Epic Loon OST

Plus épique que son support

Composition
Pryapisme
Interprétation
Pryapisme
Nombre de pistes
29
Année de sortie
2018

Certains ne le savent peut-être pas mais, en parallèle à Archaic, je suis également chroniqueuse au sein d’un webzine orienté metal/rock. Quelle ne fut pas ma surprise, il y a quelques mois, de recevoir dans ma boîte mail l’exemplaire promo de l’OST du premier jeu développé par les Français de Macrales Studio, Epic Loon, sorti il y a peu. Le tout via un label musical conventionnel. Une chose est sûre : voilà un cas de figure qu’on ne verra pas tous les jours où j’étais la candidate toute désignée pour m’occuper du bestiau. Même si cela vous étonnera peut-être de savoir que des figures qui ont été connues au travers du média vidéo-ludique jouissent de leur petite popularité au sein de la scène metal. Quand bien même, ces dernières n’offrent pas une musique spécialement metal, bien que l’on peut en relever des caractéristiques communes. Parmi elles, on pourra citer les cas Carpenter Brut et Perturbator, autrefois paumés dans les tréfonds de l’underground électro, que l’on a eu l’occasion d’entendre dans les deux volets de Hotline Miami, Hacknet ou encore The Crew. Pas metal pour deux sous donc, ce qui ne les empêche pas de récolter des chroniques enthousiastes et élogieuses dans les médias estampillés rock/metal et de transformer les scènes de certains festivals comme le Hellfest ou le Motocultor Fest en véritables boîtes de nuit de chevelus tous de noir vêtus. J’ai moi-même eu l’occasion de voir Perturbator dans ce contexte il n’y a pas si longtemps, une expérience aussi divertissante qu’édifiante. Pour le cas de Pryapisme qui signe cette OST du jeu Epic Loon, c’est un peu le même genre de cas de figure. Originaire de Clermont-Ferrand, ce groupe qui n’en est pas vraiment un aime offrir une musique bigarrée et entièrement instrumentale, principalement reconnue par les metalleux férus de la facette la plus expérimentale du style. Les plus gamers sans nul doute tant Pryapisme nous a déjà foutu dans les neunoeils et les noreilles plein de références geeks (la jaquette de l’EP Blastbit Rococollider se présentant comme celles des jeux Master System notamment), qu’il a même poussé le vice jusqu’à signer une OST complète de remixes de thèmes de Street Fighter II pour un documentaire intitulé « Le Tournoi des Légendes » de Pix’n Love, le voir se perdre corps et âme pour la cause sonore d’un jeu sur son intégralité, ce n’est finalement pas si étonnant. Enfin, corps et âme, c’est vite dit en fait…

Parce qu’à vrai dire, si vous suiviez déjà Pryapisme sur sa discographie classique, vous ne serez pas foncièrement perdu par ce double-album, tant le groupe parvient à conserver son identité et authenticité malgré le fait qu’il soit bridé par un cahier des charges précis qu’il se doit de respecter afin de correspondre au format. A savoir qu’il s’agit de titres courts dont la grande majorité ne dépassent pas la barre des quatre minutes. Qu’importe cette contrainte, les bougres n’ont vraiment pas eu l’envie d’assagir leur musique pour autant, ils se sont juste contentés de condenser leur propos. Les progressions, les enrichissements en piochant via différents styles, voire breaks bigarrés et inopinés sont toujours de rigueur ici, juste que tout se succède d’autant plus vite que ce qu’on avait l’habitude d’entendre sur un disque conventionnel. Seul fil directeur : la facette électro/chiptune qui reste toujours plus ou moins omniprésente tout du long, qu’elle soit au cœur des hostilités que reléguée en toile de fond lorsque d’autres éléments viennent se taper l’incruste. Normal pour un jeu vidéo me direz-vous.

Du jeu support, parlons-en brièvement afin de bien comprendre le pourquoi du comment de la construction de ce double-album. Epic Loon est un jeu d’adresse où l’on devra faire bondir de malheureux petits aliens qui se sont retrouvés coincés dans de vieilles VHS maudites afin qu’ils puissent en sortir et retourner chez eux. Le jeu se compose de quatre cassettes vidéo reprenant des clins d’œil de vieux films fantastiques ou SF, desquels l’on naviguera à travers de courts tableaux où l’on mènera notre alien du point de départ vers la sortie, simplement en jaugeant l’angle des sauts. On se passera de parler du gameplay qui ne nous intéresse nullement ici – mais apparemment très perfectible malheureusement – pour souligner l’effort déployé par ses développeurs pour offrir un habillage esthétique et narratif qui interpelle. Le côté cliquetant du support VHS est hyper bien foutu à l’œil, de même que l’on retrouve dans les réappropriations des quatre gros classiques du cinéma choisis Alien, Jurassic Park, Godzilla et Nosferatu un côté série B, voire Z, retro sentant bon le nanardesque bien foufou et complètement dérisoire. Autant dire, avec un tel concept de base, l’association avec Pryapisme s’avère on ne peut plus pertinente sur le papier.

