Interview Jehanne Rousseau – Camille Bachmann

Page 1 | Page 2 | Page 3 | Page 4 | Page 5 | Page 6

Archaïc : Comment se présenteront les combats de Mars ? Façon RPG, certes, mais avec un personnage central et les autres dirigés par une IA, ou les trois en simultané ?

J.R. : On ne joue que Roy. Les autres personnages ne font que – enfin, ne font que… – suivre le héros ponctuellement. C’est vraiment au joueur de décider, mis à part à quelques moments du scénario où on lui impose d’avoir une certaine personne avec lui. C’est donc lui qui décide s’il prend quelqu’un ou pas, qui il veut avoir dans son équipe, équipe relativement limitée mais qu’il est possible de composer à sa guise. Les personnages réagissent uniquement avec leur IA et en général plutôt en support du joueur que combattants… Ils ne sont pas réellement actifs.

Archaïc : Réellement actifs ?

J.R. : Ils vont l’aider en combat. Ils vont même de temps en temps participer à des discussions. Et parfois le fait d’avoir un compagnon plutôt qu’un autre peut être intéressant dans certaines situations… Mais c’est le joueur le héros, pas ses compagnons. Par contre, ils amènent vraiment énormément d’éléments de narration. Autrement dit, le plus important.

Archaïc : C’est là où nous voulions en venir. Est-ce que justement cela peut changer les dialogues ? Changer les chemins narratifs ?

J.R. : Selon les choix qu’on fait, selon les relations qu’on a avec les compagnons, parce qu’évidemment en leur parlant (parce qu’on peut évidemment leur parler) on peut influencer leur caractère, on peut en un mot effectivement impacter l’histoire. On peut aussi les faire partir définitivement. On peut les envoyer à la mort…

Archaïc : (rires) Sympa…

J.R. : On a volontairement fait un monde très dur. L’intro du jeu est très claire là-dessus, je pense que… (rires) c’est assez… évident. Même dans le système de jeu, on a voulu intégrer certaines choses. Typiquement, de base quand on met quelqu’un KO (un humain), on ne le tue pas : on le met KO. Et c’est au joueur de décider s’il veut l’achever ou pas. En sachant que ce n’est pas une décision anodine. On est sur un monde où la vie humaine est précieuse, car rare. Il ne reste plus tant de gens que ça. Une bonne partie de ce qu’il y avait de l’humanité a muté et ceux-là, on ne veut même pas en entendre parler : on les considère comme des animaux. On a complètement perdu le contact avec la Terre. Malgré tout, tuer des gens n’est vraiment pas dans les mentalités des habitants. C’est quelque chose qu’on voulait vraiment faire passer au joueur. En opposition à ce qui se passe souvent dans les RPG où l’on tue à tout va… L’idée était vraiment de dire : « Attention, vous rendez-vous compte de ce que vous faites ? ». On laisse donc la possibilité au joueur d’achever ou non les gens.

Archaïc : Cela influera-t-il le regard des autres sur le héros ?

J.R. : Alors cela a une influence, parce que c’est quand même très mal vu. (rires) Maintenant, la monnaie sur Mars, c’est l’eau. Et en fait quand on tue, que ce soit une bestiole ou un être humain, on peut récupérer son eau. Sur les bestioles, c’est automatique. C’est comme du loot : la bestiole nous indique le nombre de doses de sérum qu’on peut récupérer. Sur les humains, il faut les tuer…

Archaïc : Le jeu est donc plus dur si l’on ne tue pas ?

J.R. : Oui, d’autant que le sérum sert aussi à fabriquer les potions. En résumé, quand on tue les gens, on est plus riche – parce que ça sert de monnaie – et on se soigne plus facilement – parce que ça permet de créer les potions. Mais on a un très mauvais karma. C’est donc au joueur de voir ce qu’il a envie de faire. En sachant qu’il y a un système de réputation : certains compagnons pourront être choqués si vous faites ça. D’autres s’en ficheront tandis qu’encore d’autres encourageront à le faire.

Archaïc : Des fins multiples en perspective ?

J.R. : Bien sûr. Il y a plein de micro-embranchements et de petites décisions, anodines sur le moment qui ont des répercussions plus tard. Mais il y a un gros choix à un moment-clé du scénar’ qui a un impact assez important sur la fin. Pas seulement sur la fin d’ailleurs, le cours du jeu bifurque vraiment vers un embranchement plutôt qu’un autre. Il y a en effet deux pavés de jeu bien différents. Selon la solution pour laquelle vous optez, vous abordez le reste de l’aventure de manière totalement différente, même si la trame scénaristique de fond ne varie pas. Le héros influence différemment les évènements qui surviennent ensuite. Il n’apprendra pas les mêmes choses, ne disposera pas des mêmes compagnons, … Il y aura donc pas mal de différences entre les deux parcours.

