Interview Of Orcs and Men : Olivier Derivière

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Archaïc : Vu que c’était ton premier jeu de rôle, comment as-tu abordé Of Orcs and Men ? En t’appuyant sur tes expériences passées ou depuis une page vierge ?

O.D. : Quand tu démarres un jeu, tu dois regarder sur quels mécanismes il repose. Un jeu comme Obscure, c’est clairement la peur. La musique, les sons, l’ambiance, tout est basé sur ce mécanisme de peur. Il y a des combats mais ils ne constituent pas quelque chose de systémique. Il faut donc tout baser sur la peur. Ensuite, un jeu comme Alone in the Dark, c’est tellement riche et dense, qu’il faut choisir là où la musique doit intervenir. Alone, c’est l’une des plus incroyables productions que j’ai vécu, avec le « succès » qu’on lui connaît, en raison d’ambitions démesurées. Les développeurs étaient fous, et c’est ça qui était génial. Nous étions Don Quichotte. Nous l’étions tous : j’ai écrit quasiment 5h de musique, c’était du délire. Alone in the Dark était l’anti-système par excellence. Il a donc fallu que je trouve mon système, c’est pourquoi avec Eden Games, nous nous sommes dit que nous allions faire un « score » sur toutes les actions du joueur. Si tu regardes les vidéos du passage de la 59ème rue, dans la voiture, toute la musique est synchro avec tes actions ; autre moment, quand tu escalades la façade, tout est synchro aussi. Et dis-toi que TOUT le jeu est comme ça. (rires) C’était totalement barré, j’étais jeune fougueux, 26-27 ans, il fallait y aller, j’y suis allé.

Aujourd’hui, un jeu comme Of Orcs and Men est un RPG, ok, mais le genre importe peu. La vraie question est : quel est le système ? Et dans Of Orcs and Men, c’est exploration, combat, exploration, combat. C’est donc très classique. Il n’y a pas réellement de séquences qui inversent les situations. Ici, nous sommes dans une grande narration, et c’est ce qui importe en général dans un RPG. Sur ça, ce que nous avons mis en place avec Sylvain, c’est le style musical dont nous avons parlé et le système musical que nous voulons mettre en place. Il y a beaucoup d’outils performants dans des studios comme Dontnod utilisés sur Remember Me, tels que les moteurs audio du style de Wyse qui offrent beaucoup de possibilités d’intégration. Un studio comme Spiders est trop petit pour investir là-dedans, mais ils sont aussi suffisamment ingénieux pour pouvoir s’en passer grâce à leurs idées. Ce ne sera donc jamais réellement du même niveau technique qu’un véritable moteur, mais au niveau artistique et immersion de la musique, ce sera aussi bien. Sylvain voulait au départ un système basique, à savoir une phase d’exploration, une musique d’exploration, un combat, une musique de combat. Mais ce que nous nous sommes amusés à faire, c’est qu’à certains moments nous avons cassé cette mécanique. Intervient ici le petit plus d’Of Orcs and Men par rapport à Alone in the Dark par exemple : OOAM étant systémique, il est possible de casser les attentes du joueur.

Le jeu est une succession d’exploration et de combats, la musique suit donc ce systeme, cela dit, parce que certains niveaux ont un sens narratif plus prononcé, on casse cette mécanique pour ne laisser qu’une musique qui suivra toute ta progression dans le niveau sans faire de distinction entre exploration et combat. Aussi, comme le jeu te propose une réelle progression, puisque tu débutes dans le monde des orques et que tu dois passer un mur te menant dans le monde des humains, plus tu t’en approches, plus la musique se fait sclerosante, oppressante, comme si l’orque etait viscéralement dérangé. Vers le milieu du jeu, au lieu de mettre des musiques pendant les combats, c’est une fois que tu sors des combats que la musique arrive. C’est pour éviter la normalisation de l’expérience, l’acte de casser la routine des musiques. Si l’on reprend mon exemple, la musique jouée après ce combat-là, est le reflet de la narration à plus haut niveau de ce qu’il se passe. Je ne veux pas spoiler mais, à un moment, tu descends dans une sorte d’arène, tu y rencontres un personnage important pour l’orque, et vis-à-vis de la musique, forcément, dans la cinématique – les cut-scenes restant ancrées dans les jeux vidéo bien que je me batte pour les limiter – il y a une narration qui se crée. Celle-ci nous la continuons dans tout le gameplay après. Cela te permet de conserver le « mood » qui s’est instauré dans la cut-scene et de ne pas le perdre dans le gameplay. L’intégration de cette musique est donc à l’inverse de ce dont tu as l’habitude de voir. Et c’est pour ça qu’environ 99,9% des joueurs ne s’en rendront pas compte, mais vis-à-vis de l’expérience inconsciente, il y aura un plus. Un jour, un journaliste m’a posé la question « Mais vous ne pensez pas que la meilleure musique pour un film, c’est celle qui ne se remarque pas ? ». Et là, je reste sans voix en me demandant ce qu’était cette question. (rires) Ma réponse a été : « Mais Star Wars, vous vous souvenez de la musique non ? » « Ouais. » « Indiana Jones aussi ? » « Ouais. » « Et elle vous a gêné pendant le film ? » « Non. » « Bah voilà. » Ce que je veux dire, c’est que le principe de la musique n’est pas tant de se faire remarquer, mais de galvaniser le joueur qui intrinsèquement sait qu’il le doit à la bande son. Sylvain et moi, ainsi que Stéphane Versini le Game Designer et Thomas Veauclin de Cyanide, avons fait en sorte d’insuffler du relief à l’expérience. Il reste tout de même un jeu scripté linéaire, bien qu’il y ait des quêtes annexes : tu restes dans quelque chose d’assez cloisonné. Il ne faut pas non plus imaginer un monde ouvert hein ?

Archaic : Au moment de la composition des musiques en elles-mêmes, on parlait tout à l’heure d’une orientation sur du violoncelle, une influence particulière ?

O.D. : Les influences sont indirectes. Globalement, tu écoutes du Metal, c’est pareil, il suffit de remplacer le quatuor par des guitares, même s’il y a de longs morceaux. C’est de la musique de métalleux mélancolique. (rires) Au niveau des percussions, c’est surtout vers la derniere tentation du christ de Peter Gabriel qu’il faut chercher quelques influences. Mais encore une fois, c’est le scénario qui a guidé l’écriture des morceaux. Il y a des niveaux d’écriture qui donnent l’impression d’être désolidarisés alors qu’ils ont été réellement pensés pour former une véritable soundtrack de jeu vidéo. Quand tu écris un thème, ce n’est pas juste un main title au début du jeu. Il faut savoir l’exploiter au bon moment. L’une des particularités de cette soundtrack, c’est que je n’ai pas eu beaucoup de temps pour la réaliser…

Archaïc : Combien de temps au total ?

O.D. : A peu près un mois et demi.

Archaïc : Pour 22 pistes dans la soundtrack finale. Même si tu en as très certainement écrit bien plus.

O.D. : Oui, tout à fait. Il y a eu beaucoup plus de pistes que dans la soundtrack. Déjà, dans ces 22 pistes, il y en a pas mal d’optionnelles. Nous les avons d’ailleurs intégrées au CD pour récompenser ceux qui faisaient l’effort d’acheter le support physique. Il y en a moins dans la soundtrack téléchargeable sur iTunes.