir su insuffler une évocation de tous les instants, une signification vibrante du sentiment de perte d’un être proche ou de la séparation par la mort. Jamais ce frisson ne lâchera le joueur. On finit par ne pas y voir des mécaniques inhérentes à un genre de jeu précis. Ce sont bien des rencontres, des périls et des actes que vivront ces enfants qui doivent compter l’un sur l’autre pour atteindre, même sans trop savoir comment, le remède. Compter l’un sur l’autre. Le besoin pour survivre, le lien qu’il ne faut pas rompre pour y arriver. Cette force qui se fait sentir aussi bien quand la coopération est possible, que lorsqu’elle ne l’est pas.

Ecrasés par ces contrées fantastiques et cette courte focale d’une caméra parfaitement gérée, le grand angle permanent et vertigineux nous rappelle perpétuellement que les deux frères sont peut être encore trop courts pour la responsabilité qui leur incombe. Mais ils tenteront quand même. Eux, le joueur et ses deux mains.  Et comme infimes instants de répits, des bancs disposés ça et là, secondes de vides contemplatifs à disposition des protagonistes et du « bro » assis de l’autre côté de l’écran, celui-là. Occasions splendides de remises en perspectives des couches conceptuelles, narratives et symboliques de cette pépite de conte tragique.

Peut être qu’un jour nous arrêterons de juger la qualité d’un jeu vidéo en vertu de critères aussi mesquins que le nombre d’heures qu’il faut pour le finir, de la capacité du sac à saleté, ou de la longueur du fil. Quoiqu’il en soit, ce Brothers : A Tale of Two Sons est un bijou sans nom, dont chaque seconde est maîtrisée, unique et lourde de sens. Une proposition qui nie purement toute notion de redite pour faire le nombre. La pureté de son propos trouve un écho fantastique dans toutes les facettes d’interprétation et les corollaires matériels que constitueront l’expérience du joueur qui se lancera dans ce voyage, lui et ses deux mains.

Une fois n’est pas coutume, il m’a semblé en rédigeant ce billet, qu’un cri d’amour est nettement plus pertinent, dans le cas présent, qu’une review surdéveloppée. Je ne peux conclure que sur une seule note. Vivez le voyage de ces deux enfants, aidez-les à préserver ce qu’il reste de leur famille et tendez l’oreille à cette voix mixte perchée qui continuera toujours à transpercer montagnes, mer et souvenirs partagés par le joueur sensible au destin hors norme de ces deux gamins déterminés à ne pas finir orphelins. Je ne connaîtrai jamais leurs noms mais je me souviendrai toujours d’eux.

Brothers ced (2)

  1. Ce jeu pour moi me laisse énormément perplexe, oui il est excellent, oui jamais un jeu n’a jamais aussi bien lié gameplay et histoire mais non je n’ai pas été touché par l’histoire des deux frères.
    N’être pas touché, ou plutôt peu touché, par l’histoire unissant les deux frangins est une chose, par contre ce conte m’a rendu nostalgique. Les frères Grimms, Tolkien et Perrault étaient assis près de moi sur le canapé et j’ai adoré.
    Ce qui m’a laissé sans voix une fois le jeu fini c’est de refaire mentalement toutes les étapes intenses parcourues en si peu de temps.

    Ce jeu est à faire au moins une fois, offrez ce jeu à votre papa, à votre femme, à votre enfant, au buraliste du coin ou au brocanteur d’en face… Vous leurs donnerez l’opportunité de retourner en enfance et ça, ça n’a pas de prix.
    J’ai relevé énormément de points communs entre ce jeu et tearaway sur le fond.

  2. Je l’ai abordé un peu comme toi Ced : lancé le 1er janvier par désœuvrement et englouti en une après-midi. J’aurais rarement commencé une année de manière aussi forte (après avoir fini 2013 sur le film Hentai Kamen, qui témoigne de son côté d’une autre conception des émotions fortes).

    Bref, je te rejoins totalement sur le jeu, sur sa puissance émotionnelle, sur le talent de ses développeurs et sur son insolente modestie par-dessus le marché. C’est vraiment de jeux comme ça dont on a besoin pour « faire évoluer le média » comme on le dit de manière si grandiloquente de nos jours.

  3. Une bien jolie découverte, ainsi qu’une très touchante aventure! Je n’aurai rien à ajouter en plus, si ce n’est la superbe bande-son, qui accompagne tellement bien cette belle épopée.

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