Archaïc : Une vraie raison de refaire le jeu donc ?

J.R. : Au moins depuis ce passage-là, oui.

Archaïc : Combien de temps de jeu au total ?

J.R. : On va dire une quinzaine d’heures, voire un peu plus. Si les gens veulent le refaire pour découvrir l’autre partie, ça rajoute bien une dizaine d’heures, je pense.

Archaïc : Il y aura-t-il des quêtes annexes ?

J.R. : Oui. C’est toujours difficile de mesurer le temps nécessaire pour les réaliser, surtout quand on voit toujours les rush en vidéo sur le net ! (rires)

C.B. : Ah oui, c’est souvent complètement fou.

J.R. : Oui, les mecs coupent toutes les cut-scenes, et ne lisent aucun dialogue… Donc il y a sûrement moyen de rapidement finir Mars de cette façon – je n’ai pas essayé – mais, à mon avis, ça doit être quand même chaud : il y a du terrain à parcourir…

Archaïc : Les beta-testeurs tenteront peut-être en post-prod… (rires)

C.B. : Pour prendre un exemple récent : Dishonored qui a été fini en quatre heures. Tu te dis « Non, ce n’est pas possible ». Le jeu est tellement complexe et diversifié, et pourtant… (soupir). C’est du gâchis… En plus, maintenant y a du sponsoring pour ce genre de prestation…

J.R. : C’est donc difficile de dire combien de temps Mars dure mais je pense qu’un joueur ayant envie de découvrir le jeu et de se balader un peu partout mettra entre quinze et vingt heures.

C.B. : C’est le même principe que pour la série Elder Scrolls : selon si tu lis les bouquins ou non…

Archaïc : Cela rajoute en effet beaucoup. Il y aura-t-il dans Mars ?

J.R. Des livres ? Non. L’univers est diffusé au travers de plein de trucs, et notamment des personnages… Il y a donc une assez grosse masse de dialogues.

C.B. : De toute façon, les gens ne lisent en général pas les bouquins. (rires)

J.R. : Il y a beaucoup d’infos qui vont dans le codex du joueur. Certains points de passage ou rencontres ajoutent de petits éléments de savoir dans le journal du joueur. Après, libre à lui d’aller fouiller dedans ou pas. On ne veut pas que ce soit imposé. Maintenant quelqu’un qui est un peu curieux, qui a envie d’en savoir plus pourra aller y découvrir beaucoup de choses.

Archaïc : Vu la masse de travail qu’a représenté l’univers de Mars, a-t-il été prévu comme une nouvelle licence ?

J.R. : Oui. C’est un monde que nous avons entièrement conçu, avant même de créer la boite. Il a d’ailleurs donné le nom à notre entreprise : c’est à cause de Mars qu’on s’appelle Spiders : le groupe de David Bowie, Spiders from Mars…

Archaïc : D’accord !

J.R. : C’est donc quelque chose qui nous est important. C’est un univers que nous avons beaucoup développé. Même quand on avait des projets à côté, on continuait de réfléchir à des trucs pour Mars. J’ai écrit des nouvelles et de très nombreux documents sur l’univers, qui est du coup énorme. C’est en tout cas un monde que nous avons envie de développer. Le jeu en tant que tel est prévu pour être un arc à lui tout seul, contrairement à Faery : Legends of Avalon, par exemple.

Archaïc : qui s’arrêtait brutalement en annonçant une suite…

J.R. : Ça a été une leçon pour nous, car après une fin pareille, si l’éditeur refuse une suite, nous nous retrouvons frustrés… Nous avons donc prévu Mars comme une nouvelle, ou plutôt une histoire courte, même si elle n’est pas si courte que ça, qui se conclut… Le joueur a vraiment conscience d’avoir un scénario complet. Et s’il y a un Mars 2, ou une suite, ce sera une toute autre histoire.

Archaïc : Mais dans le même univers ?

J.R. : Dans le même univers, mais ce sera peut-être l’histoire d’un compagnon ou d’un PNJ qu’on croisera… En fait, je sais déjà ce que je veux faire… (rires) Il y a des personnages que j’ai envie de développer, et j’ai donc déjà réfléchi à où je veux aller.

C.B. : Le format un peu « nouvelle » est vraiment chouette.

J.R. : Il est en effet assez intéressant parce que ça permet, d’avoir non seulement une histoire complète, mais cela nous autorise également à imaginer d’autres histoires pour approfondir l’univers. Des nouvelles qui nous permettent, en plus, à chaque fois de parler de thèmes différents. On a un monde qui a vraiment une politique, une histoire, une économie, des religions etc… Et, évidemment, sous couvert de S-F, mais comme c’est très souvent le cas dans la S-F, on parle de choses qui nous touchent et qui sont finalement assez réalistes, voire très liées à l’histoire humaine. Mars War Logs, en l’occurrence, parle de la guerre, mais pas au sens « champ de bataille », même si ça commence un petit peu comme ça, mais plutôt de façon larvaire, au travers d’une guerre civile… Une bonne partie du jeu s’inspire entre autres de l’Allemagne des années 30, de ce qu’il s’est passé à la montée du nazisme. Ce sont donc les prémices d’une guerre, se déroulant justement après une première guerre. C’est cette dernière qui entraîne l’état actuel de Mars.