La collaboration s’avère, sur la pratique, déterminante en ce qui concerne la direction artistique du soft. Entre les cas de figure visuels et la bande-son concoctée par Pryapisme, cela ne marche que trop bien. La musique amène une plus-value non négligeable à l’ensemble : elle appuie d’autant plus la singularité artistique du jeu en plus de porter toute la dynamique de l’ensemble. Car finalement, Epic Loon officie dans un type de jeu souvent considéré comme mollasson où il ne faut pas hésiter à prendre son temps afin de bien jauger ses mouvements. Pryapisme arrive à apporter, juste au travers de sa musique, une progression rythmée, bourrée de variations dans ses vitesses et densités d’éléments, arrivant à feindre un caractère majoritairement frénétique transmettant une certaine tension au joueur. Quitte à l’induire en erreur en le forçant à se hâter alors qu’il a en réalité tout le temps de bien calculer ses trajectoires. Ce qui a effet d’agir en véritable épée de damoclès pour les joueurs les plus chanceux et/ou adroits qui traverseront les tableaux à toute vitesse sans qu’ils n’aient jamais forcément la possibilité d’entendre chaque piste dans son entièreté.

Parce que Pryapisme réussit le tour de force d’imposer une bande-son qui s’avère indissociable lorsqu’on prend le support global tout en parvenant, en parallèle, à en faire une entité indépendante qui peut s’écouter sans encombre par n’importe qui, y compris des gens qui ne voudraient pas vraiment s’intéresser et/ou s’investir sur sa console ou son PC. Parce que de schéma rigoureux dans la construction globale de l’OST, on pourra percevoir quelques thèmes propres comme « Epic Loon Theme » servant de fond sonore d’écran-titre et son piano retro-cliquetant qui laisse place à un déluge électro digne d’une rave-party sur Atari ou encore le thème récurrent « Epic Boss Theme », qui porte bien son nom, entre symphonique cinématographique bien epicness dans lequel on a dilué la fulgurance électrique bien speed metal. Mais surtout le point commun d’architecture des différentes VHS proposées de toujours débuter par une revisite très reconnaissable du thème principal du film en question afin de le reconnaître facilement avant de partir plus ou moins progressivement vers le gros n’importe quoi dont seul Pryapisme a le secret.

A savoir, s’approprier en progressant, complexifiant, changeant de style comme de chemise, de manière si bien amenée qu’on ne peut que digérer sans heurt tout ce gloubiboulga musical de manière immédiate, quand bien même tout ceci nous paraît complètement surréaliste. Ça passe de l’électro tendance breakcore à une sorte de black metal trituré par DJ Segax ? Le thème de Jurassic Park vaguement remanié laisse directement place à de la salsa-core-boum-boum jusqu’à parvenir au John Williams de la tribu de la jungle ? Entendre comme une sorte de faux air plus ou moins noyé du « Stress » de Justice alors qu’on est dans le chapitre de Nosferatu, comme si les vampires n’étaient que de simples cacailles de banlieue avant de rentrer chez eux pour nourrir le cliché à grands coups de piano violon et clavecin émo-baroques ? Ou avoir le droit à tous les gimmicks du ninja modèle « petit scarabée qui tente d’attraper les pétales de fleurs de cerisier en plein vol les yeux fermés » sous fond de techno-trance alors qu’on ne fait qu’attendre qu’un gros Godzilla – comprenez qu’ils font référence au film japonais originel et non le remake avec Jean Reno – fracasse tous les buildings tel un Megazord des Power Rangers ? Bon, ok, tout ça – et c’est non-exhaustif – est complètement normal. Enfin non, pas vraiment, mais on n’ira pas remettre en question quoique ce soit tant c’est bien fait alors qu’on n’y comprend finalement pas grand-chose. Un peu comme les intitulés des titres, toujours aussi capillotractés et dénués de sens que d’ordinaire. Parce que, définitivement, ce Epic Loon OST n’est ni plus ni moins qu’un nouvel album de Pryapisme pur jus. A presque se demander d’ailleurs si ce n’est pas les développeurs du jeu qui n’ont pas suivi la musique pour faire toute la part visuelle.

Cet article est une version (très légèrement) remaniée de ma chronique parue sur le webzine CoreAndCo.

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