C.B. : Les guerres au front sont justes évoquées.

J.R. : Je me suis inspirée d’énormément de bouquins de résistants, et pas seulement de résistants français ou anglais, mais aussi allemands. On ne parle jamais de ces gens-là, mais ils ont existé bien avant la guerre 39-45 puisque, dès la montée du nazisme, ils sont entrés en résistance. Nous voulions aborder ce genre de personnes dans Mars. De parler aussi de la passivité de la population, ainsi que de ceux qui pensent être sauvés mais qui se retrouvent piégés. Et si on fait un Mars 2, nous aborderons un autre thème.

Archaïc : A défaut d’un Mars 2, une politique de DLCs serait-elle envisageable ?

J.R. : (soupir) S’il y a des DLCs, ça sera sans doute de petites missions en plus. Vu le format du jeu, sortir un chapitre ne serait pas spécialement évident et cohérent. Je rappelle que Mars se termine… Notre découpage en nouvelles nous incite à privilégier la sortie d’un autre opus. Peut-être un nouvel arc, même si l’aventure peut être légèrement plus courte…

Archaïc : Mais tout de même un véritable épisode.

J.R : Oui. Après il peut toujours arriver que notre éditeur nous dise: « Ah ça serait sympa d’avoir un DLC où on rajoute des armes et un compagnon… » (rires)

C.B. : Ce genre de choses doit être prévu à l’avance en plus…

J.R. : Oui. On ne peut pas spécialement se permettre ce genre de choses, sur consoles en tout cas.

C.B. : C’est trop coûteux…

J.R. : Sur PSN et XBLA, si les éditeurs n’annoncent pas à l’avance qu’il y aura des DLC, Sony ou Microsoft peuvent ne pas accepter.

Archaïc : Ah oui ?

C.B. : Une fois le jeu en ligne, il faut payer pour avoir le droit d’ajouter des DLC…

J.R. : Oui effectivement, mais, la plupart du temps, les éditeurs annoncent dès le début qu’il y en aura, même s’il n’y en a pas. Comme ça ils prennent les devants…

Archaïc : C’est pour cela que nous voyons souvent le menu « Contenu téléchargeable » même s’il n’y en a au final jamais…

J.R. : Je ne sais pas s’il y en aura pour Mars. Pour l’instant, de notre côté en tout cas, ce n’est pas prévu.

Archaïc : Des contraintes au niveau du moteur ?

J.R. : Non, parce que nous on a déjà le système de patch. Du moment que l’on patche le jeu, il est possible de rajouter un tronçon. En ce qui me concerne, ce n’est pas une politique que j’aime énormément, à moins que les DLC ajoutent vraiment du contenu, ce que l’on appelait autrefois des add-ons.

C.B. : Une nouvelle histoire par exemple.

J.R. : Oui, qui rajoutent vraiment des heures de jeu, et pas quatre fusils ! (rires)

Archaïc : Tant mieux… (rires) Dernière petite question sur Mars, quel en est le compositeur ? On n’en a pas entendu parler…

J.R. : Pas encore… C’est Sylvain Prunier, c’est la personne qui fait le son chez nous depuis des années. Notre Lead Sound Designer. Il se lance seul dessus, pour l’instant. Mais peut-être appellera-t-il d’autres personnes pour collaborer au projet.

Archaïc : C’est lui qui avait fait appel à Olivier Derivière sur Of Orcs and Men.

J.R. : Tout à fait, mais, pour l’instant, en tout cas, c’est lui le compositeur. Ce sera orienté plutôt electro, quelque chose qui colle bien à l’ambiance de Mars.

Archaïc : Cela sera sa première œuvre en solo ?

J.R. : Je ne saurais pas le dire, étant donné qu’il a été free-lance pendant un temps et a œuvré pour énormément de boîtes. Je ne préfère pas dire de bêtises là-dessus.

C.B. : Ce n’était pas lui sur Faery ?

J.R. : Sur Faery, c’était Markus Schmidt, un musicien allemand, qui est surtout orienté compositions classiques.

Archaïc : Les musiques de Faery étaient pas mal du tout !

J.R. : En effet. Le choix dépend beaucoup du style musical attendu sur un projet. Markus était super sur Faery, sur Mars nous voulons tenter autre chose.

C.B. : On a l’impression qu’il y a un peu plus de « drums » dans Mars